AP-HP : le COPACI contre les "patrons voyous" de l'hôpital

Publié par jfl-seronet le 17.03.2010
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AP-HP
Né de la fermeture du service VIH de Saint-Joseph à Paris, le Collectif des patients citoyens (COPACI) veut faire entendre collectivement ce que les patients ne peuvent pas dire individuellement face aux bouleversements technocratiques et politiques qui sapent aujourd'hui l'AP-HP, mais surtout la prise en charge des patients VIH en Ile-de-France. Manuel F. Picaud et José Puig, deux des principaux animateurs du Collectif, expliquent leur combat.

Dans quelles conditions le Collectif des patients citoyens s'est-il créé ?
José PuigJosé Puig : Cette mobilisation a démarré en septembre 2008. A cette époque-là, je suis patient à l'Hôpital Saint-Joseph à Paris [un établissement sous contrat avec l'AP-HP]. Je suis suivi dans le service VIH par le docteur Gilquin. C'est lui qui m'annonce à l'occasion d'une consultation que la direction de l'hôpital a décidé de fermer le service. Je sors de son bureau et je parle de cela au volontaire de AIDES qui tient une permanence dans ce service. Il me répond que l'association n'entend pas se mobiliser contre ce projet. Je prends alors contact avec un autre patient suivi dans le même service. Nous rencontrons Xavier Rey-Coquais d'Actif-Santé et tout part de là. Assez rapidement, j'écris au directeur de l'hôpital pour avoir des informations en vain. Puis nous avons l'idée d'un questionnaire à donner aux patients concernant le service et l'éventualité de sa fermeture. C'est un moyen qui nous permet d'informer les autres patients tout en les mobilisant et nous recevons très vite beaucoup de réponses. Les personnes suivies dans le service se disent très satisfaites de la qualité de soins, mais très affectées par la fermeture : pour tous, il est impensable qu'un service hospitalier puisse fermer pour des rasions de rentabilité. De plus, la façon dont les choses se passent est, pour nous, scandaleuse : l'hôpital n'informe personne et n'organise même pas le transfert des patients vers un autre service. Au bout de quelques semaines, le directeur de l'hôpital Saint-Joseph change et nous prenons contact avec lui en janvier 2009. Il fait amende honorable sur l'absence d'information, confirme la fermeture du service et organise le transfert des patients. Au final, un des deux médecins du service part à Montreuil en banlieue parisienne dans un hôpital privé. L'autre médecin, le docteur Gilquin, trouve un poste à l'Hôpital Necker à l'AP-HP. Mais quelques mois après l'arrivée à Necker, nous apprenons qu'un nouveau transfert est envisagé cette fois pour l'Hôtel-Dieu. Le Collectif des patients citoyens qui pensait avoir une durée de vie momentanée se pérennise. Et ce d'autant que d'autres restructurations se profilent et que personne ne se soucie des patients… la raison d'être de notre Collectif se confirme : être le porte-parole des patients rejetés d'hôpital en hôpital. J'ai, pour ma part, été surpris de l'absence de réactions de la plupart des associations de lutte contre le sida au moment de la fermeture de Saint-Joseph. Je m'attendais vraiment à ce qu'elles se mobilisent. J'ai d'autant moins compris l'attitude de AIDES que l'association assure une présence effective dans de nombreuses consultations hospitalières parisiennes.

Quand apprenez-vous l'existence d'un projet de restructuration concernant la plupart des services VIH de Paris ?
Manuel PicaudManuel Picaud : C'est lors d'une réunion du COREVIH Sud [un des cinq COREVIH d'Ile-de-France] en septembre dernier que nous avons appris l'existence de projets de fermetures, de fusions concernant les services VIH et notamment l'arrivée à l'Hôtel-Dieu des patients suivis à l'hôpital Cochin, puis de ceux suivis à l'hôpital Tenon et cela alors qu'il n'existe pas de lits d'hospitalisation dans cet hôpital qui propose un grand service de consultation ambulatoire. On parle même d'une ouverture de ce service en novembre 2009. Lorsque nous évoquons avec l'équipe en charge du projet à l'Hôtel-Dieu, tout ce qu'il faut faire pour qu'un transfert se fasse dans des conditions acceptables, que l'on rappelle tout ce qui est nécessaire dans le cadre d'un suivi, ils comprennent qu'il faut différer l'ouverture de ce nouveau service à janvier 2010. En fait, on a dû leur expliquer la base de la prise en charge du point de vue des patients comme s'ils n'en avaient pas conscience. En décembre dernier, nous apprenons par l'intermédiaire des médecins de l'Hôpital européen Georges Pompidou que le service VIH où je suis moi-même suivi va lui aussi partir pour l'Hôtel-Dieu. Les patients de Pompidou ont décidé de se mobiliser dans le cadre du Collectif. Cette annonce nous a tous choqués, peut-être plus qu'ailleurs parce qu'il s'agit d'un hôpital moderne dont le service VIH est modèle et même emblématique de ce que doit être une prise en charge exemplaire. Ce sont près de 1 750 personnes qui y sont suivies et qui seraient virées vers un hôpital vétuste sans lits d'hospitalisation.

