Kénédougou : une région, mais aussi une association !

Publié par Mathieu Brancourt le 25.08.2011
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Créée en 1998, l’association Kénédougou solidarité intervient dans la région du même nom, au sud ouest du Mali, dans les villes de Sikasso et Koutiala. Membre du réseau Afrique 2000 (1) depuis sept ans, cette association communautaire s'implique pour une prise en charge globale du VIH/sida dans cette zone du pays. La structure, d’une centaine de salariés et bénévoles, propose accueil, écoute, dépistage et un accès aux soins médicaux pour les personnes concernées.
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De passage à Paris pour les Solidays, deux membres de l’association malienne Kénédougou solidarité ont souhaité rencontrer des partenaires associatifs français, afin d’échanger sur les actions mises en place dans la région de Kénédougou. Hassane Coulibali, responsable médical, et Younoussa Sidibé, directeur de l’association, ont expliqué le rôle dans la prévention, le dépistage et la prise en charge médico-sociale, que joue Kénédougou solidarité. Elle a été la première structure dans la région à promouvoir et à mettre en place la prise en charge globale, dont la mise sous traitement. Aujourd’hui, la prise en charge se fait au CERKES (centre de référence Kénédougou solidarité) ou à l’USAC (Unité de soin, d’accompagnement et de conseil). Dans le CERKES, situé à Sikasso, les personnes peuvent se faire dépister volontairement, avoir accès aux soins et obtenir des informations sur la prévention de la transmission du virus. En cas de résultat positif, un suivi médico-social est assuré par l’équipe du centre (médecin, pharmacien, infirmier, psychologue, etc). Les personnes mises sous traitement antirétroviral peuvent y obtenir gratuitement leurs médicaments. Aujourd’hui, c’est une file active de plus de 4 000 personnes qui est suivie par Kénédougou, dans les deux localités de Sikasso et Koutiala, dont plus de 1 200 bénéficiant d’un traitement anti-VIH. L’association a développé des partenariats avec le secteur public de soins. Elle dispose ainsi d’une USAC à Koutiala, dans un centre public de santé. L’association travaille également de concert avec l’hôpital de Sikasso, notamment sur la prévention de la transmission de la mère à enfant et la prise en charge de ces derniers.
D’après les deux militants, dire sa séropositivité reste délicat et les discriminations liées au statut sérologique, mais aussi à l’appartenance à un groupe minoritaire, comme les professionnelles du sexe ou les HSH (hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes), accentue la "pression du VIH". De ce constat, sont nées les actions de prise en charge pour les populations vulnérables et marginalisées, ainsi que les interventions pour lutter contre la discrimination et la stigmatisation. Au-delà de son centre, l’association cherche spécifiquement, auprès de différents acteurs, à mettre toutes les parties autour de la table, pour faire changer le regard sur les personnes séropositives et les groupes vulnérables et marginalisés. Ainsi, elle est l’une des rares structures à s’adresser aux homos et bisexuels. Les réticences ont été nombreuses, même au sein de l’association. Un travail sur les représentations a donc été mené en interne, avant d’être porté vers l’extérieur, auprès des politiques et des religieux, afin de mettre ces problématiques spécifiques sur la table des discussions. L’association sait que la lutte contre l’épidémie passe par le combat contre toutes formes de discriminations, afin de réduire la vulnérabilité des personnes face au VIH. Les hommes, dont les HSH, viennent encore peu au centre (plus de 70% de la file active est féminine) et très peu d’entre eux évoquent leur pratiques sexuelles (y compris les HSH). La question est pourtant transversale, sachant que ces hommes sont souvent mariés, avec quelques fois plusieurs femmes. La religion, aussi parfois, est un frein à la politique de prévention, notamment sur l’usage du préservatif. Même si les discussions avec les cultes ont permis d’accorder la notion de "péché protégé", lors d’un rapport sexuel hors mariage.
