Etrangers malades : le fond de l’air effraie !

Publié par jfl-seronet le 10.03.2011
3 778 lectures
Notez l'article : 
0
 
droit au séjour pour soins
La réforme du droit au séjour pour soins inquiète. En effet, la future loi "Immigration, Intégration, Nationalité" facilite désormais les expulsions d’étrangers malades et limite le droit au séjour pour soins. Ces nouvelles attaques (votées hier par les députés) arrivent après les coups portés par l’actuelle majorité à l’aide médicale d’Etat. Impact des mesures sur les personnes concernées, rapports de force politiques, enjeux idéologiques…
Droit_au_s__jour_pour_soins.jpg

Christian Andreo, directeur des actions nationales de AIDES, et Joseph Situ, chargé de mission Migrants à AIDES, décryptent pour Seronet la stratégie gouvernementale concernant le droit à la santé des étrangers et ses dérives.

La remise en cause des droits à la santé des étrangers qu’ils soient ou pas en situation régulière se généralise. Selon vous d’où cela vient-Il ?
Christian Andreo : Le discours de Grenoble [discours de Nicolas Sarkozy sur l’insécurité, en août 2010, hostile aux étrangers, ndlr] a lancé les choses. Il a donné la direction politique du projet gouvernemental qui est de s’atteler à la question du droit des étrangers et plus particulièrement des étrangers malades. Il y a d’abord eu les restrictions sur l’aide médicale d’Etat [AME]. Elles ont fait l’objet d’une mobilisation associative, d’un travail auprès des parlementaires, etc. Elles ont finalement été adoptées comme le droit de timbre à l’entrée du dispositif de l’AME [30 euros par an par adulte, ndlr], qui est entré en vigueur en janvier dernier, la restriction du panier de soins et la limitation du bénéfice aux ayant-droits. C’est une première étape dans un contexte où nous avons eu droit à tout : mensonges éhontés, escamotage du rapport de l’Igas avant les débats à l’Assemblée [Le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales, défavorable aux restrictions de l’AME, a été gardé secret et publié une fois la loi votée, ndlr], etc. Sur l’AME, hélas, les jeux sont faits. Ce qui est visé maintenant, c’est le droit au séjour pour les étrangers malades. D’une certaine façon, l’attaque est encore plus grave. Le gouvernement a décidé de revenir sur le dispositif actuellement en vigueur avec l’impossibilité pour les personnes étrangères malades d’obtenir un titre de séjour pour soins. Et cela grâce à de subtiles nuances sur la disponibilité des traitements dans les pays d’origine. Des personnes ayant aujourd’hui un titre de séjour pour soins risquent de se retrouver en situation irrégulière et d’être contraintes de basculer vers l’AME. Elles courent le risque, si la loi est adoptée, d’être potentiellement expulsables alors qu’elles sont malades, ce qui est, sans doute, le plus grave dans tout ça.

Ce n’est pas la première fois qu’un gouvernement tente de remettre en cause le droit au séjour pour soins… Jusqu’à présent les différentes tentatives avaient échoué. Qu’est-ce qui fait qu’aujourd’hui ces attaques sont en passe de réussir ?
Christian Andreo : Progressivement, on fait reculer les frontières de ce qui est acceptable et de ce qui ne l’est pas. Nous en avons un exemple avec ce qui s’est passé avec le dépistage forcé dans  la loi LOPPSI 2 [loi d’orientation et de programmation pour la police et la sécurité intérieure, ndlr]. Le fait qu’une telle mesure arrive à l’Assemblée nationale et soit adoptée était inenvisageable il y a dix ans. Des parlementaires comme Thierry Mariani [ancien député UMP, aujourd’hui secrétaire d’Etat aux transports] dont c’est une des grandes obsessions, ont régulièrement tenté de porter atteinte aux droits des étrangers. Généralement, ces tentatives étaient bloquées avant d’arriver en débat à l’Assemblée nationale. Des atteintes de ce type n’étaient pas envisageables ou bien alors il s’agissait d’initiatives isolées. Aujourd’hui, notre impression, c’est qu’il y a clairement une impulsion politique. Le feu vert vient d’en haut. On peut noter dans le cas de l’AME comme dans celui du droit au séjour pour soins que les sénateurs, y compris ceux de la majorité, ont proposé de revenir aux dispositifs existants… A chaque fois, cela a échoué de part la volonté du gouvernement. Il y a très clairement une intention et un projet.

