16 décembre : l’égalité en marche

Publié par jfl-seronet le 19.12.2012
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Droit et socialmariage pour tous

Il fallait bien cela : une présence forte des élus de gauche, ceux du PS en tête, à la manifestation du 16 décembre à Paris, pour gommer les faux pas, la communication à l’emporte-pièce des membres du gouvernement, du Premier ministre et même du président de la République sur le projet de loi de mariage pour tous et d’ouverture de l’adoption aux couples de même sexe. A Paris, Seronet a interviewé des responsables politiques et des présidents d’association sur le contexte actuel, les opposants et la PMA.

Présent aux Marches des fiertés de juin, Jean-Paul Huchon, président PS de la région Ile-de-France est campé derrière la banderole… coincé entre les écharpes tricolores de ses collègues. "Nous sommes à la veille d’un événement historique ; un pas en avant de la société vers l’égalité pour tous quelle que soit l’orientation sexuelle, la possibilité d’adopter des enfants, je crois que c’est important, et la PMA, c’est plus discuté, mais je ne vois pas pourquoi on refuserait à des femmes lesbiennes ce qu’on autorise à des femmes hétérosexuelles", explique-t-il. "On a besoin d’être là pour montrer à la population que des élus ont le courage de soutenir cette loi", estime le président de région. Eh oui, ces derniers temps, on a pu avoir des doutes en écoutant certains membres du gouvernement ou les propos sarcastiques de Jean-Pierre Chevènement sur le mariage pour tous (14 décembre dans "Le Monde"). Cela ne mériterait pas d’être relevé si le même n’avait pas été choisi par François Hollande comme envoyé spécial de la France pour une mission officielle en Russie. Et une de ses premières sorties médiatiques sert à tacler une mesure du programme présidentiel.

PMA… ça sent l’embrouille

Il est vrai que l’exemple vient de haut, de François Hollande lui-même, pas très à l’aise sur le sujet et franchement pas clair sur la PMA. Alors comment expliquer cette valse hésitation sur la PMA "Parce que derrière, il y a des aspects d’éthique ou plus exactement de loi bioéthique… Cela n’aurait pas été plus mal d’ailleurs qu’il y ait eu une loi de bioéthique préalable, mais bon on verra bien si l’amendement [du PS, ndlr] est adopté, s’il est adopté après ça sera utile d’encadrer cela avec le maximum de garantie en termes d’éthique", explique Jean-Paul Huchon. "La moindre des choses, c’est que ce n’est pas clair, explique Patrick Sanguinetti, président de David et Jonathan. Hollande avait dit dans son programme qu’il était pour la PMA et maintenant il dit : "Je laisse le Parlement décider". On aurait souhaité une parole un peu plus courageuse et qu’il y ait dans le projet de loi les trois piliers que sont le mariage, l’adoption et la PMA. C’est dommage". Est-il confiant dans le vote ? "Nous avons été auditionnés par les députés, rappelle-t-il. Je suis confiant sur le vote de la loi. Je ne suis pas confiant concernant la PMA. Je ne pense pas que la PMA soit votée. Dominique Bertinotti [la ministre de la famille, ndlr] disait encore ce matin [elle a reçu des associations LGBT pour un brunch avant la marche, ndlr] que si la PMA n’est pas dans la loi en 2013, ce sera dans un second volet… Je suis très déçu parce que je pense qu’il aurait fallu profiter de cette loi pour faire passer les trois qui me semblent difficilement dissociables… Il y a très peu de chances que la PMA passe si elle n’est pas adoptée dans ce texte… Il faut se mobiliser pour cela et c’est ce que nous faisons aujourd’hui."

