Les applis de rencontres : boucs émissaires de la hausse des IST ?

Publié par Mathieu Brancourt le 10.06.2015
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Il n’aura fallu qu’une seule étude pour que Tinder, Happn et d’autres applications de rencontres soient vouées aux gémonies. Elles seraient les grandes responsables de la hausse des IST ! Pour tous, l’évidence était là. Ne manquait plus qu’une confirmation scientifique. Elle est tombée, pour eux, le 22 mai dernier, publiée par l’obscur Département de la santé du Rhode Island, aux Etats-Unis. Oui mais…

Sur le site de la gouverneure démocrate du Rhode Island, Gina Raimondo, ont été dévoilées les données épidémiologiques de 2013 et 2014 concernant les infections sexuellement transmissibles dans cet Etat de l’Est des Etats-Unis. D’après son Département de santé, le nombre de cas de syphilis a augmenté de 79 %, celui des gonorrhées de 30 % et du VIH de 33 % en une année. Des chiffres alarmants, qui ont été relayés dans les médias et attribués aux applications de rencontres, qui favoriseraient le nombre de prises de risques et les relations sexuelles occasionnelles avec des partenaires inconnus. Les titres de presse ont fleuri : "Tinder peut nuire à la santé", "La drague 2.0 accusée", etc. En clair, les applis augmentent les rencontres sexuelles. Les rencontres sexuelles augmentent les IST. Donc les applis sont responsables de ces IST. Fin du syllogisme. Sauf que voilà, la vérité – si tant est qu’elle existe vu le peu de données réellement exploitables –, est comme toujours fort moins simpliste ou sensationnaliste.

Raccourcis

Que la présomption d’innocence ne s’applique pas à Tinder ou d’autres applications numériques, soit ! Mais les "conclusions" de cette étude comparative américaine ne sont pas si expéditives, ni définitives. Déjà, la phrase sur le rôle des applis de rencontres, n’est qu’un minuscule passage, tronqué, du communiqué de presse du Département de santé. Ce dernier pointe effectivement le rôle de "médias sociaux" (sans jamais nommer précisément les applis), qui permettent des rencontres occasionnelles avec des partenaires sexuels inconnus. Mais la phrase continue, désignant également, sans jamais les relier à ces médias sociaux, les rapports sans préservatifs, le multipartenariat ou encore les relations sexuelles sous l’influence d’une drogue ou de l’alcool. Et cela, peu l’ont relevé.

Mais au-delà du traitement médiatique, le fond de la question intrigue. Peut-on vraiment à partir de chiffres circonscrits à un Etat, petit et peu peuplé (1 million d’habitants), tirer la conclusion suivante : les relations sexuelles issues de rencontres via des applications de rencontres sont responsables de ces contaminations par le VIH et les IST ? Pour le coup, il n’existe aucune étude ayant démontré que les relations sexuelles via Tinder ou Happn ou GrindR et Hornet chez les gays, bien plus exposés d’ailleurs, induisent davantage de prises de risques sexuels ou un relâchement de la prévention en particulier. La fameuse enquête sur le nombre supérieur de cas de VIH sur le site Craigslist, citée comme première source de cette tendance, n’étant pas significative, tant les variables et la temporalité (1998 à 2008) sont plus importantes. Ce "relapse" (relâchement) est pour le coup, un constat bien plus global et ancien que ces applis pour smartphones. En creux, c’est aussi l’équation plus de partenaires = plus de risques d’IST qui est mise en avant comme argument imparable. Communément admis, il mérite d’être nuancé.

De manière statistique, c’est entendable. Mais pourtant, ce n’est pas le nombre de partenaires, mais bien une éventuelle prise de risques qui, si elle est répétée, accentue dangereusement le risque de contracter une infection sexuelle. Qui peut donc affirmer que l’on se protège moins avec une personne rencontrée de manière virtuelle que physique ? Ici encore, on part du postulat que les utilisatrices ou utilisateurs des applis de rencontres seraient moins vigilants. En désignant, ensuite, l’application comme responsable. Et cantonnant également la protection au seul préservatif. Car il faut rappeler qu’une IST comme la syphilis peut se transmettre sans rapport vaginaux, anaux ou oraux. Et que la capote protège d’une grande majorité d’infections, mais pas de toutes. Et Tinder ou pas, les modes de contaminations ne changent pas.

Plus de cas = plus de dépistage (aussi)

Si on comprend que les chiffres effrayent et questionnent sur la prévention à mettre en place, il ne faut pas oublier qu’une hausse des cas recensés peut également être une "bonne nouvelle". C’est la preuve que les personnes sont informées des risques et viennent se faire tester, via les appels à la prévention des pouvoirs publics. La plupart des articles indiquent que ces hausses très nettes des IST s’expliquent aussi par le recours accru aux dépistages, selon les dires de la cheffe de l’étude. Mais cette explication logique n’a pas la faveur des titres de journaux ou des sites d’information. L’autre enjeu reste l’action et l’information, comme dans n’importe quel lieu où peuvent se produire des interactions menant à une relation sexuelle. Progressivement, on constate que des applis veillent à envoyer des messages de prévention aux personnes connectées, voire à mettre en relation avec des associations de lutte contre le VIH. Des pouvoirs publics, comme au Brésil, se saisissent de ces nouveaux lieux de drague. Et c’est tant mieux. Mais si l’on doit critiquer ou interpeller les applications de rencontres, c’est bien seulement sur le rappel des principes de base du safer sex. Comme dans tous les lieux de rencontres en fait.