Drogues : le Sénat épingle la MILDT

Publié par jfl-seronet le 12.12.2011
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usage de drogue
Le 29 novembre, la commission des Affaires sociales du Sénat planchait sur le rapport de la sénatrice Laurence Cohen (PC) sur l’action de la MILDT (Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie) et le budget de cette institution pour 2012. Le rapport fait de nombreuses critiques sur la stratégie de cet organisme, des critiques telles que le budget de la MILDT pour 2012 a été rejeté. Explications.
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La Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT) ne roule pas sur l’or puisque son budget est d'un peu moins de 24 millions d'euros en 2012. Pour ce prix là, elle doit "coordonner la politique gouvernementale" en matière de drogues. Elle possède un conseil scientifique qui doit permettre à cette mission de réfléchir aux orientations stratégiques de la mission. Dans le rapport qu’elle consacre à la MILDT, la sénatrice Laurence Cohen note que ce conseil scientifique ne s’est pas réuni depuis 2009. C’est, pour la parlementaire, un souci quant à l’indépendance de cet organisme. Dans son rapport, la sénatrice rappelle que le "plan gouvernemental de lutte contre les drogues et les toxicomanies, engagé en 2008, s'achève cette année. Ses cent quatre-vingt-treize mesures se répartissent entre prévention, communication, information, application de la loi, soins, insertion sociale, réduction des risques, formation, observation, recherche, coopération internationale. Malgré une approche équilibrée sur le papier, [ce plan] s'est révélé essentiellement répressif, ce qui n'a pas empêché la résurgence de la consommation de certaines drogues". Laurence Cohen préconise donc que la Mildt concilie davantage "l'application de la loi avec une véritable stratégie de santé publique".

"Cela s'avère d'autant plus indispensable que la consommation de drogues, si elle n'est plus la même qu'il y a dix ans, ne diminue pas. Avec 1,2 million d'usagers réguliers, dont 550 000 quotidiens, le cannabis est le produit stupéfiant le plus consommé. Depuis 2002, la consommation des jeunes connaît une légère baisse mais, en 2010, un tiers des adultes déclarait en avoir déjà consommé. Plus inquiétant, la banalisation de la cocaïne est avérée : sa consommation, en hausse depuis dix ans, a surtout concerné les jeunes adultes : en 2010, 2,5% d'entre eux en aurait consommé, soit près de 400 000 usagers. La consommation d'héroïne est le fait de publics fragiles et souvent jeunes. La prévention doit être renforcée, du fait des risques de surdose et de transmission des virus du sida ou de l'hépatite C. Au total, l'usage problématique de drogues concerne 230 000 personnes, dont 74 000 usagers mensuels d'héroïne et 81 000 usagers mensuels par voie intraveineuse. Souvent associée à des phénomènes de poly-toxicomanie et à des troubles psychiatriques, il affecte des populations marginalisées, dont la répression ne fait qu'aggraver les difficultés sociales", indique le rapport de la parlementaire. Cette dernière estime que : "La situation sanitaire des usagers de drogues est critique. Le taux des surdoses mortelles, qui avait baissé de 80% entre 1994 et 1999, augmente depuis le milieu des années 2000 : plus de trois cents cas par an. Le VIH est désormais mieux dépisté et traité. En revanche, la France est confrontée à une véritable épidémie d'hépatite C. La prévalence de ce virus chez les usagers de drogues par voie intraveineuse est d'environ 60%. Malgré la mise en place de programmes d'échange de seringues et le développement des traitements de substitution, le partage des accessoires de consommation propage cette maladie qui causerait entre deux mille et quatre mille décès par an".

Laurence Cohen porte aussi un regard critique sur la situation sanitaire au sein des prisons qu’elle juge "critique" et dont elle rappelle qu’elle "suscite chez bon nombre d'associations et de professionnels une indignation que je partage, de même que j'approuve le diagnostic fait par la mission commune d'information Sénat-Assemblée nationale sur les toxicomanies, dont le co-rapporteur était notre collègue Gilbert Barbier : la prison multiplie par dix le facteur de risques relatif à l'hépatite C. Des programmes d'échange de seringues devraient y être expérimentés et la continuité des soins pour les détenus toxicomanes garantie". Le rapport critique aussi la "focalisation sur la répression, qui est au cœur de la politique en matière de lutte contre la drogue et la toxicomanie, [qui] peut se révéler néfaste. La lutte contre les trafiquants est certes indispensable, mais il faut rappeler que la simple consommation d'une drogue reste un délit passible d'un an d'emprisonnement et de 3 750 euros d'amende. La Cour des comptes a sur ce point dénoncé certaines dérives des services de police : la politique du chiffre les incite à interpeller de simples consommateurs au détriment de trafics plus complexes. En conséquence, l'incarcération des usagers de drogues est repartie à la hausse, avec 2 625 peines de prison ferme prononcées en 2009 pour usage illicite. Or, cette politique répressive éloigne les toxicomanes des dispositifs de prévention et de soin".

Le rapport de la commission des Affaires sociales incite la MILDT a mieux travailler avec les associations. "Appuyons-nous davantage sur les associations. Leurs efforts, durant les années 1980 et 1990, pour l'échange de seringues ou les traitements de substitution, ont porté leurs fruits, elles sont les mieux à même de toucher les populations les plus fragiles, les plus marginales et donc les moins susceptibles de bénéficier des actions de prévention officielles. Elles ont aussi demandé l'ouverture de salles de consommation supervisées, sur le modèle de ce qui a été expérimenté chez certains de nos voisins. Quoique la mission d'information interparlementaire sur les toxicomanies ne l'ait pas jugée opportune, cette question mériterait d'être traitée d'un point de vue non pas moral mais pragmatique, afin de réduire les risques pour les usagers et les nuisances pour la société. La recrudescence des conduites à risque en matière d'usage intraveineux montre la limite des politiques actuelles", écrit Laurence Cohen.

Le rapport montre aussi le tournant de 2007. Depuis cette date : "La priorité n'est plus donnée à la prévention ni à la réduction des risques [10% des fonds de la MILDT y sont affectés, ndlr], d'où la dégradation de la situation sanitaire, affirme la sénatrice. L'emprisonnement des toxicomanes ne résoudra rien et la multiplication des arrestations de consommateurs pour gonfler les statistiques policières n'est pas acceptable. J'émets le vœu que, pour la période 2012-2015, une nouvelle orientation soit donnée à cette politique. Comme il n'est pas souhaitable de conforter les choix actuels et comme les crédits de l'Etat sont insuffisants, je vous propose d'émettre un avis défavorable à l'adoption des crédits de la Mildt". Il s’en est suivi un débat entre les sénateurs de la commission des Affaires sociales. Au terme des débats, la commission émet un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie.