Discriminations LGBT : et la santé dans tout ça !

Publié par jfl-seronet le 15.11.2012
2 799 lectures
Notez l'article : 
4
 
orientation sexuelleidentité de genre
En octobre dernier, le gouvernement de Jean-Marc Ayrault a lancé un grand travail de réflexion visant à établir un ambitieux "programme d’action gouvernemental contre les violences et les discriminations commises à raison de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre". Ce travail s’est déroulé en ateliers ; les associations invitées pouvaient également apporter leurs contributions écrites. C’est ce qu’a fait AIDES concernant différents sujets.
Discrimination_lgbt_autocollants.jpg

C’est, assez logiquement, sur le lien entre discriminations et VIH que s’ouvre la contribution de AIDES donnée au ministère des Droits des femmes - la mission sur ce programme a été confiée à Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des femmes et porte-parole du gouvernement. "Un monde sans sida est possible. Nous sommes à une période charnière : d’un côté, nous n’avons jamais eu autant d’outils efficaces à notre disposition. Les traitements peuvent, aujourd’hui, réduire la quantité de virus dans l’organisme jusqu’à la rendre indétectable, diminuant d’au moins 96 % les risques de contamination des partenaires, explique AIDES. La revue médicale "The Lancet" suggère ainsi qu’en combinant proposition systématique de dépistage et proposition d’un démarrage du traitement anti-VIH pour les personnes séropositives, et ce partout dans le monde, il est possible de réduire mécaniquement le nombre de nouvelles contaminations et d’en finir avec l’épidémie d’ici à 2040".


Evidemment, il y a une condition primordiale à cela, avance AIDES : "Cet objectif n’est pas réalisable en l’absence de volonté politique, notamment face aux discriminations dont font l’objet les populations vulnérables au VIH ainsi que les personnes séropositives au VIH. Ces stigmatisations ont un impact négatif sur les capacités de ces personnes à prendre soin d’elles-mêmes, elles sont un facteur d’inégalités de santé, particulièrement dans les communautés LGBT. Les populations vulnérables - hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes, usagers de drogues et personnes en situation de prostitution - sont les plus touchées par l’épidémie de VIH/sida. De récentes études démontrent que l’incidence du VIH parmi les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes en Afrique est de 5 à 25 fois plus importante que dans le reste de la population. Cependant, en raison de cadres législatifs répressifs, ces populations ne sont que trop rarement prises en compte dans les politiques nationales de lutte contre le sida. A titre d’illustration, au cours de la dernière session de l’Assemblée générale de l’ONU sur le VIH/sida (UNGASS 2011), il est ressorti que seulement 18 % des pays dans le monde ont des programmes de prévention à destination des hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes. Comme l’ont souligné les différentes organisations internationales en santé (Organisation mondiale de la santé, ONUSIDA, Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme), ces discriminations et stigmatisations nourrissent l’épidémie".


Qu’en est-il pour la France ? "En France, les gays, les bis et les trans représentent près de 40 % des nouvelles contaminations tous les ans, la prévalence au VIH frôle les 20 % chez les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes fréquentant les lieux de convivialité de la région parisienne (Enquête Prevagay 2009). C’est pourquoi, dans le cadre du programme d’action gouvernementale contre les violences et discriminations commises à raison de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre, AIDES n’a pas cessé de rappeler que les questions de santé sont au cœur des besoins des personnes concernées. Alors que les communautés LGBT sont confrontées à de réels enjeux en termes de santé et de santé sexuelle en particulier, il est nécessaire de permettre un réel accès à l’information, à la prévention, et à de véritables actions de promotion de la santé. Ceci passe d’abord par la lutte contre les stigmatisations et discriminations qui sont autant de facteurs éloignant des soins ; cela passe aussi par un ensemble de campagnes et d’actions spécifiques et adaptées aux besoins, afin de permettre un rattrapage, et de répondre aux inégalités sociales de santé existantes".

