Loi de santé : ruptures d’approvisionnement rejetées !

Publié par jfl-seronet le 26.03.2015
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ThérapeutiqueLoi de santé 2015rupture médicaments

La future loi de santé porte sur des domaines très variés et peut prendre parfois les allures d’un texte "fourre-tout", selon certains de ses détracteurs. Il n’en reste pas moins que le projet gouvernemental entend faire de réelles avancées sur des points très importants. C’est le cas des mesures envisagées contre "les ruptures d’approvisionnement en médicaments d’intérêt thérapeutique majeur". C’est l’article 36 de la future loi qui compte résoudre ce problème. Le TRT-5 a beaucoup travaillé pour proposer des améliorations qui, pour le moment, ont été rejetées. Explications.

Récemment deux médecins, les professeurs Tattevin et Dupin, publiaient une tribune dans "La Lettre de l’Infectiologue" (février 2015) : "Ruptures de stock des traitements essentiels : apprendre à vivre avec !" Les auteurs y constataient une "multiplication des situations de ruptures de stock" au cours des dernières années qui n’avait "échappé à personne", et décrivaient un phénomène structurel aux causes multiples (matières premières des médicaments fabriquées hors d’Europe, fragilité des entreprises dans un contexte économique incertain, accroissement des exigences réglementaires, retards de fabrication, défauts de produits qui sont écartés du marché, etc.) qui allait perdurer ; Durer si longtemps que les médecins allaient même devoir composer avec. Les auteurs annonçaient une autre mauvaise nouvelle : Ce sont "les anti-infectieux" qui "viennent en tête des classes thérapeutiques affectées par ce phénomène de rupture de stock", selon les données 2013 de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM).

Les ruptures, un problème ancien

Le phénomène des ruptures de médicaments n’est pas nouveau et concerne de très nombreuses spécialités médicales, dont les antirétroviraux. Alerté par des personnes vivant avec le VIH et par des médecins sur la survenue régulière de ruptures d’approvisionnement en médicaments anti-VIH dans des pharmacies de ville, le TRT-5 (1) décide de monter au front contre les ruptures d’approvisionnement et leurs conséquences pour les personnes : des arrêts de traitement. "C’était il y a cinq ans, explique Hélène Pollard, membre du TRT-5 (2). Nous avons lancé un Observatoire des ruptures d’approvisionnement des pharmacies en antirétroviraux. Au moyen d’un questionnaire, les personnes indiquaient un délai inhabituel pour obtenir leur traitement, ou le fait d’avoir été obligé de s’adresser à une autre pharmacie de ville ou même hospitalière, voire l’arrêt temporaire du traitement du fait du manque de disponibilité de ces médicaments, etc. Nous avons pu ainsi recenser de nombreux incidents. A la suite de nos constats, nous avons entamé des discussions avec la Direction générale de la Santé (DGS), l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), Le Leem (Les entreprises du médicament, le syndicat des labos), des syndicats des pharmaciens, des représentants des grossistes-répartiteurs, etc. Des solutions ont été mises en œuvre assez rapidement comme les numéros d’urgence des laboratoires pharmaceutiques pour répondre aux professionnels confrontés à des ruptures et assurer des livraisons de dépannage. Nous avons travaillé sur la traçabilité des ruptures, autrement dit comment elles se produisent, quelles en sont les causes, quels médicaments sont concernés…"

Pour importantes qu’elles soient ces premières solutions répondent aux urgences, mais ne constituent pas la solution de fond au problème de santé publique posé par ces ruptures a fortiori dans le traitement du VIH, maladie pour laquelle un haut niveau d’observance est recommandé. Le TRT-5 en a bien conscience et défend au fil des discussions et des pressions qu’il exerce le principe d’une réponse réglementaire. Une première mesure de ce type est prise par les autorités de santé : le décret du 28 septembre 2012.

Décret de 2012 : peut mieux faire !

Ce décret est la conséquence directe de la loi du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé. Cette loi est la réponse politique à la crise du Mediator. Les auteurs en profitent, au passage, pour avancer sur des mesures de lutte contre les ruptures. Mesures qu’on retrouve dans le décret du 28 septembre 2012. Il a pour objet la"prévention des ruptures d’approvisionnement en médicaments à usage humain". Il pointe que le "circuit de distribution des médicaments souffre régulièrement de dysfonctionnements qui entraînent des ruptures d’approvisionnement en médicaments à usage humains". Le décret prévoit que "les exploitants doivent approvisionner tous les établissements autorisés à l’activité de grossistes-répartiteurs [c’est le maillon de la distribution entre les laboratoires fabricants et les pharmacies hospitalières ou de villes, ndlr] afin de leur permettre de remplir leur obligation de service public de manière à couvrir les besoins des patients en France". Ce décret rend obligatoire les "centres d’appel d’urgence, mis en place par les exploitants, pour le signalement des ruptures par les pharmaciens officinaux et hospitaliers et par les grossistes-répartiteurs". Enfin, il "renforce (…) le régime de déclaration de territoire de répartition par les grossistes-répartiteurs". Cela signifie qu’une entreprise qui a une activité de grossiste-répartiteur déclare à l’Agence nationale de sécurité du médicament le territoire couvert par ses activités de répartition.