Quel impact ces mesures et menaces ont-elles sur les personnes directement concernées ?
Joseph Situ : Je voudrais d’abord revenir sur la question de la volonté politique. Dès 2002, avec l’arrivée de l’actuel président de la République comme ministre de l’Intérieur, nous avons entendu des propos violents s’attaquant aux étrangers en général. Le discours était, et on le voyait d’ailleurs sur le terrain, de traquer les étrangers en situation irrégulière avec des propos du genre : "S’il le faut, on ira les traquer jusque dans les hôpitaux !" Ce discours visait à utiliser la problématique de l’immigration pour des enjeux politiques. Ce que nous vivons actuellement, c’est l’aboutissement de cette stratégie. Au niveau des communautés étrangères, les populations se sont toujours senties menacées. Le parcours de migrant sans papiers et a fortiori si l’on est malade reste toujours difficile. Les problèmes sont nombreux. Droits sociaux, regroupement familial…  nous continuons toujours de batailler sur ces sujets. Les personnes étrangères concernées finissent par certains côtés à s’y habituer… mais cela devient de plus en plus difficile. Avec ce qui se passe aujourd’hui, nous changeons carrément de registre. De nouvelles craintes se manifestent comme celle de se retrouver demain sans papiers… et donc sans droits, sans ressources, sans toit.
Trop souvent, les personnes étrangères ont le sentiment de vivre dans un endroit où elles ne sont pas acceptées ou tout juste tolérées. Je me souviens d’une intervention lors des Etats généraux migrants organisés par AIDES à Lyon. Une femme racontait une consultation où elle avait demandé à son médecin des informations sur des dispositifs sociaux. Ce dernier lui avait répondu : "Madame, vous avez déjà la chance d’être ici et en vie. N’en demandez pas trop !" Certains se demandent pourquoi on ne voit pas plus souvent les personnes migrantes en première ligne pour revendiquer leurs droits. A mon sens, il y a là une des explications au fait que des personnes étrangères semblent se contenter de ce qu’on leur concède alors qu’elles ont parfois droit à plus. C’est particulièrement visible en matière de regroupement familial. Il en va de même pour le fait d’avoir un titre de séjour pour soins alors que les gens ont un travail et qu’ils pourraient évoluer vers un titre de séjour solide du type carte de résident… Ce qui est certain, c’est que se retrouver sans papiers, c’est une véritable angoisse.

Que pensez-vous du soutien politique de la part de partis, de parlementaires dans ce combat ?
Christian Andreo : Il est intéressant de constater qu’il y a des clivages. Ceux-ci ne sont pas forcément politiques, du type gauche/droite. C’est vrai pour le Sénat. Ainsi, des sénateurs sont en capacité d’avoir une réflexion prenant en compte les impératifs de santé publique. C’est moins valable pour l’Assemblée nationale. Nous avons, grosso modo, un clivage qui se fait entre d’une part des idéologues en phase avec une certaine xénophobie d’Etat et le respect de la discipline qu’impose l’Elysée et, d’autre part, des parlementaires plus sensibles à des arguments de santé publique et davantage attachés à ce qui a fait de la France un pays assez remarquable en matière d’accès à la santé. Le dispositif du droit au séjour pour soins est jusqu’à aujourd’hui un dispositif exemplaire qui montre un attachement de la France aux valeurs d’accueil et de solidarité… Malheureusement, ce dernier courant est actuellement minoritaire chez le législateur.