AIDES aux côtés des LGBT

AIDES soutient toute action ou mesure visant à faire reculer les discriminations et favorisant l’épanouissement des individus dans leur vie, leur quotidien et leur travail, et leur permettant de prendre soin d’eux-mêmes et de leur santé. C’est évidemment valable pour les personnes LGBT. "Il est plus simple d’accepter de se faire dépister quand le VIH n’est pas porteur de stigmates condamnant les personnes à l’exclusion et au rejet. Il est plus simple de soutenir les personnes dans l’appropriation de leur santé sexuelle quand elles se sentent libres de parler de leurs pratiques, leurs envies, leurs craintes et doutes, quand il n’y a pas de peur du jugement social ou médical, explique AIDES dans sa contribution. Lutter contre le VIH et les hépatites n’est donc pas seulement une question médicale, mais une question qui interroge toute la société et s’adresse au politique. Elle implique d’agir sur les moteurs sociaux et sociétaux de l’épidémie. Le travail sur les mentalités est un processus long et complexe. Il doit être accompagné de mesures législatives et réglementaires pour faire face aux lacunes sociétales en assurant une protection par le droit".

Lutter contre la transphobie et la sérophobie
C’est ainsi qu’AIDES attend aussi "de l’Etat et des décideurs politiques qu’ils prennent leurs responsabilités en étant porteurs de normes juridiques et de programmes qui contribueront à protéger les personnes tout en faisant progresser l’ensemble de la société. Pour les personnes Trans, l’urgence est de travailler sur l’état civil et en finir avec la transphobie d’Etat. Pour les séropositifs, c’est permettre, dans le cas de violences motivées par le statut sérologique, vrai ou supposé, de rendre une justice en adéquation avec le préjudice subi et pour cela de faire entrer dans le code pénal de mention de "l’état de santé" comme critère aggravant. Lutter contre la transphobie et la sérophobie renforcerait le caractère sécurisant de l’environnement social et juridique et permettrait de pouvoir travailler plus en profondeur sur les inégalités sociales de santé dont sont victimes les personnes LGBT".

Les inégalités sociales de santé… des LGBT
"Les discriminations sont un terreau de la propagation du VIH, c’est pourquoi elles doivent être combattues. La lutte contre les discriminations, tout comme la promotion de la santé d’ailleurs, passe par l’instauration d’un environnement juridique et social ouvert et protecteur, c'est-à-dire condamnant les discriminations et inégalités liées à l’orientation sexuelle, l’identité de genre ou le statut sérologique, indique AIDES. Toute transgression des normes, en tant qu’elle est interprétée comme une rupture du contrat social, place l’individu en marge de la société. Or, la marginalisation, ou sa crainte, peut trop souvent mener à une précarisation des personnes qui, soumises aux doutes et à la crainte des jugements, conduites à mentir, se trouvent plus vulnérables sur le plan tant social que psychologique et physique. Dès lors, comment espérer que des individus puissent prendre soin d’eux-mêmes et de leur santé ? Il n’y aura pas de service de santé de qualité véritablement offert à tous tant que la problématique de la stigmatisation ne sera pas résolue. Mais il est également temps de considérer que les difficultés d’accès à la santé des LGBT constituent en elles-mêmes une discrimination, et qu’il faut lutter contre".

Une solidarité de la société tout entière
Pour AIDES, "Les stratégies de santé publique doivent pouvoir s’adapter en continu aux nouveaux besoins, grâce à une méthodologie permettant d’évaluer régulièrement l’adéquation de l’offre aux besoins repérés. Dès lors, lutter contre les inégalités de santé passe d’abord par l’action communautaire, c’est à dire des projets qui se construisent avec et en réponse aux besoins spécifiques de populations LGBT. En France, les politiques publiques suivent le principe républicain d’une égalité de droits pour tous. Mais l’égalité de droit ne doit pas être comprise comme proposer la même chose a tout le monde ; car dans ce cas, des inégalités de fait s’installent et se creusent. La loi française stipule, par exemple, que l’accès à la santé doit être le même en prison et en dehors. Dans les faits, les personnes détenues n’ont pas accès au matériel de prévention, notamment aux seringues propres pour les personnes injectrices de drogues. En matière de santé, comme dans bien d’autres domaines, pour que l’égalité de droit se traduise en égalité de fait, il faut que l’Etat accepte de favoriser, mettre en œuvre, financer des actions visant spécifiquement des populations aux prises avec les inégalités sociales de santé".