"Ce décret est une modeste avancée. Le résultat nous a déçus", explique Hélène Pollard du TRT-5. "Certes, il posait les premiers jalons pour lutter contre les ruptures d’approvisionnement en médicaments, mais ne prenait pas en compte certaines démarches des usagers". Autre remarque, le décret se focalisait sur les grossistes-répartiteurs. "Ce ne sont pourtant pas les seuls responsables des dysfonctionnements", note Hélène Pollard. "On sait que les causes sont multiples. Par ailleurs, le décret ne permettait pas d’avancer sur une de nos demandes prioritaires : la mise en œuvre d’une liste de médicaments d’intérêt thérapeutique majeur, des médicaments bénéficiant d’un statut particulier pour lesquels il faut absolument éviter les ruptures d’approvisionnement parce que c’est avec ce type de médicaments qu’elles sont les plus préjudiciables aux malades".

C’est quoi une rupture d’approvisionnement ?

Le Code de la santé publique définit la rupture d’approvisionnement, comme étant "l’incapacité pour une pharmacie d'officine ou une pharmacie à usage intérieur (...) de dispenser un médicament à un patient dans un délai de 72 heures. Ce délai peut être réduit à l'initiative du pharmacien en fonction de la compatibilité avec la poursuite optimale du traitement du patient". 72 heures, c’est trop long dans le cadre du traitement du VIH, par exemple. Dans l’exposé des motifs (3) rédigé par le gouvernement concernant l’article 36 qui vise à lutter contre les ruptures d’approvisionnement, on voit bien le souhait des pouvoirs publics d’aller bien plus loin que le cadre du décret de 2012. En effet, il s’agit d’une part de définir ce qu’est un médicament d’intérêt thérapeutique majeur, de créer de "nouvelles obligations pour les titulaires d’autorisation de mise sur le marché" et les "exploitants (…) pour lesquels les situations de ruptures présentent le plus de risque pour les patients", de publier "une liste des médicaments d’intérêt thérapeutique majeur en situation de rupture ou en risque de rupture",  de renforcer les solutions alternatives pour pallier ces ruptures. Est aussi prévu l’encadrement des exportations applicables à ces médicaments. L’ensemble de ces points et d’autres d’ailleurs sont contenus dans l’article 36 de la loi de santé. Ce dernier renforce les contrôles (déclaration à l’ARS et à l’ANSM), avance sur les "plans de gestion des pénuries" qui sont anticipés et déposés à l’ANSM. Il prévoit également une délivrance au détail en cas de rupture. A défaut d’avoir la boîte de médicaments dont j’ai besoin dans l’immédiat, je reçois les comprimés qui me permettent d’attendre d’avoir la boîte complète sans être contraint de sauter des prises… Pour le TRT-5, ce sont de bonnes avancées, mais l’article 36 reste améliorable. "Nous avons travaillé à différents amendements permettant à cet article de répondre de façon encore plus pertinente au problème", explique Hélène Pollard.

Article 36, ce qui doit être amélioré

"Nous proposons une rédaction plus complète de la définition des médicaments d’intérêt thérapeutique majeur, prenant en compte les médicaments, les classes de médicaments et les combinaisons de médicaments. Cette dernière notion n’est pas présente dans le texte. Nous ajoutons aussi le critère d’absence d’alternatives thérapeutiques, un critère déterminant", précise Hélène Pollard. "Nous insistons aussi sur la définition même de la rupture d’approvisionnement qui peut être liée à une "rupture de stock", prévisible et la conséquence d’une faille structurelle dans le système de production et de distribution du médicament. Elles sont ainsi souvent repérées et anticipées par l’ANSM. Mais il y a aussi la "rupture de distribution", non prévisible, c'est-à-dire le non approvisionnement d’une pharmacie à cause d’aléas ponctuels sur le circuit de distribution (aléas climatiques par exemple…). Nous avons veillé dans nos propositions à ce que ces différentes situations soient prises en compte, c’est le meilleur moyen de sécuriser la chaîne de dispensation des médicaments", précise-t-elle.

"Nos propositions permettent donc de traiter les problèmes prévisibles et ceux qui ne le sont pas. Nous avons également proposé la création pour chaque territoire de santé d’un stock de médicaments, classe de médicaments ou combinaisons de médicaments d’intérêt thérapeutique majeur afin d’assurer une permanence de l’accès en cas de rupture de distribution. Enfin, nous considérons qu’il faut davantage informer les patients sur les ruptures d’approvisionnement. Cela peut se faire par le biais des pharmaciens ou des associations de patients".

Le projet de loi de santé a été examiné en commission des Affaires sociales à l’Assemblée Nationale. L’ouverture des débats est prévue mardi 31 mars. Les points d’amélioration proposés et demandés par le TRT-5 n’ont pas été repris dans l’article 36 suite aux travaux en commission des Affaires sociales ; La future loi de Santé devrait renforcer les moyens de lutter efficacement contre ces ruptures. Reste à voir si la réponse sera à la hauteur de l’enjeu.

(1) : Groupe interassociatif qui rassemble 9 associations de lutte contre le sida, créé en 1992, sur les questions thérapeutiques et celles liées à la recherche clinique sur le VIH et les hépatites virales.
(2) : Hélène Pollard est membre du TRT-5 où elle représente l’association Sol en Si. Elle est notamment en charge de l’Observatoire des ruptures d’antirétroviraux du TRT-5.
(3) : C’est le texte d’ouverture d’une loi ou d’un amendement qui vise à présenter les raisons de fait et de droit qui justifient, selon son auteur, l'adoption du texte ou de l’amendement.

Commentaires

Portrait de gay_09

J'ai découvert récemment que la trithérapie dont j'ai besoin était en rupture de stock...

Mon pharmacien m'a alors parlé de "contingentement de médicaments..."

Il m'a expliqué qu'un labo avait le droit d'arréter de vendre des medocs après un certain nombre de médocs vendus par mois... et que si le contagentement est atteint, on ne peut plus se procurer de médocs...

*** Un propos a été modéré ***