Femmes et VIH : le sida ne fait pas genre

Publié par Mathieu Brancourt le 26.10.2015
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ConférencesEACS 2015

Après une première journée de conférence EACS (21-24 octobre 2015) en forme d’état des lieux, la seconde s’est davantage tournée vers la réponse médicale et scientifique contre une épidémie dont la dynamique n’est pas la même partout. Avec un focus particulier sur la situation des femmes face aux virus. Car les inégalités de genre sont une réalité et les cliniciennes européennes se mobilisent pour la prise en compte régionale de ces enjeux.

Ladies first ! Dans les travées de la salle du centre des congrès de Barcelone, la quasi-totalité de l’audience est féminine. Sur l’estrade, les intervenantes se succèdent. Il est rare de voir la masculinité dominante dans le monde scientifique disparaitre au profit d’une majorité de femmes chercheures. Si cela se cantonne à deux sessions spécifiques aux "questions de genre", et que cela n’est pas à proprement parler du féminisme, il est agréable de voir que l’EACS a intégré ces questionnements et a laissé la parole sur les femmes… aux femmes.

Nouvelle vague

A la pointe de cette mobilisation, le rassemblement "Women against viruses in Europe" (Wave, Women against viruses in Europe - "Les femmes contre les virus en Europe"). Ce collectif rassemble des cliniciennes impliquées dans la lutte contre le VIH ou les hépatites virales, sur l’angle des problématiques spécifiques des femmes, que ce soit en matière d’accès aux soins, sur la réponse aux traitements ou encore le maintien de la charge virale à un niveau indétectable. A travers des études et des enquêtes, ces chercheures ont démontré de manière criante les inégalités ou les difficultés propres que rencontrent les femmes séropositives. En Europe, elles représentent le tiers des contaminations. Chaque minute, une femme est infectée par le VIH en Europe. Et dans quasiment tous les pays européen, le mode de contamination est majoritairement hétérosexuel.

Plusieurs présentations se sont penchées sur les conséquences concrètes de cet état des lieux. En Angleterre, l’enquête Astra, menée dans huit centres de santé du VIH pour déterminer les facteurs d’accès aux soins ont révélé les vulnérabilités de genre subies par les femmes vivant avec le VIH. Ces dernières sont plus jeunes que les personnes touchées dans les autres populations, avec 38 % d’entre elles qui ont moins de 40 ans. Elles sont plus fréquemment migrantes, d’un niveau d’études faible et davantage précaires, que ce soit en termes d’emploi ou de condition de logement. Le constat est frappant, les inégalités de genre présentes dans les sociétés européennes ont un impact direct sur la dynamique de l’épidémie et celles qu’elle touche. Preuve une nouvelle fois que l’épidémie est un révélateur social entre les femmes et les hommes.

En matière de traitement, ce contexte favorise une moins bonne observance que chez les gays ou les hommes hétéros. Elles ont donc moins souvent une charge virale indétectable que les hommes et sont sujettes aux rebonds viraux (près de 6 % contre 2 % chez les hommes ayant des relations sexuelles avec les hommes), signe d’un moins bon état de santé. Les troubles dépressifs sont plus fréquents, avec plus de 30 % des répondantes à l’enquête britannique Astra évoquant des signes de dépression. Il ne faut pas oublier également que la majorité des femmes est en âge d’avoir un enfant. Et d’après cette enquête, la grossesse pour ces femmes est un facteur d’éloignement, voire d’exclusion du soin. Les options de contraception sont souvent nombreuses, mais peu accessibles pour ces femmes précaires, plus isolées et stigmatisées. La professeure Anna-Maria Geretti, virologue à l’Institut de santé publique à Liverpool, en fait le constat clair : "C’est un fait, les situations de discriminations, de dévoilement de sa séropositivité ou la stigmatisation sont très spécifiques chez les femmes. C’est pourquoi nous devons nous rassembler, ici et ailleurs, via Wave pour que la prise de conscience ait lieu. Et celle-ci doit se faire aussi parmi la communauté scientifique". Cette dernière a sa part de responsabilité. Les femmes sont, en effet, sous représentées dans les études ou les essais cliniques dans le VIH. Avec pour conséquence une sous-évaluation des besoins des femmes concernant les traitements antirétroviraux ou l’accompagnement dans le soin durant la grossesse. Pour exemple, parmi les 597 posters d’études présentés, moins de 5 % d’entre eux étaient consacrés à ces questions spécifiques des femmes dans le VIH.