La meilleure part des hommes

Publié par jfl-seronet le 21.03.2012
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théâtre
"La meilleure part des hommes", le roman de Tristan Garcia, fait l’objet d’une adaptation au Théâtre de la Tempête. Pauline Bureau signe un spectacle étonnamment fort sur l’apparition du sida et son impact dans la communauté gay, défendu par une distribution investie. Un grand moment.
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De la sortie, en 2008, de "La meilleure part des hommes", le premier roman de Tristan Garcia, j’avais gardé le souvenir d’un accueil particulièrement laudateur de la critique, de la remise du Prix de Flore et de la polémique qui avait accompagné la sortie du livre. La raison ? Ce roman se nourrissait de deux figures de la communauté gay, Didier Lestrade, un des fondateurs d’Act Up-Paris, et Guillaume Dustan, romancier, décédé des suites du sida en 2005, transformées en personnages de fiction : Dominique Rossi, fondateur de Stand Up, pour l’un ; William Miller, écrivain scandaleux, défenseur du bareback, pour l’autre. Les griefs contre Tristan Garcia étaient nombreux… et certains sonnaient juste. Didier Lestrade l’explique très bien dans un récent texte publié sur minorités.org ("Le Garcia de la honte", décembre 2011)… Inutile d’y revenir ici…


Je me dois aussi de préciser qu’une, puis deux tentatives pour lire le roman, sorti en édition de poche (Folio), avaient échoué : je trouvais le livre ennuyeux (pour ne pas dire chiant), pénible dans le style. Question de goût. L’annonce d’une adaptation théâtrale m’a donné envie de retenter ma chance… de découvrir la lecture que ce jeune auteur (né en 1981) faisait, non pas en historien, mais en romancier, d’une histoire de la survenue du VIH et de l’impact qu’elle avait eue.


N’ayant pas lu le roman, il est difficile de dire ce qui dans le texte joué au Théâtre de la Tempête, souvent très beau, est dû à Tristan Garcia ou à Pauline Bureau, adaptatrice et metteur en scène du spectacle. Et dans le fond peut importe si la fidélité à l’auteur est de mise ou pas. La fidélité est pourtant au cœur de cet étonnant spectacle. Pauline Bureau l’indique bien dans sa note d’intention, elle qui écrit : "Comment rester fidèles à ses amis, ses idées, ses amours ?" De fidélité, il est toujours question dans ce spectacle. Parfois, c’est avec une approche ironique (les allusions aux œuvres publiées par Jean-Michel Leibowitz, un des personnages principaux, qui traitent justement de fidélité), parfois, c’est l’émotion contenue… Cette fidélité est aussi celle de l’amour, de l’engagement, au destin qu’on pense être le sien. Le spectacle réunit et confronte quatre personnages : un journaliste, gay, séropositif et militant, pionnier de la lutte contre le sida ; un jeune provincial, gay, qui va devenir séropositif et écrivain célèbre ; une jeune journaliste et son mentor, un intellectuel médiatique, vain et suffisant. Les quatre personnages vont se trouver au fil d’une histoire chaotique amis et/ou amants. Des personnages qui sont autant les jouets d’une histoire (l’arrivée du sida) que les ferments de cette histoire. La grande force du spectacle, outre les partis pris de mise en scène qui vont de l’efficacité à la lumineuse beauté (la fin notamment), est de proposer une lecture morcelée et rythmée, presque kaléidoscopique du roman. De fait, ce n’est pas une illustration de l’histoire du sida, ni celle des gays en France, mais d’abord une histoire de famille aux destins chahutés, aux trahisons assumées, à l’exigence constante… Si ce spectacle frappe (on rit, on y est très ému aussi… en tout cas, je l’ai été), c’est parce qu’il sonne juste et fort. Le regard caustique qu’il porte sur le cynisme des médias, sur les affres de la vie intellectuelle quand la pensée vire au tout à l’égo fait mouche. Le regard presque amoureux qu’il porte aux personnages de William et Val est très beau, subtil et délicat. Et celui qu’il porte sur Dominique (Régis Laroche), le journaliste et militant, affiche une belle acuité. Evidemment, la qualité de l’adaptation et de la mise en scène ne seraient pas grand chose sans des acteurs investis, crédibles, qui campent leurs personnages avec une grande intelligence et beaucoup de vérité. Ceux qui interprètent Val (Marie Nicolle) et William (Thibaut Corion) sont assez incroyables. Rares sont les spectacles qui traitent du sida, mais ce n’est pas la raison qui fait recommander cette pièce de théâtre. Il faut y aller parce qu’on y vit des émotions fortes et qu’on en sort durablement troublés.


"La meilleure part des hommes", d’après le roman de Tristan Garcia, adaptation et mise en scène de Pauline Bureau avec Yann Burlot, Nicolas Chupin, Thibaut Corrion, Zbigniew Horocks, Vincent Hulot, Régis Laroche, Marie Nicolle, Anthony Roullier, Adrien De Van.
Théâtre de la Tempête, Cartoucherie de Vincennes. M° Château de Vincennes, puis navette gratuite par bus. Réservations au : 01 43 28 36 36 ou sur www.la-tempete.fr. Jusqu’au 7 avril.