Devant cette menace, comment se fait la mobilisation à l'Hôpital européen Georges Pompidou ?
Manuel : Nous retenons l'idée d'un questionnaire dont le titre est : "Allez-vous devoir changer d'hôpital ?" Plus de 250 personnes y ont répondu. 98 % des personnes sont satisfaites du service. 80 % sont opposés à tout déménagement et certaines personnes menacent même d'arrêter leurs traitements si un tel transfert a lieu voire de faire une grève des soins. A notre sens, on ne peut pas raisonner en fermant un service sans penser à ce qu'il y a autour. Les personnes suivies dans un service VIH ont besoin de consulter d'autres spécialistes et pas uniquement ceux du dit service. Tout ce qui a été mis en place par ce service sera cassé s'il y a transfert. On voit bien que les déménagements contraints s'accompagnent de disparitions de postes. Des emplois d'infirmières ont disparu à la fermeture du service VIH de Saint-Joseph, un poste de psychologue du service VIH a été supprimé lors du transfert de celui-ci de Necker à l'Hôtel-Dieu. Le nombre de patients suivis à l'Hôtel Dieu est passé de 200 à 1 200 et le nombre d'infirmières n'a pas augmenté en conséquence. La restructuration en cours ne vise pas à l'amélioration de la prise en charge des patients VIH.

Qu'est-ce qui fait la singularité du Collectif des patients citoyens ?
José : Nous ne sommes pas une association de lutte contre le sida. Nous n'avons pas vocation à faire tout ce que font les associations généralistes : de l'information, de la prévention, de l'éducation thérapeutique, etc. Nous sommes là pour éviter que les patients soient trimballés d'un hôpital à un autre, qu'ils soient considérés comme des produits et déplacés comme des objets et pour défendre leurs droits à un suivi de qualité à l'hôpital public.

Quelle interprétation faites-vous de ce qui se passe aujourd'hui à l'AP-HP et plus spécifiquement avec les services VIH ?
José : Ce qui se passe actuellement s'inscrit dans une évolution plus vaste et probablement durable de l'organisation des soins consécutive d'une part au vote de la loi Hôpital Patients Santé et Territoire [HPST] et à la T2A (1), la tarification à l'acte appliquée dans les hôpitaux. Ce mécanisme-là fait de nous des patients qui ne sont pas "rentables" et pousse les hôpitaux publics à trier leur "clientèle". Cela n'est pas compatible avec l'idée que nous nous faisons du service public hospitalier. Ce n'est pas un hasard si cette pression s'exerce principalement à l'encontre des files actives des patients VIH. Les pouvoirs publics jouent sur le fait que cette maladie mobilise moins qu'avant dans l'opinion publique, sur une discrétion des patients dont beaucoup hésitent à parler de leur maladie à visage découvert… Notre Collectif permet de faire entendre collectivement ce que les personnes ne peuvent pas dire individuellement face à cette adversité technocratique et politique. Lorsque nous aurons des garanties durables concernant l'organisation hospitalière, la prise en compte des patients dans les décisions les concernant notre Collectif s'arrêtera, mais malheureusement nous n'en sommes pas là.

Quel est, selon vous, l'arrière plan de ce qui se déroule ?
José : Il y a un premier fond qui est strictement politique : c'est le choix, fait par l'Etat, d'un alignement de l'hôpital public sur les entreprises hospitalières privées. Cette convergence public/privé s'appuie sur un mécanisme de culpabilisation des patients et des médecins. Cette stratégie de démantèlement du service public n'est pas propre au service hospitalier ; elle est aussi à l'œuvre dans l'éducation, à la Poste, dans les transports, etc. Elle signe surtout l'abandon des idéaux historiques du service public au profit des logiques de rentabilité et de compétitivité. Je ne vois pas au nom de quoi un service public doit nécessairement être à l'équilibre. Avec le dogme de l'équilibre, on arrive à supprimer une activité médicale parce qu'elle n'est pas jugée rentable et à faire qu'une pathologie ne peut plus être traitée dans les hôpitaux publics parce qu'elle ne rapporterait rien financièrement. Il y a aussi la tarification à l'activité : la T2A (1). Ce mode de financement des hôpitaux ne porte que sur les actes médicaux réalisés, il ne tient pas compte des coûts fixes des établissements, ni de tous les éléments qui contribuent à la prise en charge globale du patient. Ce système aboutit à un darwinisme technocratique avec la suppression des services non rentables. Critiquer la T2A, ce n'est pas défendre l'ancien système. Dans tous les pays où un tel système a été mis en place, il a été panaché avec d'autres ressources ne dépendant pas de la seule activité. En France, on a choisi la formule la plus radicale et cela produit les effets aberrants qu'on connaît aujourd'hui. Ce système n'est pas nouveau, il date de 2004. Il fonctionne si mal que le barème de la T2A a été changé plus de dix fois depuis sa création ! Ce mécanisme aggrave le déficit des établissements déjà déficitaires et  il est préjudiciable aux maladies chroniques. La T2A, c'est une prime aux actes techniques. Du coup, avec ce système, une consultation VIH ne rapporte rien, malgré sa complexité, malgré la très grande compétence qu'elle requiert sur le plan clinique, malgré la pluridisciplinarité pourtant nécessaire en matière de prise en charge du VIH. La restructuration de l'hôpital public met les hôpitaux dans une double concurrence : hôpitaux publics entre eux et établissements publics contre privés et tout cela au nom du Saint Graal de l'équilibre financier. C'est là que se trouve la cause des bouleversements que nous connaissons.

