"Cette histoire, ce passé vrai, on doit l’écrire nous tous"

Publié par Mathieu Brancourt le 13.08.2011
3 973 lectures
Notez l'article : 
0
 
memoireArchive
Ne pas oublier, c’est aussi un combat. Dans ce but, un Fonds de dotation sur la mémoire a été créé par AIDES. Une mémoire qui sera utile à l’avenir, en collectant les témoignages des personnes concernées qui, depuis 30 ans, vivent avec le VIH. C’est aussi, un jour, monter une "Maison du sida". Coordinateur de ce projet, Michel Bourrelly évoque, pour Seronet, l’intérêt de "graver dans le marbre", ce vécu commun, ce destin partagé. Interview.
Archives.jpg

C’est quoi une mémoire sur le VIH ?
Je suis coordinateur pour AIDES sur la mémoire, afin de mettre en place un fonds de dotation, qui est déjà créé. Nommé "Sida fonds sur la mémoire", il a un conseil d’administration, à part, dont je suis membre. Simone Veil [ancienne ministre de la Santé, ndlr] en est d’ailleurs présidente d’honneur. D’autres personnalités engagées dans la lutte contre le sida y sont présentes. Notre idée est de constituer un fonds sur la mémoire du VIH, le plus large et riche possible. Nous sommes à trente ans de la première évocation du virus du sida dans la presse et à vingt-sept ans de la création de AIDES. Si, aujourd’hui, nous ne travaillons pas sur la mémoire, à un moment charnière, nous n’aurons bientôt plus aucune traces des personnes qui ont vécu les premières années de l’épidémie. Dans un premier temps, nous souhaitons avoir des "grands témoins", qui sont des personnes séropositives mais pas seulement, mais aussi des militants, des soignants et des politiques, qui ont participé à la lutte contre le sida, à son histoire. Nous avons  prévu de faire 4 000 interviews. Ce projet vise aussi à constituer une "Maison du sida", avec un lieu sur l’histoire, avec des témoignages, des films, des affiches ou des œuvres d’art. Nous voulons parler du passé dans un lieu du présent, avec des salles de conférence pour parler prévention, de la maladie. Mais aussi parler d’avenir, y évoquer la fin possible de l’épidémie et des contaminations.

Comment l’idée est-elle venue ?
Cela trottait dans nos têtes, depuis le livre "Portraits de combattants", réalisé pour les 25 ans de AIDES. A ce moment-là, en discutant avec d’autres "grands témoins", la nécessité de garder une trace du passé s’est fait sentir. Puis, plus récemment, une personne est venue nous parler du travail de la fondation Steven Spielberg, sur la Shoah, fondé sur des témoignages vidéo. C’est une première petite entrée. Puis, nous avons beaucoup parlé entre nous, beaucoup d’heures à échanger, à travailler, pour aboutir à l’idée d’une "Maison du sida". Je n’utilise pas, volontairement, le terme de musée, qui a une connotation poussiéreuse, voire un peu passéiste. Cette Maison serait un lieu à la fois de mémoire, mais aussi tournée vers l’avenir. Nous avons donc regardé ce qui existait déjà de part le monde. Nous avons constaté qu’il n’existe aujourd’hui aucun lieu qui recueille de façon "complète", les différentes formes de mémoire en lien avec le VIH/sida. Il existe des lieux avec des œuvres d’art ou des lieux pour "faire peur", comme en Thaïlande [Il existe un temple bouddhiste, accueillant des personnes séropositives en fin de vie et qui accueille des visites de touristes, tel un "musée", ndlr]. Nous voulons faire témoigner des personnes, à travers leur vécu, mais aussi par rapport à ce qu’elles ont créé. Témoigner pour vivre, survivre, ne pas oublier. Probablement que dans 50 ans, nous aurons vaincu l’épidémie, mais les générations d’alors et futures ne pourront pas percevoir ce qu’a été le sida, son impact et la lutte qui aura été nécessaire pour stopper cette épidémie. Entre la découverte en 1981, l’arrivée du dépistage quelques années plus tard, puis des traitements encore après, le laps de temps peut sembler "rapide" à l’échelle de l’humanité, alors que pour les personnes, qui ont connu cette période, ce fut extrêmement lent et souvent synonyme de mort. C’est cela que nous voulons conserver. Sur le plan militant, quand AIDES a parlé de "réduction des risques sexuels", l’association a été attaquée, on nous a traités de "criminels". A posteriori, nous n’avions pas tort, et les autres acteurs se sont désormais ralliés à cette vision. C’est aussi cela que nous voulons inscrire dans le marbre. Cette histoire du sida, nous devons l’écrire, nous tous, sinon d’autres le feront à notre place, et cela ne sera pas forcément la vérité.

