Genève : Démobilisation… touche le Fonds !

Publié par Sophie-seronet le 26.03.2012
3 892 lectures
Notez l'article : 
0
 
AfraVIH 2012
"Démobilisation". A l’occasion de l’ouverture, dimanche 25 mars, de la 6ème Conférence francophone sur le VIH/sida à Genève, ce mot a été dit et répété, dans bien des interventions, sous tous les angles : militant, associatif, thérapeutique, politique, médical, scientifique. Un mot lourd de sens, réfléchi, mais derrière lequel se cache plus un appel à la mobilisation qu’un renoncement. Sophie était à l’ouverture… en couverture pour Seronet. Elle raconte.
gen__ve_0.jpg

Après un départ contrarié par le passage à l’heure d’été – nous avons été deux, mon portable et moi, à faire le changement horaire – et une arrivée que je pensais plus que tardive à la gare de Lyon, j’ai finalement eu tout le loisir d’attendre une heure et d’arpenter le hall de la gare. 4 heures plus tard, débarquement à Genève que je découvre. Vite les valises déposées à l’hôtel à quelques minutes de la gare pour un rendez-vous dans les locaux du Groupe sida Genève. Un moment trop bref pour faire connaissance, mais utile pour se présenter et se restaurer.


14 heures premier symposium organisé par Médecins sans Frontières (MSF) sur l’assèchement des financements, quelles conséquences pour les personnes séropositives dans les pays en développement. C’est parti… Est-ce la peine de développer le point de vue des personnes séropositives sur l’accès aux soins au Cameroun ? Le point de vue des soignants sur place ? Les perspectives de modélisation des pays du Nord pour freiner, voire pour éradiquer l’épidémie ? La mise en péril des avancées médicales face à la stagnation politique des pays en développement ? Et pourtant MSF explique que des solutions palliatives existent, ils les connaissent : ils les ont expérimentées et elles fonctionnent…

Le constat est amer. Et pendant le dernier temps des échanges, Michel Kazatchkine (ex directeur du fonds mondial contre le sida, le paludisme et la tuberculose, jusqu'à il y a peu) est invité à intervenir : "Je suis choqué, attristé, en colère. (..) Les faits doivent être dits dans l’opinion publique. Il y a un besoin impérieux d’identifier les raisons qui ont plongé la lutte contre le VIH/sida dans un tel gouffre financier. La crise économique et financière est instrumentalisée et elle sert de prétexte aux reculs politiques. L'enjeu du traitement antirétroviral comme prévention des transmissions (TasP), s’il a fait ses preuves scientifiques, reste très difficile à faire passer auprès des décideurs politiques et financiers, pour mettre le paquet sur l'accès aux traitements afin d'arrêter la propagation de l'épidémie. On a perdu le sens de l’urgence, on a laissé filer trop de choses". Le LA de la conférence est donné. Je décide, entre autres, de suivre Michel Kazatchkine à la trace au cours des sessions de la conférence et de développer son point de vue.

J’ai à peine le temps de me remettre de ce premier constat partagé que je file au second symposium. Il est 15 heures 30 et c’est Unitaid qui tient les manettes. L’approche est, cette fois-ci, plus économique. A mi-chemin de ce second symposium, des diapositives en anglais et un peu trop rapidement expédiées. L’économiste de la santé Jean-Paul Moatti n’a pas pris le temps de les traduire et la justification n’est pas très claire. Bref, je n’y comprends pas grand chose, sauf que cela fait le lien avec le premier symposium : la volonté politique et financière n’est pas à la hauteur des enjeux qu’exige la lutte contre le VIH aujourd’hui au Sud. La fin de la session s’attarde sur les questions de propriété intellectuelle, de brevets pharmaceutiques, de Patent pool (communauté de brevets) et de génériques. Je compte sur mes camarades de conférences pour développer ces enjeux essentiels. On y reviendra…

Puis vient l’ouverture officielle de la 6ème conférence francophone du VIH/sida AfraVIH 2012. Il est 17 heures 30, la salle est impressionnante et bondée. Tout le monde s’est soumis à l’exactitude du coucou suisse. Interviendront : le professeur Gilles Brücker - secrétaire général de l'AfraVih - qui lira les mots du professeur Catherine Katlama - présidente de l’alliance AfraVIH -, qui n’a pas pu être présente, le professeur Bernard Hirchel, Pierre François Unger - professeur de médecine et président du conseil d’Etat suisse, Sami Kanaan - conseiller administratif de la ville de Genève, Michel Sidibé - directeur exécutif de l’ONUSIDA, Michel Kazatchkine, Ridha Bouabid - représentant permanent de l’Organisation internationale de la francophonie, Françoise Barré-Sinoussi - prix nobel de médecine - et Ibrahima Ba, représentant du réseau mondial des personnes vivant avec le VIH.

