L’aide aux pays les plus pauvres en danger sous la gauche  ?

Publié par Rédacteur-seronet le 18.04.2014
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Initiative

"Pouvons-nous encore, au regard des difficultés que nous traversons sur le plan économique, sur le plan budgétaire, pouvons-nous encore conserver une politique ambitieuse de développement ?", c’est la question que plusieurs directeurs et directrices d’importantes organisations non gouvernementales (1) ont souhaité poser dans une tribune publiée le 6 avril dernier dans "Libération". Parmi les signataires, Bruno Spire, président de AIDES, et Hakima Himmich, présidente de Coalition PLUS.

"Monsieur le Président de la République,

"Pouvons-nous encore, au regard des difficultés que nous traversons sur le plan économique, sur le plan budgétaire, pouvons-nous encore conserver une politique ambitieuse de développement ?". Il y a un an, en clôturant les Assises du développement et de la solidarité internationale, vous vous étiez posé cette question, pour répondre immédiatement et sans ambigüité par l’affirmative. "Compte tenu de son rang, de sa place, de son histoire, de ses valeurs, je réponds oui. Nous le pouvons, nous le devons, nous le ferons", disiez-vous.

Or, un an plus tard, où en est-on ?

Or, un an plus tard, où en est-on ? Non seulement, votre affirmation, pourtant forte et claire, ne s’est pas traduite dans les faits, puisqu’en 2013 le niveau d’aide publique au développement accordé par la France est en baisse. Mais, sous prétexte de modernisation de l’Etat un risque encore plus important plane aujourd’hui sur l’aide vers les pays les plus pauvres. Un risque que les orientations prioritaires promues par votre gouvernement depuis près de deux ans soient vidées de leur substance. Et un risque bien réel pour des budgets destinés notamment à la santé materno-infantile, aux programmes d’appui à la gouvernance, à la lutte contre le sida et le paludisme, qui, pourtant, ont montré leur efficacité !

Alors que la France ne cesse de réaffirmer son engagement international de consacrer 0,7 % de son revenu national brut à l’aide publique au développement, la réalité est donc bien différente. Aujourd’hui, seul 0,46 % du revenu national contribue à cette politique, soit un investissement budgétaire réel d’environ 4 milliards d’euros, sur un budget total de la France de plus de 407 milliards. Cette contribution déjà insuffisante ne devrait subir, sous aucun prétexte, de nouveaux coups de rabot.

Pour les plus pauvres de la planète les conséquences seront considérables

Quel bénéfice économique extraordinaire tirerait-on en France de nouvelles réductions sur un budget aussi faible ? La réalité est qu’il sera à peine mesurable. Pour les plus pauvres de la planète les conséquences seront considérables, y compris en termes de vies humaines.

En 2012, l’aide française a permis de scolariser 10 millions d’enfants et d’améliorer l’accès à l’eau potable pour près de 2 millions de personnes. Seize pays d’Afrique subsaharienne, dont de nombreux parmi les pays prioritaires de l’aide française, sont aujourd’hui en bonne voie de réduire de moitié l’extrême pauvreté d’ici à 2015. Autant de preuves que l’aide publique au développement, un investissement aux effets décuplés par rapport aux sommes dépensées est source d'améliorations considérables dans les conditions de vie des populations, et que nous, citoyens français, pouvons être fiers d’y contribuer. Pour la France, la 5ème puissance économique mondiale, renier aujourd’hui - sans le dire, bien sûr - ses engagements internationaux, serait renoncer à une exigence de solidarité dans le monde extrêmement inégalitaire que nous connaissons. Ce serait, sans l’avouer, faire payer les effets de notre crise aux populations les plus pauvres de la planète. Ce serait priver des enfants d’éducation, de vaccins, des malades de traitement contre le sida ou le paludisme, des agriculteurs de semences, des réfugiés d’abris et des citoyens d’électricité, de routes et de tous les moyens qui leur permettraient de sortir de l’extrême pauvreté.

Les principes sont là mais les moyens manquent

Est-ce dire que rien n’a bougé sur ce sujet en France ? Non. En un an, la France a fait évoluer sa politique de développement en se dotant d’une loi d’orientation qui contribuera à améliorer la transparence, favorisera le débat public et permettra de mieux informer les citoyens des réalisations et des résultats de cette politique. Les principes sont là mais les moyens manquent. Nombreux sont ceux qui ont ainsi regretté de ne pas voir inscrit, dans le texte, l’engagement d’une trajectoire ascendante pour atteindre l’objectif des 0,7 % et les moyens budgétaires pour y parvenir. On pourrait se satisfaire d’orientations louables et de bons principes mais dans des situations de crise qui vous ont mobilisé personnellement comme celles que traversent la Centrafrique aujourd’hui, le Mali ou la Syrie, ou, quand il s’agit de faire face aux effets pour des millions de personnes des conséquences du changement climatique, l’aide au développement est cruciale. Non pas une aide qui mettrait sous perfusion ces Etats, en nourrissant une dépendance que leurs citoyens eux-mêmes rejettent, mais bien une aide qui permette aux populations les plus vulnérables de faire face aux chocs immédiats et aux institutions nationales de se réformer pour créer les cadres d’un développement durable.

Un an après votre discours aux Assises du développement et de la solidarité internationale, nous ne pouvons croire que vous acceptiez que la réponse à ces défis soit dans de nouvelles coupes budgétaires, qui pour être faites sans publicité n’en seront pas moins réelles. Un tel chemin est incompatible avec une politique française de développement "ambitieuse" qui pour redevenir crédible doit l’être politiquement mais aussi financièrement. Pour que cette politique publique reste un des piliers majeurs de l’action étrangère de la France, votre ambition se traduira-t-elle dans le budget 2015 et celui des années à venir ?"

(1) : Parmi les signataires : Jean-Louis Vielajus : Président de Coordination SUD (représentant 130 ONG) ; Luc Lamprière : Directeur général Oxfam France ; Friederike Röder : Directrice ONE France ; Bruno Spire : Président de AIDES ; Thierry Brigaud : Président Médecins du Monde ; Jean-Marc Boivin : Directeur Handicap international France ; Khady Sakho Niang : Présidente Forum des organisations de solidarité internationale issues des migrations ; Jean-Daniel Balme : Directeur Service de coopération au développement ; Bernard Pinaud : Délégué général CCFD-Terre Solidaire ; Frédéric Apollin : Directeur général d’Agronomes et Vétérinaires sans frontières ; Hakima Himmich : Présidente de Coalition Plus ; Mike Penrose : Directeur général d’Action contre la faim ; Pierre Perbos : Président Réseau Action Climat-France, etc.