A qui cela s’adresse t-il ?
Dans le Fonds, il y a aussi une idée de recherche, la volonté, entre autres, de collecter tous ces témoignages pour des chercheurs. Cela ne sera pas destiné au grand public. Il ne s’agit que d’interviews filmées, d’environ 1h30/2h. Dans ces dernières, il y aura un fil conducteur dans les questionnaires, avec des questions portant sur les traitements, l’accueil durant le dépistage, l’annonce de la séropositivité, ce que font les personnes dans leur vie, l’impact sur leur vie, etc. Tout cela afin d’obtenir notamment une vision globale sur la prise en charge à un endroit, à un moment donné. Les scientifiques pourront alors les visionner et les utiliser pour leurs recherches futures [en sciences humaines par exemple, ndlr]. Certaines interviews seront, certes, destinées au public, pour les personnes qui accepteront que leur témoignage soit utilisé. Pour le grand public, nous avons l’idée de réaliser, en parallèle, un long-métrage documentaire, sur l’épidémie de VIH. Le Fonds, pour l’instant, va se consacrer aux interviews. La Maison du sida, c’est un projet de plusieurs millions d’euros. Il faudra avoir un lieu à proprement parler… Il n’y a pas de date, mais c’est bien présent dans nos têtes et, sans doute, au fil des rencontres, allons-nous trouver les moyens et ressources pour faire sortir les murs de terre !

A quoi cela sert d’avoir une mémoire sur le VIH/sida ? Est-ce que cette mémoire du passé a du sens aujourd’hui ?
Je pense que cela a plus de sens maintenant, qu’avant. Avant, nous étions dans l’urgence, sans avoir forcément le temps de s’arrêter sur le passé, parce que la mort était très prégnante. Il y a vingt-cinq ans, quand je faisais du soutien aux personnes, il y avait un premier rendez-vous, puis un deuxième, mais le troisième, c’était au cimetière… Comment s’inscrire dans la mémoire quand nous sommes dans l’action en permanence ? Nous le sommes toujours, mais vingt-cinq ans plus tard, il est temps de conserver de préserver cette mémoire…  quand nous avons vu tant de proches partir à cause de la maladie. Il est temps parce qu’il y a encore des gens qui ont vécu cette période-là et, bientôt, ce ne sera plus le cas. Conserver cette mémoire, c’est signifier, aussi, en quoi la lutte contre le sida a transformé la santé publique, la place du malade à l’hôpital, dans ce carcan médical où le médecin était tout puissant et seul connaissant. La mémoire, ce sont les lois qui en ont découlé, sur la place du malade, la création du PaCS [Pacte civil de solidarité, ndlr], toutes ces avancées qui font que nous avons plus de droits qu’auparavant, dans une période où l’on tente de réduire les droits des malades.

Est-ce aussi une façon de lutter contre la banalisation du VIH ?
C’est compliqué car, au départ, nous avons lutté pour une certaine banalisation. Les plus âgés ont connu une forte discrimination et une peur. Une peur de l’autre, de la contamination, du fait de devenir séropositif, d’être considéré comme une "bombe virologique". AIDES et les autres associations se sont beaucoup battues contre cela. Nous avons, en partie, gagné. On peut aujourd’hui, draguer, dire à une personne qui nous intéresse que l’on est séropo, sans que celle-ci prenne ses jambes à son cou ! Cela arrive encore, mais dans une majorité de cas, les gens ont compris les modes de transmission. Mais cette banalisation à outrance à des risques, que la disparition de la reconnaissance du caractère pandémique du VIH et de sa spécificité engendre moins de financements, donc moins de possibilités d’actions innovantes qui pourraient permettre d’amener à une diminution, voire un arrêt des contaminations. Une banalisation de la maladie peut aussi amener les gens à se dire : "Si je me contamine, ce n’est pas très grave, il y a des traitements". Notre but n’est pas que les gens se contaminent ! C’est ce balancier, cet équilibre difficile à trouver, qui complique les choses. On peut se réjouir de la banalisation positive qui permet une certaine dicibilité de la séropositivité. Cela n’est pas le cas partout, mais globalement, la société a été éduquée par la lutte contre le sida et les politiques qui s’y sont investis. Mais dans notre pays, on se bat aussi contre une banalisation excessive qui, pour le coup, est négative, et qui entraine un désengagement dans la lutte contre le sida et une perte d’intérêt porté à la prévention. La mémoire serait une sorte de "thermostat" de la normalisation, une façon de la gérer, en montrant ce qui c’est passé, ce que cela aurait pu être et ce que l’on a réalisé. Un balancier donc, dans une idée de mémoire.

Propos recueillis par Mathieu Brancourt.

Commentaires

Portrait de Ferdy

Il faudra sans doute être très patient, mais l'objectif est louable. Ne pas oublier les proches, celles et ceux qui ont accompagné des malades notamment. Vaste entreprise. A quelle échelle ? France ? communauté francophone ? internationale ? A suivre.