Au-delà de la sensibilisation à la situation des groupes vulnérables, l’association va à leur rencontre. Concernant les travailleuses du sexe, Kénédougou intervient dans les maisons closes, en partenariat avec Danayaso, une association de travailleuses du sexe. Dans une chambre louée à cet effet, à l’abri des regards, une équipe, avec un médecin, propose une consultation de prévention, ainsi qu’un test du VIH et des IST. En cas de résultat positif, la personne est orientée vers le centre, et se voit proposer une prise en charge. Pour la question des hommes gays ou bisexuels, il y a une formation de "pair éducateur", qui sensibilise les personnes à cette problématique, durant de (longues) discussions, dans des groupes d’affinités, appelés "grains".
Enfin, l’association développe des actions en milieu fermé : les prisons. Auparavant, il n’y avait aucun moyen d’amener une personne détenue dans un centre de santé. Désormais, à la prison centrale de Sikasso, existe une unité de soins spécifique au VIH, où l’association intervient. C’est le résultat d’une demande auprès des gouvernants de la région. L’animation de cette structure est assurée par un membre du pénitencier, souvent le chef de peloton des gardiens. Un prisonnier (souvent condamné à une longue peine) joue même le rôle du "rabatteur" pour les deux actions mensuelles, auprès des autres détenus. Les volontaires peuvent se faire dépister pour la tuberculose et le VIH. En cas de tuberculose, la personne détenue est mise à l’isolement.
Mais ces différentes actions se heurtent de plein fouet à des difficultés. La surpopulation des prisons rend délicate la confidentialité et la sexualité étant "officiellement" interdite, la distribution de matériel de prévention est difficile. L’association doit se contenter d’une distribution de lames de rasoir, pour éviter le prêt de lames usagées. L’isolement est administrativement lourd à obtenir et une libération pour une personne détenue ayant besoin d’une hospitalisation, très longue. Les recommandations de l’OMS (Organisation mondiale de la Santé) demandant un dépistage de la tuberculose en cas de séropositivité au VIH et vice-versa sont, en l’état, difficilement applicables. Dans les structures de santé, le manque de matériel, qu’il soit de prévention ou de soins, est criant. Le CERKES ne dispose pas, lui-même, des outils nécessaires au suivi, à la détection de la charge virale, et pour les examens biologiques des personnes prises en charge par l’association. Il ne peut pas fournir toutes les personnes en antirétroviraux. Ces derniers sont moins disponibles qu’avant, et manquent également les médicaments soignant les infections opportunistes. La baisse de financement de la part du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, inquiète énormément. Comme le rappelle Younoussa Sidibé, les financements internationaux signifient l’accès aux traitements pour les personnes. "Cette source est essentielle pour que les acquis restent", rappelle t-il.

(1) : Le Réseau Afrique 2000 unit depuis 1997 des associations de lutte contre le sida d'Afrique subsaharienne francophone et une association française, AIDES, plate-forme d’échanges de savoir-faire associatif. Il regroupe aujourd’hui 15 associations issues de 8 pays (Burkina Faso, Burundi, Côté d’Ivoire, France, Guinée Conakry, Mali, Niger, Togo).

VIH, le Mali en Chiffres : On dispose de peu de données sur l’épidémie sur cette région du Mali. Celles existantes concernent souvent la région de la capitale Bamako, la plus touchée, et sous-évaluent souvent la situation. Globalement, les femmes sont plus touchées que les hommes et la prévalence est plus élevée en milieu urbain que dans les zones rurales. La tranche d’âge 30-34 ans est la plus concernée (2,2% de prévalence),  mais ce qui montre aussi que l’épidémie s’est installée, dans la population générale. Dans les groupes dits vulnérables, cités précédemment, la prévalence reste extrêmement élevée, signe d’une situation préoccupante. D’après le docteur Hassane Coulibali de Kénédougou solidarité, la prévalence du virus à Bamako, chez les HSH (hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes), serait de 20 à 30%.