Les associations ont une "expertise et des moyens d’agir pour aider les personnes à prendre conscience du lien entre leurs pratiques, leur santé et les inégalités auxquelles elles sont confrontées ; il est donc nécessaire de reconnaître leur place, valoriser leur savoir-faire tout en pérennisant les financements de manière à ne pas compter sur la seule solidarité communautaire, mais sur une solidarité de la société tout entière", affirme AIDES. "Il est enfin primordial de mettre en commun les approches et les expériences avec d’autres communautés : tout en faisant partie de la communauté LGBT, un individu se reconnait dans d’autres communautés, sociales, culturelles, politiques, géographiques etc. Et nous devons toujours l’avoir en tête pour construire des espaces et des interactions permettant à chacun de trouver les moyens et les ressorts pour être et rester dans la meilleure santé possible. Le droit à la différence, la communauté LGBT aussi a le devoir de le protéger. L’échange sur les enjeux et les pratiques avec d’autres communautés en est sans doute l’une des clefs, et la solidarité des minorités la meilleure garantie. La lutte pour des droits égaux est un passage essentiel, mais il ne suffira pas à garantir l’égalité, notamment en matière d’accès à la santé. De ce point de vue, en effet, l’égalité passe aussi par le droit à la différence, c’est à dire la reconnaissance et la prise en compte des besoins spécifiques, notamment ceux de la communauté LGBT", mentionne la contribution écrite de AIDES.

Santé sexuelle : une lutte contre les inégalités sociales de santé
Les actions de prévention et de soutien des populations vulnérables s’inscrivent dans une démarche de promotion de la santé. La promotion de la santé a pour but de donner aux individus "davantage de maîtrise de leur propre santé et davantage de moyens de l’améliorer", indique AIDES. Cette démarche "reconnaît que la seule action sur les comportements des individus ne suffit pas pour atteindre ce but. Elle reconnaît ainsi la nécessité d’agir sur les différents facteurs ou déterminants de la santé, de ne pas déconnecter l’action de prévention et de soutien des conditions de vie individuelles et collectives des personnes". La promotion de la santé reconnaît également la communauté et les groupes dans lesquels les personnes vivent, s’identifient et participent comme un lieu de production de santé. La santé sexuelle s’inscrit dans une approche de promotion de la santé et vise, selon la définition de l’Organisation mondiale de la santé, "un état de bien-être physique, émotionnel, mental et social relié à la sexualité. Elle ne saurait être réduite à l’absence de maladies, de dysfonctions ou d’infirmités. Elle exige une approche positive et respectueuse de la sexualité et des relations sexuelles, ainsi que la possibilité d’avoir des expériences plaisantes et sécuritaires, sans coercition, discrimination et violence. Pour atteindre la santé sexuelle et la maintenir, il faut protéger les droits sexuels de chacun".


Santé sexuelle, un contexte favorable

D’un point de vue spécifique à la lutte contre le VIH/sida, la mise en œuvre concrète de stratégies de prévention combinée demande de penser un cadre, d’articuler et coordonner cette offre à partir des outils et moyens existants (préservatifs, seringues, TASP - traitement comme prévention - , counselling, mieux-être sexuel, etc.) mais aussi pour accueillir les outils qui arrivent et/ou que nous demandons : Prophylaxie pré- exposition (PrEP), Kit de traitement post-exposition, dépistages rapides des hépatites et des IST, autotests, etc. D’un point de vue structurel, la réforme-fusion des dispositifs CDAG-CIDDIST va recomposer l’organisation territoriale de cette offre et provoquer des réaffectations budgétaires. Il importe qu’une offre de promotion de la santé à portage communautaire construite avec les groupes les plus exposés et/ ou les plus éloignés de l’accès à la santé, associant une approche médicalisée intégrée.