Gouvernement, ministres, députés de la majorité avancent l’argument budgétaire pour justifier les restrictions de l’AME et les nouvelles mesures envisagées en matière de droit au séjour pour soins. En gros, la France n’aurait plus les moyens financiers de maintenir un tel dispositif ?
Christian Andreo : C’est faux. Concernant l’aide médicale d’Etat, nous avons entendu tout et n’importe quoi, y compris au plus haut sommet de l’Etat. A les en croire, nous allions avoir la moitié de la planète qui allait venir en France se faire refaire les seins gratuitement en bénéficiant de l’AME ! N’oublions pas que dans le même temps, le rapport de l’Igas que j’ai mentionné montrait, lui, que les mesures gouvernementales envisagées n’auraient strictement aucun impact financier voire même que le dispositif, le droit de timbre de 30 euros pour entrer dans le dispositif de l’AME notamment, allait coûter plus cher au final qu’il n’allait rapporter ! Ce ne sont pas des mesures de bon sens ou des ajustements financiers pour un Etat en faillite comme le prétend la majorité. C’est une intention politique qui n’a rien à voir avec les questions budgétaires.

Comment expliquez-vous que la revendication des associations pour que cessent ces attaques contre les étrangers malades prennent mal dans l’opinion publique ?
Christian Andreo : Plusieurs facteurs jouent. On entretient un climat favorable à ce genre de chose lorsqu’on passe son temps, comme le fait le gouvernement, à dire que l’Etat est en faillite ou qu’il n’est pas normal que les "bons Français" doivent payer une partie de leur santé alors que ce n’est pas le cas pour les personnes en situation irrégulière, en laissant entendre qu’il s’agirait d’une prime d’encouragement à l’irrégularité… Par ailleurs, on ne peut exiger de tout le monde qu’il soit très bien informé sur ces questions-là… Cette méconnaissance facilite l’approbation de certains arguments. Autre phénomène, documenté il y a plusieurs années déjà, c’est le "Not in my back yard" : le "nimby". C’est-à-dire que des personnes peuvent avoir une adhésion à des thèses humanistes dans l’absolu, mais ne pas vouloir qu’elles s’appliquent chez elles, dans leur pays. Un autre facteur joue. Lorsqu’on se sent fragilisé par rapport à un Etat qui est de moins en moins providence, de moins en moins protecteur, on peut être tenté de sauver sa peau en premier, de ne pas se sacrifier pour celle des autres. C’est humain ! Enfin, il faut reconnaitre qu’aujourd’hui les militants tout comme les personnes ne savent plus où donner de la tête. Il ne se passe pas une semaine sans qu’il n’y ait quelque chose qui sorte. C’est l’AME. Ce sont les déremboursements, les forfaits hospitaliers, puis les ALD, le dépistage forcé, etc. Depuis le début de la mandature, cela n’arrête pas. Nous sommes pilonnés de toutes parts. En réaction, les initiatives citoyennes fusent dans tous les sens… mais il arrive un moment où on se sait plus où donner de la tête. Nous sommes face à une stratégie du coup d’éclat permanent qui suscite une multiplication des champs d’indignation… Cela peut inciter chacun à se replier sur le combat qui lui est propre… Tout cela fait qu’il est extrêmement difficile pour des personnes qui ne sont pas directement impliquées sur ces dossiers, de se mobiliser. Pour autant, je note que la pétition (1) que nous avons lancée sur le droit au séjour pour soins connaît un réel succès avec plus de 10 000 signatures. C’est une première pour AIDES.
Joseph Situ : Nous vivons une période qui est marquée par une sorte d’essoufflement notamment par rapport au sida devenu une maladie chronique. En fait, plusieurs luttes contre le sida cohabitent et chaque population concernée se focalise sur ses propres attentes, ses urgences. Du coup, la solidarité des années 90 a vécu. Aujourd’hui, la question qui se pose est de savoir comment travailler sur un projet collectif alors qu’il y a une montée de l’individualisme…

Des sociétés savantes, des personnalités scientifiques, des associations, des acteurs de la lutte contre le sida ont avancé des arguments économiques, de santé publique, éthiques contre ces mesures. Aucun argument ne porte ni ne semble en mesure de faire bouger le gouvernement y compris à la marge… Est-ce que vous attendiez à ça ?