Quelles sont vos craintes concernant la prise en charge du VIH ?
José : Il y a la crainte à moyen terme que des activités disparaissent du service public et soient sous-traitées au privé… dans des conditions qu'on imagine même pas. Ainsi si une consultation VIH n'est pas rentable dans le public parce qu'elle prend trop de temps et ne rapporte pas assez à l'hôpital, quelle sera sa durée dans le privé où la logique de rentabilité est encore plus forte ? Où iront les patients les plus précaires ? On nous promet un avenir de médecins presse boutons dont le rôle se résumerait à renouveler périodiquement des ordonnances. Ce système ne peut convenir à personne et surtout pas à des patients dont les maladies demandent de l'accompagnement, ce qui est le cas du VIH. J'ajoute qu'en raison de leur maladie, beaucoup se trouvent dans des situations de grande précarité et de grand isolement social. Cette prise en charge du VIH expulsée de l'hôpital public et de l'hôpital privé pourrait alors être renvoyée à la médecine de ville. C'est-à-dire dans un contexte de grande inégalité territoriale et d'insuffisante qualification des médecins généralistes. J'y vois, en filigrane, la redistribution des cartes que dessine la loi HPST avec d'un côté le médical "hight tech" lucratif dans les hôpitaux universitaires et le reste rejeté vers un système d'assistance médico-sociale qui coûte moins cher et où la qualification des professionnels est moins élevée.

En dehors de l'absence complète de consultation des personnes suivies, qu'est-ce qui vous frappe le plus dans tout ce qui se passe actuellement ?
Il y a deux choses. D'une part, il y a un déni de la complexité de la pathologie VIH alors qu'il existe des inquiétudes sur les maladies induites par le vieillissement avec le VIH et le traitement au long cours. Nous n'avons aucun recul sur tout cela, rien qui permette en tout cas d'affirmer que cette pathologie est classée et que l'hôpital public ne doit plus s'en occuper… comme on nous le laisse entendre à l'AP-HP. Le discours de l'AP-HP procède d'une banalisation de la maladie, comme s'il n'y avait plus besoin d'hospitalisation, comme si la pluridisciplinarité n'était pas nécessaire pour un patient dans le service même où il est suivi. L'autre aspect tient aux méthodes brouillonnes de l'AP-HP et des directions des hôpitaux et à leur violence. A Saint-Joseph, médecins et patients ont été "licenciés" par les patrons voyous de l'hôpital. Cela a été un choc pour les médecins et les patients qui partagent une fraternité de destin objective liée à l'histoire du sida. Il existe une véritable solidarité entre les médecins, les chercheurs, les patients qui veulent résister à cette administration à la fois aveugle et brutale. Tous sont maltraités : il n'y a pas le respect des patients et pas le respect de la compétence et du savoir-faire des médecins et des soignants. Le Collectif des patients citoyens discute beaucoup avec les médecins. On voit bien leur incrédulité à découvrir que le système change. Jusqu'à présent, les médecins étaient dans un milieu protégé. Au nom de leur compétence, on leur épargnait le souci de la réalité et, tout d'un coup, les voilà plongés brutalement dans la vraie vie… avec le chômage, les licenciement, les "délocalisations"… Ils découvrent tout cela, qui se rapproche de ce que vivent les patients et en sont très affectés. Avant ils demandaient quelque chose, ils l'avaient, maintenant c'est fini. Ils connaissaient l'hôpital, désormais ils découvrent qu'on veut les faire travailler dans des "unités de production de soins".

Des collectifs de patients, des associations de lutte contre le sida se mobilisent, mais n'est-ce pas trop tard ?
Il ne faut pas trop se faire d'illusions, mais avec l'appui des COREVIH, on peut organiser les Etats généraux de la prise en charge du VIH en Ile-de-France. Cela permettra de rendre public des chiffres, des donnés épidémiologiques, des statistiques indiscutables… C'est-à-dire tout ce qui fait défaut aujourd'hui pour étayer les choix de l'AP-HP. Les Etats généraux doivent aussi nous permettre grâce aux témoignages de patients de dire ce dont nous avons besoin, ce que nous voulons. Il est inadmissible que l'avis des patients ne soit pas pris en compte. Nous sommes dans un rapport de force. C'est à nous d'imposer notre calendrier et d'éviter les pièges d'une fausse concertation.
Propos recueillis par Jean-François Laforgerie

(1) Chaque acte médical réalisé à un tarif, la sécurité sociale verse à l'hôpital la somme correspondante pour chaque acte réalisé. Le barème de la T2A comprend 2 300 tarifs.
Plus d'informations sur le Collectif de patients citoyens sur
http://www.collectif-de-patients.com/