France/Etats-Unis : un médecin américain compare

Publié par olivier-seronet le 29.03.2009
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Le professeur Robert Murphy est spécialisé en maladies infectieuses au Centre hospitalier de Chicago aux Etats-Unis. Très impliqué et reconnu comme expert international du VIH/sida, il a décidé, en 2007, de donner une tournure originale à son activité professionnelle en venant passer une année dans le service de maladies infectieuses et tropicales de la Pitié Salpêtrière à Paris. Quel regard porte-t-il sur le système de santé français, sur la recherche ? Qu’a-t-il vu ? Qu’a-t-il appris ?
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Pourquoi avoir choisi la France ?
En réalité, les choses se sont faites un peu toutes seules... J’ai toujours aimé la France où je viens souvent en vacances. Je collabore depuis longtemps avec certains des experts de l’hôpital de la Pitié Salpêtrière, comme les professeurs Christine Katlama et Brigitte Autran, notamment sur des programmes de recherche dans le domaine des vaccins anti-VIH. Au fil de nos discussions, j’ai appris que des partenariats entre universitaires étaient possibles et j’ai déposé ma candidature pour intégrer l’université parisienne sur l’année 2007-2008.  Ma candidature a été acceptée et j’ai fait mes valises !

Que pensez-vous du système de santé français ?
Á mon avis, c’est de loin le meilleur du monde ! Chez nous, aux Etats-Unis, près de 20 % des habitants n’ont strictement aucune assurance sociale... C’est l’un des plus graves problèmes de notre pays. D’autant que le “prix de la santé” est beaucoup plus élevé qu’en France. Ici, la santé coûte en moyenne 3 500 dollars [2 718 euros] par an et par habitant, tout compris. Á titre de comparaison, le prix est de 6 200 dollars [4 945 euros] en Suisse et 7 000 dollars
[5 438 euros] aux Etats-Unis.

L’instauration en France des franchises médicales est-elle une forme de régression ?
Pour être honnête, les sommes demandées sont tellement faibles que quand on vient d’un pays comme le mien, on a du mal à trouver cela choquant ! Mais, selon moi, la France fait une erreur de fond en voulant trouver de l’argent dans les dépenses de santé. Comme je le disais, avec 2 871 euros par an et par habitant, la France est déjà l’un des pays du monde qui maîtrise le mieux ses dépenses de santé. Le coût des médicaments, le coût des prises en charge, tout est déjà vu “au plus juste”. Vous ne pourrez pas faire beaucoup mieux. D’autant que : d’où vient la grande partie des dépenses ? Ce ne sont pas les pathologies lourdes, mais la prise en charge des personnes âgées. Et il y en a de plus en plus. C’est ainsi ! Selon moi, avec toutes ces mesures, vous perdez un peu votre temps...

Aux Etats-Unis, les contraintes de prise en charge des frais de santé ont-elles un poids sur vos choix thérapeutiques ?
Heureusement, le médecin reste libre de ses prescriptions et les assureurs jouent leur rôle même hors autorisation de mise sur le marché (AMM). En fait, l’AMM a probablement moins de valeur aux Etats-Unis qu’en France. Chez nous, ce qui compte le plus, ce sont les recommandations d’experts. Elles sont parfaitement reconnues par les assureurs et permettent donc la même liberté de choix et de dialogue au cas par cas, médecin-patient, ce dont vous bénéficiez en France. Encore faut-il être assuré ! Et c’est là qu’est le gros du problème : certains patients ne peuvent tout simplement pas être traités.

Quelles sont les grandes différences entre la France et les Etats-Unis, sur le plan de la recherche hospitalo-universitaire ?
Les “moteurs” ne sont pas les mêmes. Ici, il y a une vraie compétition entre équipes, mais c’est une compétition intellectuelle. Aux Etats-Unis, la compétition est financière ! Nous n’avons absolument aucun salaire de la part de l’université. Tous nos revenus proviennent de fondations comme la fondation Bill Gates, la Doors Ducke... Si l’on fait de la recherche et que l’on publie, on peut obtenir une bourse pour cinq ans. Cela présente tout de même un avantage, c’est que, compte tenu des enjeux, seules les personnes qui ont vraiment travaillé sur l’article en sont signataires. Il ne suffit pas d’être le chef du service ! Et donc au delà de dix publications par an, chez nous, c’est suspect... Car on ne peut pas avoir été réellement impliqué sur plus de dix projets dans l’année !