Unité, unité…

"La première bataille pour les féministes, cela a été d’obtenir le droit de ne pas se marier, mais une fois que ce droit a été acquis, l’égalité des droits s’impose. Cela met à l’abri des gens qui choisissent de vivre ensemble, cela met à l’abri des enfants, cela constitue surtout une reconnaissance aux yeux de la société de la liberté de choix d’êtres humains qui savent ce qu’ils font, qui n’ont pas à se cacher", explique Dominique Voynet (Europe Ecologie Les Verts). "Il y a encore une génération, les homos qui vivaient ensemble ne pouvaient pas se léguer leurs biens, ne pouvaient pas se transférer un bail, ne pouvaient pas se protéger l’un, l’autre. Aujourd’hui, la société a changé et je pense qu’il est plus que temps de mettre en accord la philosophie de la rue et le droit". Et puis, elle lâche un brin ironique : "Je suis plutôt heureuse de voir que l’ensemble de la gauche, sur ce sujet au moins, est rassemblée aujourd’hui". Unité, unité… il veut y croire lui aussi… mais c’est difficile quand les députés de son propre parti tirent à hue et à dia à propos de la PMA. D’un côté, il y a ceux qui ne veulent pas de la PMA maintenant. C’est le cas du député Olivier Faure, un très proche de Jean-Marc Ayrault. Il explique ainsi que le "projet de loi comprend le mariage et l'adoption, mais ne doit pas comprendre la question de la PMA, qui n'est pas seulement du droit de la famille, mais bioéthique. Les lois bioéthiques ont pour fonction de se pencher sur les progrès de la science et dire quels sont ceux qui doivent permettre des évolutions (…) Ce débat-là n'a pas eu lieu encore et nous avons besoin d'être éclairés", a expliqué celui qui fut conseiller spécial du Premier ministre. De l’autre côté, on, trouve ceux qui sont manifestement suffisamment éclairés. C’est le cas de Bruno Le Roux, le chef des députés PS à l’Assemblée Nationale. Il a expliqué sur RTL (lundi 17 décembre) : "J'ai bon espoir que nous puissions intégrer la PMA dans ce texte (…) Sur le fond, sur la PMA, il n'y a pas de problème (...) Moi, je souhaite que ce soit le plus vite possible", a-t-il ajouté en estimant qu'il y aurait une majorité de députés socialistes favorables à l'intégration de cet amendement.  Des pour, des contre… cela sent la division. Alors qu’en pense le Premier secrétaire du PS Harlem Désir, présent à la marche le 16 décembre ?

Harlem Désir… d’union

"C’est une journée de rassemblement pour l‘égalité. C’est une journée où le Parti Socialiste, les associations, les forces politiques qui sont là, se rassemblent pour faire avancer l’égalité dans la République", explique Harlem Désir à Seronet. "Il faut mener ce combat face à la résurgence des propos totalement rétrogrades, homophobes, du type de ceux qu’on avait entendus au moment de la réforme du PaCS. Et pour nous, Parti Socialiste, c’est notre place d’être ici. De même que nous nous battons sur les questions sociales, sur les questions d’économie et d’emploi, nous nous battons aussi pour de nouveaux droits et pour plus d’égalité dans la société et en particulier pour l’égalité des droits entre les couples de même sexe, l’égalité à travers le droit au mariage, le droit à l’adoption et nous y ajouterons aussi l’égalité pour les couples de femmes homosexuelles devant l’accès à la PMA". D’accord, mais les propos de certains membres du gouvernement, de Jean-Marc Ayrault et de François Hollande donnent le sentiment que le PS ne semble pas complètement fier de ce qu’il fait. "Moi, je crois que la gauche est totalement engagée dans ce combat", explique Harlem Désir. "Et en même temps qu’elle veut mener le débat, mais nous voulons un débat respectueux. Ce qui a été insupportable dans les déclarations y compris de la part de certains responsables de l’UMP à l’Assemblée, ce sont les propos sur la zoophilie, l’amalgame avec la pédophilie, tout cela ne devrait pas être toléré et moi je demande aux responsables de la droite, s’ils ont un point de vue différent qu’ils l’expriment, mais qu’ils le fassent dans le respect des personnes, dans le respect de tous les citoyens quelle que soit leur orientation sexuelle. J’en ai la conviction absolue quand la loi aura été votée - et elle va être votée -, jamais, ils ne la remettront en cause pas plus qu’ils n’ont pu remettre en cause le PaCS".

Jospin, mauvais esprit

Peut-être, mais cette gauche qui critique l’égalité des droits comme Chevènement ou Lionel Jospin… cela fait désordre. Et la différence entre l’opposition de Lionel Jospin au mariage pour tous et le soutien de Jose Luis Zapatero, l’ancien chef de gouvernement socialiste espagnol, au projet français frappe les esprits. Celui d’Harlem Désir ? "Je voudrais quand même dire que l’histoire retiendra que Lionel Jospin a été le Premier ministre qui a fait adopter le PaCS (…) Il a fait avancer l’égalité et la lutte contre la discrimination à l’égard des homosexuels en faisant adopter le PaCS (…) Je crois qu’aujourd’hui il soutiendra le Parti Socialiste. Il l’a d’ailleurs dit lui-même parce qu’il est à l’écoute, tout simplement, des militants du PS qui ont fait le choix de mettre cette mesure dans le projet pour l’élection présidentielle. Je sais que Lionel nous soutiendra aussi pour ça", veut croire Harlem Désir.

Renvoyée sur les roses !

