Generali : le contrat "Vitaly" attaqué par le Ciss

Publié par jfl-seronet le 14.09.2016
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Droit et socialconfidentialité des donnéesprotection des données

L’assureur Generali vient de lancer en France un programme baptisé "Vitaly", proposé aux personnes qu’il couvre dans le cadre d’un contrat de groupe de complémentaire santé ou de prévoyance, et qui se propose de les "inciter à améliorer leur santé". Si l’idée peut sembler "séduisante" au premier abord, elle ne va pas sans susciter de lourdes interrogations. C’est ce que pointe le Collectif interassociatif sur la santé (Ciss) dans un communiqué. Explications.

De lourdes interrogations, le Ciss en a tant au niveau des modalités proposées par Generali que du principe même que ce type d’approche peut poser si elle en venait à modifier le cadre légal protecteur qui existe en France en matière de complémentaires santé et de prévoyance.

Côté principe, le Ciss estime que la stratégie de Generali tend plus vers une "fidélisation client" plutôt que vers "un accompagnement en santé". Proposer l’accès à des produits (achat de fruits et légumes) et services (abonnement à des activités sportives ou à des programmes de remise en forme) dans le cadre d’offres négociées avec des partenaires commerciaux n’a rien de très novateur, c’est ce que propose n’importe quelle carte de fidélisation dans la grande distribution par exemple. Plus étrange, la "carotte" pour motiver l’assuré-e à recourir à ces offres n’a plus aucun lien avec la santé : réductions auprès d’une agence de voyages ou d’une plateforme de cadeaux en ligne. Cherche-t-on réellement à motiver et accompagner les changements de comportement de ceux qui en ont besoin ou à gratifier ceux qui n’ont pas de difficultés à se conformer aux standards de prévention ?", interroge le Ciss.

Un creusement des inégalités de santé

Le collectif pointe aussi un "un creusement des inégalités de santé". "Sous couvert de favoriser une approche qui incite les personnes à adopter des comportements globalement reconnus comme bénéfiques pour leur santé, une telle démarche ne risque en fait que de creuser les inégalités de santé en laissant de côté ceux qui auraient le plus besoin d’être réellement accompagnés pour faire évoluer progressivement leur comportement. Mais cela nécessiterait indiscutablement beaucoup plus de travail et d’implication de la part des services de l’assureur complémentaire que le simple fait de négocier des offres à tarif préférentiel avec quelques partenaires identifiés", tacle le Ciss. "En outre, on sait déjà que les contrats individuels onéreux financent les contrats collectifs aux tarifs attractifs : les plus exposés aux risques (notamment les personnes retraitées qui ne peuvent être couvertes que par les contrats individuels) vont donc, encore plus, financer le train de vie sanitaire des plus favorisés", analyse le collectif.

Des données personnelles à vendre

C’est l’autre point de mise en garde du Ciss. "Collecter des données personnelles avec l’assentiment de la personne adhérente au programme Vitaly, sans pouvoir légalement dans le cadre des contrats collectifs moduler les cotisations en fonction de l’état de santé [c’est interdit par la loi, ndlr], devrait résonner comme une alerte sur les données de santé. On n’a encore jamais vu un assureur collecter des données pour ne rien en faire ! C’est donc qu’elles seront probablement revendues aux partenaires du programme Vitaly et à bien d’autres assurément", dénonce le Collectif.

Il est urgent que la Cnil réagisse

"D’ailleurs, encore plus problématique : l’employeur pourrait accéder aux données anonymisées concernant leurs salariés. De quel droit ? Pour quoi faire ? Au bénéfice de qui ? Maintenant que l’alerte a été donnée, il est urgent que la Cnil se saisisse de ce cas d’espèce", enjoint le Ciss. Le Collectif demande à ce que soit préservé "l’encadrement légal protecteur des contrats de complémentaire santé". "Les assureurs proposant des contrats de complémentaires santé solidaires (plus de 90 % des contrats en France) sont soumis à l’interdiction de sélectionner leurs souscripteurs ou de leur proposer des modulations de tarifs, en fonction de leur état de santé. Cette interdiction doit absolument être préservée et renforcée puisqu’elle constitue une garantie essentielle contre les excès d’une approche trop individualiste de l’assurance santé". Et le Ciss d’indiquer qu’il faut "rappeler à chaque cotisant-e à une complémentaire santé qu’un des principes originels de l’assurance en la matière consiste à permettre une mutualisation du risque. Sélectionner le risque en gardant les prétendus "bons assurés" d’un côté et rejetant ceux perçus comme les "mauvais assurés" de l’autre fait craindre que chacun se trouve, à un moment ou à un autre, du côté des exclus lorsqu’il a justement besoin de recourir à son assurance. Le risque santé n’est heureusement pas prévisible à ce point et n’obéit pas qu’à des algorithmes ou à des statistiques, en tout cas certainement pas aussi bien que dans le cadre du risque automobile par exemple !"

"Dans le  monde de l’assurance complémentaire où il s’agit maintenant d’avoir le plus gros portefeuille d’assurés, Generali tente sans doute un coup pour attirer de nouveaux clients, sans avantage tarifaire : les prix ne seront pas plus bas. Autant que pour fidéliser des clientèles devenues maintenant très volatiles : elles seront moins tentées d’aller voir ailleurs puisqu’elles perdront leur "cher" programme Vitaly", dénonce le Ciss qui résume ce programme d’une formule : "La solidarité catégorielle pour certains seulement… et pas forcément ceux qui en ont le plus besoin !"

Le ministère de la Santé reste défavorable à l’offre de Generali
Interrogé par "La Tribune" en juillet dernier, le cabinet du ministère de la Santé a maintenu sa position hostile à l’offre de Generali. "La ministre s'inscrit contre tout projet consistant à inciter un assuré à partager avec son assureur des informations sur son état de santé ou indicatives de comportements favorables ou non à sa santé (ce que prévoit bien le dispositif de Generali, à travers les profils "bronze, argent, or"). La mise en place de tels dispositifs consisterait à avancer vers un modèle qui, à terme, serait néfaste pour le système de santé dans son ensemble", indique le cabinet de Marisol Touraine. Et ce dernier de conclure : "Ce que la ministre a clarifié est qu'elle a déjà, dans la loi de modernisation de notre système de santé, pris des mesures pour interdire un accès direct des assureurs aux données recueillies dans le cadre du parcours de soins et aux bases médico-administratives. Dans les deux cas il s'agit bien de données de santé. Le profil mentionné dans le cas du projet Generali est bien un profil indicateur de l'état de santé des personnes".

Pour aller plus loin, on vous conseille de lire "Big Brother avance ses pions : Chez Generali, pour payer moins, comportez-vous mieux !", un billet du journaliste et médecin Jean-Yves Nau publié le 6 septembre dernier sur son blog.

Vous pouvez aussi écouter l’émission "Secrets d’info" de Jacques Monin sur France Inter, programmée samedi 10 septembre 2016 à 13h20. Elle a pour thème : "Santé : ce que préparent les géants du numérique" et traite du projet de Generali.