EACS 2015 : les trois Europe de la lutte contre le sida

Publié par Mathieu Brancourt le 23.10.2015
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ConférencesEACS 2015

Seronet est à Barcelone, pour l’EACS, édition 2015, la plus grande conférence des chercheurs sur le VIH/sida en Europe. Dans la capitale catalane, la communauté scientifique et militante européenne de lutte contre le VIH est revenue sur les enjeux de cette lutte qui, d’Est en Ouest, connaissent des contextes très différents.

Trois Europe en une, des réponses collectives mais spécifiques. Pour saisir l’opportunité de l’objectif 90-90-90 de l’Onusida (1), qui peut mettre fin au sida en tant que menace pour la santé publique d’ici 2020, il va falloir que l’ensemble des acteurs se mobilisent sur cet immense territoire. C’est en substance ce qu’est venu rappeler Michel Kazatchkine, à la tribune, lors de la cérémonie d’ouverture. "L’Europe n’en a pas fini avec le sida. Et l’idée d’un 90-90-90 reste un vœu pieux si l’on ne se donne pas les moyens d’agir. Du Connemara à Vladivostok, nous devons comprendre qu’il n’y a pas qu’une Europe. Il y a trois Europe, avec des épidémies différentes, des réponses et des succès bien spécifiques.

L’envoyé spécial des Nations unies en Europe de l’Est reste le mieux placé pour rappeler l’immense défi à relever du côté des anciens pays de l’Union soviétique. C’est la seule zone du monde où l’épidémie continue de croitre. La couverture en traitement antirétroviral y est insuffisante (moins de 20 %), le nombre de personnes vivant avec le VIH sous-évalué assortis de politiques de santé qui stigmatisent les populations vulnérables, gays, usagers de drogues, migrants, qui les éloignent du soin comme de la prévention. Les pouvoirs publics ont une responsabilité énorme et il faut continuer de les interpeller, mais selon Michel Kazatchkine, la solution ne pourra pas venir de l’extérieur, mais des pays eux-mêmes. L’Europe de l’Ouest, censée être la bonne élève, n’a pas encore réussi à faire régresser l’épidémie chez les gays. Car au-delà de la validité des outils ou des recommandations de prévention et de traitement, ce qui fait la différence, c’est la volonté politique. C’est bien elle qui fait la pluie ou le beau temps. La PrEP, la mise sous traitement précoce, des moyens de faire reculer l’épidémie demeurent abstraits et bien souvent inaccessibles sans un cadre légal les autorisant ou les valorisant. "Il faut développer, renforcer encore les actions et programmes de prévention et mise sous traitement. "Le fameux 90-90-90 ne sera atteint qu’à ce prix" a rappelé Michel Kazatchkine.

Dans ce combat, l’EACS entend tenir sa place. Et pas seulement sur le volet scientifique. "Même si les sujets soulevés ici restent techniques, ils abordent les enjeux de vie concrets des personnes et de la lutte contre l’épidémie", a défendu Manuel Battegay, immunologiste américain basé à Bâle et président de l’EACS. "Ici, nous faisons un mélange d’état des lieux de la lutte en Europe et des espoirs et avancées des recherches médicales sur le VIH. Et pas uniquement entre chercheurs", a-t-il poursuivi. "A Barcelone, il y a aussi beaucoup de membres de la communauté VIH européenne, des activistes qui se battent aussi pour que tous les progrès accomplis depuis deux ans soient mis en pratique concrètement dans les pays", abonde Tomàs Bereczky, responsable de la communication de l’European action treatment group (EATG). Du modèle à la réalité, c’est donc la gageure pour l’Europe. De l’essai validé à la vraie vie. C’est d’ailleurs l’objet d’une des sessions de la conférence à propos de la PrEP qui, aussi efficace soit-elle, n’est pas encore largement disponible en Europe pour celles et ceux qui en ont besoin.

(1) A l’horizon 2020, 90 % des personnes vivant avec le VIH connaissent leur statut sérologique, 90 % de toutes les personnes infectées par le VIH dépistées reçoivent un traitement anti rétroviral durable et 90 % des personnes recevant un traitement antirétroviral ont une charge virale durablement supprimée.