C’est à ce moment là que j’ai trouvé le triste titre de mon papier : Démobilisation ! Il sera dit et répété sous tous les angles : militant, associatif, thérapeutique, politique, médical, recherche, réfléchi et de constat. Je suis sortie complètement minée de la cérémonie d’ouverture. Les mots portés sont nets et claquent encore dans ma tête.

Catherine Katlama lue par Gilles Brücker, son compagnon : "Les êtres humains naissent-ils libres et égaux en droit, les femmes en particulier, naissent-elles égales en droit ? (...) Le combat du VIH est un vrai reflet de ce que sont nos démocraties".
Bernard Hirschel en pur scientifique, souriant, s’est arc-bouté sur la réduction des risques (RDR). Il a de la marge. La démonstration de la RDR concernant les utilisateurs de drogues par injection en Suisse était juste parfaite et m’a laissée pantoise. Un peu comme si la RDR au niveau international pouvait être modélisée sur le schéma suisse… Comme une dernière évidence il a dit : "D’où l’intérêt de la prévention et de l’accompagnement".
Pierre François Unger : "Il faut des gens passionnés pour travailler sur la réduction des risques et un grand pouvoir de persuasion. Il faut travailler sur de nombreuses chaines ; la chaine politique en fait partie et c’est dans le respect et l’écoute de chacun qu’on y arrivera".
Sami Kanaan : "La lutte contre les discriminations, le regard sur les personnes séropositives reste encore très problématique. Le cœur du VIH, c’est la ville. Les villes francophones peuvent beaucoup en partageant leur expérience".
Michel Sidibé a fait le plus long discours de l’ouverture : "Les droits humains sont essentiels. La francophonie n’est pas qu’un outil linguistique, c’est un espace politique avec un sens aigu de la solidarité. Exprimer notre combat d’une manière cohérente. Mobiliser l’expertise francophone qui est unique. Créer des ponts pérennes entre l’Afrique et la France où il y a de telles disparités. Il y a confusion entre prévention et promotion. Les leaders politiques ignorent volontairement les vraies raisons de la mobilisation. Si on refuse le droit à la vie humaine, on refusera de faire des progrès pour le développement des peuples en général".
Michel Kazatchkine, avec une diapositive (1) en fond, en anglais, après avoir cité le philosophe Gaston Bachelard tel un adjuvant : "Dans le contexte qui est le notre je suis inquiet. Je perçois un climat de désengagement. Au Nord comme au Sud. La science a fait des progrès remarquables. En parallèle, la crise mondiale et financière se permet d’attaquer l’aide au développement. C’est paradoxal parce que c’est en période de crise que l’aide est primordiale. Un certain fatalisme, une résignation devant un contexte économique et politique plus difficile. Le cynisme n’est pas acceptable tout comme la résignation et l’apathie sont nos ennemis".
Françoise Barré-Sinoussi : "la recherche pousse un cri du cœur : Une communauté de scientifiques s’est battue pour essayer de développer au plus vite des outils de dépistage d’abord, de prévention, puis de traitements. Pas de cure [guérison, ndlr], pas de vaccin, mais des outils efficaces. Je sens une démobilisation, une sorte de ronronnement de la communauté dans son ensemble qui ne va pas dans le bon sens. Laissez le temps à la science pour trouver de nouvelles parades. Quand on est chercheur, on apprend des échecs. Ne baissons pas les bras et continuons à nous mobiliser".

 

Et pour clore l’ouverture : Ibrahima Ba, représentant du réseau mondial des personnes vivant avec le VIH (PVVIH). Il a commencé ainsi : "Merci de laisser le dernier mot aux PVVIH". Et je choisirai ses mots pour clore la session et le papier : "Attendre des actions concrètes de nos gouvernements, qu’ils nous traitent avec les taxes et les impôts que nous payons. Nous ne voulons plus compter sur les bailleurs internationaux. Nous sommes traités comme des malades et comme des bénéficiaires et non comme des personnes concernées".


Comme une évidence, comme un dépit, comme un combat d’acteurs de tous feux fatigués. L’impression qu’on sait qu’il faut faire et comment faire, mais qu’il va falloir encore attendre… Attendre alors qu’on sait.

(1) "It seems a shocking and monstrous inequity of very considerable proportions that simply because of relative affluence, I sould be living when others have died, that I should remain healthy when ilness and death be set millions of others" (Je ressens comme une monstrueuse et choquante injustice, dans une proportion extrêmement considérable et par simple fait d’une distribution des richesses, que je doive vivre alors que les autres sont morts, que je doive rester en bonne santé quand la maladie et la mort touchent des millions d’autres personnes).