Quelle est la plus grande faiblesse de notre système de recherche ?
Votre système fonctionne bien. Sur le VIH, la France est extrêmement productive. Certes, les Etats-Unis produisent davantage, mais nous sommes beaucoup plus nombreux ! En valeur relative, la France est extrêmement compétitive. Cette recherche est fragile. C’est le revers de la médaille du point évoqué plus haut : comme il n’y a pas de guerre pour l’obtention de bourse,  pas (ou peu) de mécénat privé, ni de dons, il en résulte que si le gouvernement décide de se désengager financièrement, c’est tout le système qui s’effondre ! Vous gagneriez à diversifier votre porte-feuille financier en trouvant d’autres sources de revenus que celles de l’Etat.

Que pensez-vous des relations entre les chercheurs et les laboratoires pharmaceutiques ?
Les choses fonctionnent beaucoup mieux que chez nous ! J’y vois deux raisons principales. La première, c'est que les instances décisionnaires (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, hôpitaux, etc.) sont relativement indépendantes des laboratoires et que les grandes décisions sont centralisées. Il faut savoir qu’aux Etats-Unis, les industriels négocient le prix des médicaments hôpital par hôpital ! Il n’y a pas de négociations centralisées. Les moyens de pressions sont donc considérables et les rapports souvent faussés. D'autre part, du fait de la taille de votre pays, les contacts sont plus faciles. Les gens se connaissent, travaillent ensemble autour de la table, etc. Les collaborations sont moins anonymes et donc plus humaines.

Quelle a été la réaction des experts américains aux recommandations suisses sur la transmission du VIH en cas de charge virale indétectable dans le sang ?
Les experts américains ont assez peu réagi car, d’un point de vue scientifique, l’information n’est pas nouvelle. On sait que, de façon générale, plus la charge virale est faible dans le sang, moins il y a de virus dans les sécrétions sexuelles. Mais en faire une déclaration officielle était probablement un peu risqué. Je pense, à titre personnel, que cela n’était pas une bonne idée.

Et le monde associatif ? Quelles différences voyez-vous entre les deux pays ?
Difficile à dire... Pour être honnête, je ne comprends pas toujours pourquoi les associations françaises se plaignent... Par rapport aux Etats-Unis, il y a déjà tant de choses, tant de protection sociale, de prise en charge... Cela me surprend toujours un peu...

Avez-vous, des bénévoles intervenants au sein des services ?
Aux Etats-Unis, rien n’est centralisé et tout se discute au cas par cas, hôpital par hôpital. Dans mon hôpital, nous avions, dans le passé, une présence associative dans le service. Mais nous avons eu des plaintes de patients qui y voyaient un non-respect de la confidentialité. Aujourd’hui, il existe des structures associatives où les patients peuvent se rendre, mais les étages de consultations sont fermés à toutes les personnes “non patients ou soignants”. Donc pas d’associatifs, ni d’industriels !

Vous avez passé un an ici, sans avoir le droit de consulter. Cela vous a-t-il manqué ? Et vos patients ?

[Le regard du docteur Murphy s’allume et il sourie] Ils m’attendent ! Je leur ai proposé de voir certains de mes confrères durant les douze derniers mois, mais je vais les retrouver dès mon retour ! J’aime le travail de consultation et cela m’a effectivement manqué. A fortiori avec mes patients, car dans le VIH, des liens forts se créent au fur et à mesure des années...

Votre”dada” pour l’avenir ?
Je ne suis pas cardiologue, mais les problèmes cardiologiques liés au VIH me semblent majeurs. J’ai plusieurs projets de recherche sur ce sujet, dont certains avec la France, et bien sûr, avec la Pitié Salpêtrière, où je compte bien revenir régulièrement !

Illustration :  Yul Studio