Abolition : Maîtresse Gilda, sévère pour les partis !

Publié par jfl-seronet le 16.12.2011
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Travailleuse du sexe et féministe, Maîtresse Gilda est porte-parole du STRASS, le syndicat français du travail sexuel. Comme d’autres militantes, elle a participé le 6 décembre dernier à la manifestation devant l’Assemblée nationale alors qu’on y votait une résolution sur l’abolition de la prostitution. Abolition, pénalisation des clients, Maîtresse Gilda expose les conséquences qu’elle juge néfastes de ces mesures et fait un sort au modèle suédois. Interview.
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Place Edouard Herriot, mardi 6 décembre, Maîtresse Gilda, en tenue de ville, enchaîne les interviews en traînant sa valise. Comme d’autres militantes du STRASS, elle a une nouvelle fois fait le déplacement pour s’opposer à une charge supplémentaire contre les travailleurs et travailleuses du sexe. Une de plus, une de trop. Pourtant, derrière l’exaspération, il y a toujours une volonté de convaincre.

Vous avez organisé avec Act Up-Paris cette manifestation alors que l’Assemblée nationale discute d’une proposition de résolution pour rappeler la position abolitionniste de la France concernant la prostitution. Que voulez-vous dénoncer ?

Ce que nous dénonçons, c’est la violence de la logique abolitionniste sur deux points. En premier lieu, la sécurité. Vouloir pénaliser les clients n’aide en rien à la sécurité des travailleuses du sexe et particulièrement de celles qui se trouvent dans l’espace public, dans la rue et qu’on a déjà tenté d’exclure par la loi de 2003 qui a instauré le délit de racolage passif. Il s’agit désormais de s’en prendre à nos clients. Cela va provoquer un éloignement encore plus grand et inévitablement augmenté l’insécurité, la précarité. On en vient au deuxième point : celui de la santé publique. Comme tout le monde, les travailleuses sont soumises à la pression : remplir leurs frigos, payer leur chambre d’hôtel… Forcément lorsque vous rendez les conditions d’exercice plus difficiles vous précarisez les travailleuses du sexe… donc vous risquez d’amener certaines, parmi les plus fragiles, à accepter des rapports non protégés ou à accepter des clients qu’elles n’auraient pas acceptés en d’autres circonstances. Tant que nous pouvons rester ensemble dans l’espace public, visible… cela nous protège un tout petit peu, ce n’est pas génial, mais c’est déjà ça. Lorsqu’on est toute seule au fond de la forêt de Saint-Germain en Laye ou dans des endroits vraiment isolés, le risque est effectivement accru. Cela rend aussi plus difficile le travail des associations de terrain qui distribuent des préservatifs et du matériel de prévention. Si la pression s’accentue sur les clients et sur les travailleuses du sexe, ces associations auront encore plus de difficultés à être en contact avec ces personnes. Nous sommes ici, une nouvelle fois, pour tirer la sonnette d’alarme. Ce n’est pas pour rien, ni le fruit du hasard, si toutes les associations de lutte contre le sida nous accompagnent et soutiennent nos revendications. Ce n’est pas pour rien si des militants de Médecins du Monde, d’Act Up, de AIDES sont là aujourd’hui et étaient déjà là pour cosigner notre dossier, il y a quelques mois, contre la pénalisation des clients, c’est bien parce qu’il s’agit d’un enjeu de santé publique.

