Afravih : la clôture de Bruxelles… à Bordeaux

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ConférencesAfravih 2016

Samedi 23 avril, la huitième édition de la conférence Afravih s’est achevée. Au menu : cinq sessions orales, hépatites, résistance, stigmatisation/discrimination, coût et financement et propriété intellectuelle (on y revient), et populations clefs, une troisième conférence plénière et une longue cérémonie de clôture. Seronet y était, Catherine Aumond, vice-présidente de AIDES également. Retour à deux voix.

A l’instar d’autres conférences, l’Afravih 2016 a tenu du marathon. Pas moins de vingt-trois sessions orales, des symposiums, trois plénières et deux cérémonies (ouverture et clôture) et même des réunions hors conférence, comme le très passionnant symposium organisé par le Groupe sida Genève et deux CHU bruxellois sur les droits des malades étrangers en Suisse, Belgique et France (on y revient dans quelques jours). Et évidemment, l’ensemble des sessions avec des contenus plein comme un œuf : entre six et huit intervenants en une heure trente et un enchaînement, parfois mécanique, des présentations. C’est la loi du genre, une sorte de précipité de l’état des recherches, des projets, des revendications, des stratégies concernant la lutte contre le VIH/sida et les hépatites virales en trois jours complets.

La PrEP dans tous les discours

Cela n’aura échappé à personne, mais cette édition 2016 a été marquée par l’appel de Bruxelles pour une PrEP accessible pour tous, partout et maintenant. Une PrEP qui a été mentionnée avec force dans le discours d’Hakima Himmich, présidente de Coalition PLUS et de l’ALCS au Maroc. Son intervention déroulait un solide plaidoyer pour le dépistage, l’accès aux antirétroviraux et aux antiviraux. Cette PrEP a également été mentionnée dans l’intervention de clôture du professeur Gilles Brücker, secrétaire général de l’Afravih ; une intervention qui a bien parlé de la force et de l'importance de la recherche, oubliant au passage de parler de l’apport de la recherche communautaire. Et pourtant où en serait la PrEP aujourd’hui, sans l’apport de la recherche communautaire (tout spécialement en France) à travers l’essai ANRS-Ipergay. Reste que si la campagne lancée par Coalition PLUS (avec succès) pour un accès universel à la PrEP a marqué les esprits et déroulé un solide argumentaire. Il n’en demeure pas moins que nombre de présentations ont montré le gouffre qu’il y avait à franchir entre les lacunes actuelles (un taux de couverture en ARV toujours bas pour le continent africain, des financements qui stagnent voire baissent, etc.) et l’objectif d’une mise à disposition de la PrEP. D’ailleurs, au fil de quelques interventions, on a bien senti que certains experts nuançaient leur enthousiasme ou mettaient en garde contre une vision trop idyllique de la PrEP. Ainsi le docteur Louis Pizarro, directeur général de Solthis, estime que "la PrEP n’est pas la magic bullett" ("solution miracle") de la lutte contre le sida. Dans son intervention, le professeur Hakima Himmich a défendu l’élargissement de la PrEP, positionné ce nouvel outil dans une offre diversifiée de prévention au Nord comme au Sud, et rappelé aussi les enjeux macro de la lutte contre le VIH et certaines données qui surprennent. Il y a, dans le monde, dix-neuf millions de personnes qui vivent avec le VIH sans le savoir. Le démarrage du traitement, une fois les personnes diagnostiquées, est tardif dans 45 % des cas. Les autotests ne sont toujours pas dans les recommandations de prise en charge de très nombreux pays africains… alors qu’ils y seraient très utiles. Il faut aussi rappeler que le sida est la sixième cause de mortalité chez les adultes dans le monde et que 22 millions de personnes n’ont pas accès aux traitements anti-VHC, etc.

Hakima Himmich n’a pas manqué de placer son intervention sous les auspices de Nelson Mandela, citant une de ses formules les plus célèbres : "La question n’est plus de savoir si la lutte contre le sida peut être gagnée, mais si elle sera gagnée et quand ?"

L’Afravih 2016, version Catherine

Avant de partir à la conférence de Bruxelles, j’ai  concocté mon programme personnel pour les quatre jours : presque non stop de 8h30 à 19h.

Ça commence fort pour moi et je présente le dépistage à AIDES lors d’un symposium de l’Onusida (mercredi 20 avril) dont le sujet était : "Atteindre la cible 90-90-90 : les pays francophones s’engagent et innovent" (1). L’exercice est impressionnant car au-delà de parler devant toute une salle, il faut aussi répondre aux questions parfois pointues des participants. Mais, je me sentais portée par l’envie de partager notre expérience aidienne avec l’objectif qu’elle puisse être entendue et reprise. Cela a été un plaisir quand plusieurs personnes sont venues me voir à la fin de l’intervention chercher des documents, demander des infos. J’avais le sentiment d’avoir fait le travail attendu.

