Le Rwanda, petit pays de mille collines, se bat contre le VIH

Publié par Béatrice Cyuzuzo le 28.05.2017
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Monde

Depuis le début des années 90, le Rwanda a connu la guerre civile, un génocide… malgré ces épreuves immenses, le pays a su développer une politique de lutte contre le sida qui a permis des avancées. Données chiffrées anciennes et plus récentes, rappel du contexte, témoignages, voici quelques éléments qui permettent de comprendre quels sont les enjeux de la lutte au Rwanda.

Comme beaucoup d’autres pays en voie de développement, le Rwanda se bat pour avancer, mais surtout pour se reconstruire après les divers drames que le pays a connus depuis 1990. La guerre civile a fait d’immenses ravages et détruit une partie du pays, le génocide a laissé beaucoup d’orphelins, de veuves et de veufs et l’exode de personnes un peu partout à travers le monde a été conséquent. Ces événements dramatiques ont provoqué beaucoup de dommages sur la population rwandaise, sur le plan socio-économique du pays, mais pas seulement.

Malgré toutes les tragédies qu’il a connues, le Rwanda reste un pays avec une forte densité de population, à hauteur de 12 millions d'habitants répartis sur 26,338 km2soit seulement cinq fois la superficie de Paris. La population du pays est très jeune : 52 % de la population a moins de 18 ans et 45,1 % a entre 18 et 64 ans. Le Rwanda se bat contre le VIH comme beaucoup d'autres pays en voie de développement. Le VIH était jusqu'en 1997 presque inconnu au Rwanda. La pauvreté, la mobilité géographique des forces armées, la migration volontaire ou forcée suite à une guerre civile et au génocide de 1994 ont largement contribué à exposer un grand nombre de personnes au risque d’infection par le VIH.

Une enquête menée par l'Onusida en 1997 a montré que la prévalence de l'infection au VIH était de 4,4 %. Dans la tranche d’âge 20-34 ans, les femmes sont 1,5 à 2 fois plus infectées que les hommes. En juin 2003, le nombre de personnes adultes diagnostiquées pour le VIH était de 500 000, dont 60 000 femmes enceintes. Le Rwanda comptait déjà un grand nombre d'orphelins (400 000 enfants et adolescents) suite au génocide des Tutsis de 1994. Après cette période, on estimait, selon les zones, que 4 à 28 % des ménages étaient dirigés par des femmes. Cette tendance ne risque pas de s'inverser si l'on considère l'impact du VIH sur la mortalité. Selon une étude menée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en 2004, chaque année, entre 40 000 à 50 000 enfants naissaient de mères séropositives avec un risque de transmission du virus qui s’élevait alors à 30 % de probabilité. Ce pourcentage était de 18 % en 2013, soit un très net progrès (Demographic and heath survey).

Où en est le Rwanda dans la lutte contre le VIH

Entre 2005 et 2012, le Rwanda a fait de grands progrès dans la lutte contre le VIH. A en croire un rapport de l’Onusida publié en 2008, le pays serait en bonne voie pour atteindre les objectifs nationaux et mondiaux fixés dans la lutte contre la maladie et sa diffusion. Les statistiques du ministère de la Santé montrent que la prévalence du VIH s’établit, depuis 2005, à 3 % chez les personnes entre 15-49 ans classe d’âge, dont une grande partie est de sexe féminin.

Le pays compte aujourd’hui plus de 2 150 000 personnes vivant avec le VIH ; 87 % d’entre elles connaissent leur séropositivité, 81,5 % sont sous traitement, plus de 17 000 personnes par an sont infectées par le virus et plus de 5 000 meurent du VIH (DHS 2015, Demographic and heath survey).

Des campagnes de prévention du VIH et d’incitation au dépistage volontaire, la mise en circulation de traitements gratuits, la distribution gratuite de préservatifs, la circoncision et le suivi des personnes atteintes, tous ces services ont été décentralisés au niveau des villages, dans des centres de santé avec l’aide des agents de santé présents sur le terrain. Cette stratégie a favorisé la baisse de la prévalence du VIH la faisant passer de 4,4 % en 1997 à 3 % en 2005, un chiffre qui reste stable. Grâce à cela, le Rwanda envisage d’atteindre les objectifs de la stratégie 90-90-90 pour 2020 (les objectifs fixés par l’Onusida) et d’avancer sérieusement vers ceux de la stratégie du 95-95-95 dans un avenir plus lointain.