Comment expliquez-vous que les questions de santé ne soient jamais mises en avant par les formations politiques lorsque sont évoqués les effets possibles de l’abolition. C’est toujours les notions de domination masculine, d’asservissement de la femme qui sont mises en avant pour justifier l’abolition et la pénalisation des clients…
C’est ce que nous dénonçons comme étant une dérive d’une certaine forme de féminisme autoritaire qui considère que la prostitution est une violence et qui est incapable d’entendre la parole des premières intéressées et qui n’entend pas non plus celle des travailleurs sociaux, des associations de santé communautaire qui sont chaque jour sur le terrain. Les partis engagés dans l’abolition sont inféodés à des lobbies qui les abreuvent de chiffres, d’études, de tout un tas de documents qui n’ont aucune légitimité parce qu’ils ne sont fondés sur aucune réalité de terrain. C’est la force de ces mouvements et lobbies qui défendent cette idéologie que de la faire passer pour une idée progressiste. Evidemment, c’est séduisant pour des élus de se dire : "On va voter un truc qui, comme ça, n’a l’air de rien : réaffirmer la position abolitionniste de la France…" C’est bien de dire que la prostitution, ce n’est pas bien, cela permet de grappiller quelques voix de femmes…  Cela ne coûte rien à madame Bousquet et à monsieur Geoffroy [respectivement députée PS et député UMP, chevilles ouvrières de la mission d’information sur la prostitution à l’Assemblée Nationale et auteurs d’une proposition de loi de pénalisation des clients, ndlr] qui sont bien au chaud dans leurs bureaux de l’Assemblée nationale et, en attendant, ce sont les travailleuses du sexe qui vont payer les conséquences de ces politiques irresponsables et clientélistes.

Qu’est ce qui vous surprend dans le vote de cette résolution ?

Ce qui nous surprend, c’est la façon dont surgit, dans le débat public et à l’Assemblée nationale, cette proposition de résolution. Madame Bousquet prétend vouloir stopper les dispositions qui répriment les travailleuses du sexe. Or, que fait-elle ? Au lieu de déposer immédiatement un projet d’abrogation pur et simple du délit de racolage et des lois qui nous empêchent de nous organiser et de travailler dans la sécurité, elle nous sort un truc qui est une nouvelle forme de prohibition ; mais cette fois qui s’en prend aux clients parce qu’elle ne veut pas apparaître comme quelqu’un de répressif à l’égard des travailleuses du sexe. Elle est d’une mauvaise foi flagrante et nous sommes là pour lui montrer, une fois encore, qu’elle se trompe de cible. Le premier intérêt qu’elle devrait avoir en tant qu’élue, c’est d’écouter et de respecter la parole des premières intéressées et des professionnels de santé et ceux qui sont sur le terrain.

Du côté des abolitionnistes, on montre souvent en exemple la Suède qui pénalise le client. Quel bilan faites-vous de l’expérience suédoise ?
En réalité, comme toutes les politiques publiques qui se sont faites sans concertation avec les travailleuses du sexe ou leurs représentants, elle a de sérieuses limites. En effet, la prostitution visible, celle de la rue, dans l’espace public, a quasiment disparu entre 1999 [adoption de la loi, ndlr] et aujourd’hui. Ces douze dernières années, il n’aura échappé à personne que le monde a changé, a évolué. La prostitution aussi a évolué. Le tapin sur le trottoir y est devenu très minoritaire, comme c’est le cas en France, et s’est déplacé sur Internet, notamment pour échapper à la répression qu’elle concerne les clients ou les travailleuses du sexe. Ce qui s’est développé en Suède, conséquence directe des lois qui pénalisent le client, c’est la mainmise encore plus forte des réseaux organisés sur le "marché". Les mafias ont une emprise plus forte et la prostitution existe toujours bien évidemment et les clients aussi… Il suffit d’aller sur un moteur de recherche, d’y taper "escort girl Stockholm" pour tomber sur des sites avec des catalogues de femmes avec leurs dates de tournées indiquant dans quels hôtels elles seront à telle date, dans telle capitale d’Europe. Elles sont "bookées" à l’avance. Vous réservez et vous payer directement le proxénète albanais, russe qui est bien à l’abri dans son pays et qui ne risque rien… Ces réseaux organisent à distance des tournées dans des hôtels où les filles sont enfermées et exploitées de façon inadmissible. Voilà une des conséquences de l’abolition, mais ça bien sûr les abolitionnistes qui imaginent que la Suède est un paradis rose ne veulent pas voir cette réalité-là… qu’ils aillent sur Google.


Le STRASS, le Collectif Droits et Prostitution et d'autres associations organisent une manifestation à Paris, samedi 17 décembre. Départ à 14 heures de la place Pigalle.