Sénatrice Europe Ecologie Les Verts du Val de Marne,  Esther Benbassa est venue marcher. Comme une évidence pour elle. "Parce que c’est très important. J’ai déposé une proposition de loi sur le mariage pour tous le 28 août 2012 qui a poussé le ministère de la Justice à aller plus vite car qu’ils ont craint que l’on fasse passer ce projet dans notre niche parlementaire de septembre. J’y ai mentionné la PMA et la transcription dans l’état civil des enfants nés par la gestation pour autrui. J’avais aussi inscrit le rôle du beau-parent, l’adoption simple, etc. C’est normal que je sois là, depuis des années je défends ce point de vue", explique la sénatrice. Comprend-elle les changements de pied au PS… et comment les explique-t-elle ? "Conservatisme habituel. Cela ne me surprend pas. J’ai assisté le 3 septembre à un dîner chez la ministre Christiane Taubira qui est très ouverte d’esprit. Moi, j’y ai entendu des camarades socialistes qui étaient contre la PMA. Quand j’ai parlé de la PMA puisque je venais de déposer ma proposition de loi, je me suis fait renvoyée sur les roses", lâche-t-elle mi amusée, mi vacharde. Il faut dire que le gouvernement lui a récemment demandé, avec d’amicales pressions, de retirer sa proposition de loi concernant l’abrogation du racolage passif.

Retour au Moyen Age

Directeur de théâtre engagé, Jean-Michel Ribes, le patron du Théâtre du Rond-Point, manifeste lui aussi. "Je pense que c’est une journée qui va vers l’avenir. Une partie de la société est encore restée bloquée, calcifiée au moyen âge. On est, ici, dans la lige progressiste et normale de l’humanité. Je ne me doutais pas qu’il y avait encore tant de gens qui étaient bloqués dans une espèce de formatage du passé et qui sont, en effet, dans quelque chose qui fait que le monde n’évolue pas. C’est quand même une absurdité totale… Je ne vois pas en quoi l’amour, la sexualité doivent être clivés… Je n’arrive pas à comprendre cela. Cette manifestation pour moi, c’est une résistance, mais aussi une forme d’ahurissement devant le combat que mènent certains contre l’évidence". Président de David & Jonathan, Patrick Sanguinetti voit cette marche "en réaction à la marche précédente [celle des opposants, le 17 novembre dernier, ndlr]. Nous aurions préféré qu’il y ait beaucoup plus de débats plutôt que toutes ces manifestations, mais comme l’Eglise catholique, à son habitude, n’a pas voulu engager de vrais débats, nous sommes malheureusement obligés de nous retrouver dans la rue".

Toujours les mêmes réacs !

Le militant se dit surpris de la violence des "propos des autorités ecclésiastiques". "Parler d’inceste, de polygamie, de supercherie, de pédophilie alors qu’il s’agit d’un mariage civil et de l’adoption, c’était à tout le moins agressif", lâche Patrick Sanguinetti pince sans rire. "Je pense qu’on entend toujours les mêmes réacs. Ils sont sans doute moins soutenus passivement que ce qu’ils étaient il y a quelques années. Je pense que la majorité des Français, quand on leur explique, est tout à fait en faveur du mariage pour tous, de l’adoption et pour l’égalité des droits… Il y a quelques réacs, quelques cathos intégristes, quelques religieux de tous bords et des gens d’extrême droite qui sont des forces qui s’opposent aux minorités quelles qu’elles soient en général : étrangers, pédés", explique Bruno Spire, le président de AIDES.  Ce qui surprend Dominique Voynet : "C’est la confusion des genres. Les gens qui confondent la biologie avec le droit, les gens qui confondent la religion avec le droit, la religion et la citoyenneté. On est là dans la loi de la République et pas dans l’examen des consciences".

L’égalité contre le sida

Mais au fait pourquoi une association comme AIDES manifeste-t-elle ? "Cette manifestation a un sens parce que tout ce qui permet l’égalité des droits entre homos et hétéros permet de mieux faire reculer l’homophobie et donc de faire mieux reculer l’épidémie de VIH. L’homophobie, partout dans le monde, est un frein à la prévention, à l’accès aux soins et contribue donc aux nouveaux cas d’infection par le VIH. Tout ce qui peut favoriser l’acceptation de l’homosexualité dans la société - le mariage et l’égalité des droits y contribuent - est utile contre l’épidémie", explique le président de AIDES. "Il faut militer pour cette égalité. Et en plus dans le contexte français que l’on connaît actuellement avec tous ces homophobes qui se sont réveillés… cela nous stimule encore plus pour être là".