Christian Andreo : Nous l’avons vu arriver progressivement que ce soit par les propos tenus à l’Assemblée nationale, le rejet systématique des propositions alternatives… On voit qu’une certaine tradition républicaine qui consistait parfois à retenir des propositions de l’opposition ne joue plus. Nous ne sommes plus du tout, mais alors plus du tout dans cette vision-là. On le voit sur des sujets comme le débat sur les salles de consommation supervisée. C’est un très bon exemple de cette façon de faire. Le gouvernement demande à l’Inserm [Institut national de la santé et de la recherche médicale, ndlr] de travailler sur les salles de consommation supervisée. Une batterie d’experts mandatés par l’Etat produit un rapport se fondant sur toute la littérature scientifique sur cette question. Résultat ? Le Premier ministre et le président de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie balaient cela d’un revers de main en disant que ce n’est "ni utile, ni souhaitable en France".
Joseph Situ : Nous avions déjà vu venir des signes de ce genre avec le débat sur les franchises médicales. Les arguments pour s’y opposer n’avaient pas manqué non plus et rien n’y avait fait. Aujourd’hui, la mode, pour le gouvernement, est d’affirmer que c’est celui qui est malade qui est responsable et que c’est à lui de payer ses propres frais de santé. Petit à petit, c’est toute la protection sociale qui est mise à mal. Aujourd’hui, la principale cible est les migrants. Je pense que la cible va s’élargir et que d’autres acquis vont être remis en cause.

Le recul des droits qu’on connaît aujourd’hui. Le fait que le gouvernement trouve normal d’expulser des personnes étrangères malades… Est-ce un signal d’alarme, un tournant ?
Christian Andreo : C’est cohérent. Notre rôle consiste à alerter l’opinion, à lui dire : "Faites attention ! Les prochains, c’est peut-être vous !" Ce coup-ci concerne les étrangers malades… Qui d’autre la prochaine fois ? On a bien vu sur quel argument a tourné le débat sur l’aide médicale d’Etat : "Cela coûte cher, cela coûte très cher". Résultat ? Au final, on affaiblit l’AME et on supprime le droit au séjour pour des personnes malades qui vont être contraintes de se retourner vers l’aide médicale d’Etat. Les mêmes qui ont décidé cela vont alors dire : "Vous voyez malgré les mesures prises cela coûte encore plus cher. Il faut recommencer !" On connaît la suite : nouvelles restrictions, augmentation du droit de timbre, etc. Avec cette méthode, on arrive, au fur et à mesure, à faire reculer les limites de ce qui est acceptable. La campagne électorale nous permettra de mettre sur la place publique des débats qui ont été confisqués du débat public : la répartition de la richesse, le projet de société… Que veut-on comme niveau de protection ? Où met-on l’argent de l’Etat ? Quels choix fait-on ? Il revient à AIDES et à d’autres de replacer tout cela au centre du débat public.

Commentaires

Portrait de Vincent

Merci pour toutes ces analyses, elles mettent bien en avant les rapports de domination de l'appareil d'État.
Portrait de sonia

Joseph Situ :" Nous vivons une période qui est marquée par une sorte d’essoufflement notamment par rapport au sida devenu une maladie chronique. En fait, plusieurs luttes contre le sida cohabitent et chaque population concernée se focalise sur ses propres attentes, ses urgences. Du coup, la solidarité des années 90 a vécu. Aujourd’hui, la question qui se pose est de savoir comment travailler sur un projet collectif alors qu’il y a une montée de l’individualisme". Est ce la faute des individualismes ou les effets des mono-bi-tri-quadri-penta-thérapies ?