Ensuite les plénières et les sessions s’enchainent avec des sujets variés : VIH, hépatites virales, recherche communautaire, discriminations, etc. avec beaucoup de partage d’expériences. Entre les sessions orales, je rejoins pour de brefs moments de pause le stand associatif où je retrouve les militants de Coalition PLUS et de AIDES. Un petit café, un retour de rencontre avec les militants des associations communautaires, une préparation d’une action de visibilité sur la PREP tous vêtus du même tee-shirt… et je repars !

Au fil des sessions, je me dis que les choses bougent. Il y a seulement encore quelques mois, j’avais l’impression que nous étions des extraterrestres lorsque nous parlions de PrEP comme si nous défendions un outil pour des personnes irresponsables. Aujourd’hui, le discours général a complètement changé : la PrEP est la solution à la fin de l’épidémie ! On ne peut que se réjouir que notre parole soit reprise même si je n’identifie pas complètement les raisons de ce revirement. Ce qui est sûr, c’est que cela me donne des arguments supplémentaires pour aller négocier la mise en place de consultations dans toutes nos villes de province.

Pour finir Bruno, Serge et Hakima (2) en plénière et c’est une nouvelle occasion de rendre visible la coalition PLUS et ses combats et d’affirmer notre place dans le plaidoyer international.

Je repars fatiguée, mais ravie et reboostée pour continuer les actions et la lutte sur le terrain !

Un monde à part

On a beau connaître l’ambiance des conférences… on reste toujours surpris par la dynamique propre à un tel événement. Le temps qui passe très vite, l’impression de faire un peu monde à part avec des experts et des militants venus d’une trentaine de pays réunis par une même langue, un même combat, mais parfois assez éloignés les uns des autres quant aux moyens d’attendre les objectifs. Une conférence, ici dans le cadre idéal et hyper confortable du Square en plein Bruxelles, qui donne le sentiment d’être un monde en soi. Il y a les bons côtés de la conférence : les échanges avec les personnes qu’on découvre, les idées géniales découvertes par d’autres, les travaux dont les résultats constituent un tournant (l’étude ANRS-Parcours, par exemple), les anciens collègues perdus de vue qu’on revoit (avec plaisir) dans d’autres fonctions et pour d’autres organisations, les idées forces lancées par des experts de renommée internationales… Il y a les autres : les présentations pas toujours passionnantes, le stakhanovisme du programme, les sessions aux trop nombreux orateurs qui réduisent les débats à la portion congrue, les jugements à l’emporte-pièce, etc. Il y a des choses drôles, même dans des présentations de haut vol (comme celle de Kenneth Freedberg, professeur d’économie de la santé à Harward, sur "Coût et rapport coût-efficacité de la prise en charge VIH et hépatites"), des choses qui irritent, surprennent voire énervent.

Chose qui irrite ? Ce participant qui vient sur le stand de AIDES et Coalition PLUS. Pas pour parler des projets, ni discuter de la fin de l’épidémie, encore moins rencontrer des militants… mais pour prendre un pin’s.
- Vous n’avez que ça, lance-t-il, manifestement déçu.
- Oui, lui répond le collègue qui tient le stand.
- Même pas de stylo ?
- Non.
Et ce participant de tourner les talons, sans un merci.

Choses qui surprennent ? Ces stands de labos qui se transforment en bar avec cafés gratuits, cocktails de fruits frais et macarons. Ce stand de labo et d’une association française de lutte contre le sida avec des marionnettes pour d’improbables interviews croisées avec des participants coincés entre un clone de Guesch Patti et un monsieur virus à la face de furonculose.

Amusant, ce décalage entre les intentions des organisateurs et la réalité de la conférence. On peut citer la différence entre l’hymne, un poil forcé, à la francophonie de la cérémonie d’ouverture et certaines présentations où l’on ne compte plus les "slides" en anglais… Le jargon anglo-saxon de la lutte contre le VIH qui envahit bon nombre de discours…  Pas un drame, juste l’illustration qu’il n’est pas aisé de lutter contre le pragmatisme ; la science se publie et se partage en anglais.

Un peu tristes et austères, ces longs couloirs de posters scientifiques qui tiennent du chemin de ronde et du labyrinthe. Décevante, la conclusion de la cérémonie de clôture qui a certes bien balayé les points forts de l’édition 2016, mais n’a pas vraiment lancé d’idées neuves. Elle n’a pas non plus fait honneur à la présentation de l’ANRS que son directeur général, le professeur Jean-François Delfressy, n’a pas pu assurer pour des raisons personnelles. La prochaine conférence Afravih se déroulera en 2018 à Bordeaux. Ce sera assurément l’occasion de faire un bilan sur la PrEP pour tous, partout ; une façon de voir quelle sera dans la vraie vie la place faites aux résolutions de l’appel de Bruxelles !

(1) : "90-90-90" : 90 % des personnes dépistées, 90 des personnes dépistées sous traitement, 90 % des personnes sous traitement avec une charge virale indétectable.
(2) : Bruno Spire (président d’honneur de AIDES), Serge Duomong-Yotta (Affirmative Action, Cameroun) et Hakima Himmich (présidente de Coalition PLUS et de l’ALCS au Maroc).