Quels moyens d’action mettre en œuvre pour un pays comme le Rwanda, confronté au sous-développement, aux enjeux de reconstruction de ces infrastructures et au défi de la réconciliation de sa population après le génocide ? Une étude de 2015 faite par le ministère de la Santé sur la période 2014-2016, réunissant 14 222 personnes, confirme que le taux de nouvelles infections s’élève à 2,27 % par an, soit 17 000 personnes, et que la non utilisation des préservatifs concerne 70 % des gens vivant avec le VIH, pourcentage inquiétant, selon le Dr Sabin Nsanzimana en charge de la prévention du VIH/sida au ministère de la Santé.

Sur ce sujet, les autorités rwandaises reconnaissent leur part de responsabilité parce qu’elles ont sensibilisé les gens à utiliser les préservatifs, mais qu’elles n’ont pas prévu de stocks suffisants. Elles assurent néanmoins que ce type d’études les aide à s’autoévaluer et à modifier cette situation. Le Dr Sabin Nsanzimana concède : "Nous avons conscience depuis peu qu’il existe une forte demande de préservatifs mais qu’on n’a pas assez de stocks, donc c’est notre faute à nous aussi, nous allons essayer de rectifier cela. Nous avons aussi constaté qu’il y a 33 % des gens qui vivent avec le VIH dont on ne connaissait pas l’existence. Ce chiffre énorme indique aussi qu’un grand nombre de personnes n'est pas suivi et demeure donc un vecteur potentiel de propagation du VIH".

La pauvreté et les populations oubliées demeurent un frein

Certaines données permettent d’expliquer la hausse du nombre de nouvelles infections : 47 % des travailleuses du sexe et 11,1% des veuves ou veufs ou des personnes séparées de leur conjoint vivent avec le VIH. Plus inquiétant, seuls 30 % des groupes précédemment désignés se protègent ou protègent leurs partenaires lors des rapports sexuels.

Nadine, travailleuse du sexe à Kigali dans un petit quartier, Batsinda, nous explique pourquoi le préservatif n’est pas automatique dans son quotidien : "Moi, coucher avec des hommes c’est mon gagne-pain. Des fois quand on va acheter des préservatifs, les commerçants augmentent le prix, jusqu’à 500 francs rwandais (0.65 €) un paquet qui coutait avant 100 frw (0,25 €). Je ne peux pas payer 500 frw à déduire des 2 000 frw (3.35 €) qu’on me paie, et cela juste pour protéger quelqu’un. Moi je suis déjà contaminée alors les autres, je m’en fous !"

Chez les homosexuels, la prévalence est de 3,3 %, mais cette population reste ignorée par quasiment tout le reste de la société, malgré sa vulnérabilité accrue face au virus. Sur près de 400 homosexuels déclarés ayant participé à l’étude de 2015, 17 % sont travailleurs du sexe.

Les antirétroviraux sont gratuits depuis 2004 (grâce à l’aide du projet gouvernemental américain Pepfar et les engagements de la fondation Clinton) et chacun peut choisir le lieu où il aimerait les recevoir. Les personnes suivies vont une fois tous les trois mois prendre ces médicaments et elles réalisent des analyses médicales tous les six mois (numération des CD4, mesure de la charge virale). Le ministère de la Santé applique aussi un principe : que chaque personne vivant avec le VIH soit suivie par les agents de santé de sa région et le centre qui lui donne ses médicaments.

A ce propos, Thérèse, 46 ans, séropositive depuis 12 ans et enseignante dans une école primaire, dresse un constat beaucoup plus nuancé : "Le service n’est pas efficace partout, alors qu’on en a besoin surtout pour nous expliquer comment prendre les médicaments. Il y a des centres qui sont très bien comme chez Nyiramuna à Nyamirambo" (un des districts de Kigali, la capitale du Rwanda). Là-bas, les personnes suivies ont des groupes thérapies : de petits groupes de 10 à 30 personnes qui réunissent les gens vivants avec le VIH, leurs amis, les membres de la famille et des agents de santé. La participation est volontaire. Les personnes se réunissent régulièrement pour s’auto-soutenir moralement. "On se réconforte, on s’encadre, on connait qui prend bien ses médicaments, qui ne les prend pas. Quand il y a quelqu’un qui a besoin d’aide, qui n’a pas de quoi manger, parce que la plupart sont pauvres, on se doit de l’aider. Ce centre est connu pour être le meilleur et beaucoup de gens changent de lieu de traitement pour venir se soigner chez Nyiramuna".

L’OMS dit que la stratégie d’accélération du traitement va aider à atteindre l’objectif mondial du 90-90-90 de 2020, la couverture mondiale du traitement antirétroviral étant de 46 % en 2015. En Afrique, plus de 10,3 millions de personnes ont bénéficié du traitement ; le Rwanda est classé parmi les 12 pays d’Afrique qui ont augmenté la couverture du traitement de 25 % dans la période 2010-2015. Les deux premières places du classement sont occupées par l’Afrique du Sud et le Kenya.