Lutte contre le sida : London calling !

Publié par Nico-Seronet le 10.10.2014
6 552 lectures
Notez l'article : 
2
 
0
ConférencesIAPAC 2014

Les 18 et 19 septembre derniers, se tenait à Londres un bien discret congrès, celui de l’IAPAC, l’Association internationale des professionnels de la santé impliqués dans la prise en charge du VIH. Discret, car une petite centaine de personnes était présente, cinquante d’entre-elles étaient là pour s’exprimer lors d’une table ronde ou d’une présentation. Un congrès tout en anglais où la présence nord-américaine était plus que notable. Les grands absents - étaient-ils invités d’ailleurs - étaient le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, l’ANRS (Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites) et même pas un Bernard Hirschel alors que le thème était : "Contrôler l’épidémie de VIH avec les antirétroviraux en évitant le coût de l’inaction". Un titre tout à fait dans l’air du temps, qui méritait bien qu’un des reporters de Seronet se déplace afin de faire la petite souris francophone.

L’Onusida pressé d’en finir

Ce congrès s’est ouvert, et ce sera le fil conducteur de ces deux jours, avec une présentation pleine d’énergie de Michel Sidibé, directeur exécutif de l’Onusida, sur la stratégie mondiale pour en finir avec l’épidémie d’ici à 2020. Eh oui, plus question de 2030, il faut aller vite et selon Michel Sidibé, si nous ratons cette "fenêtre", passé 2020, il
sera beaucoup plus difficile d’en finir avec l’épidémie. Alors quelle stratégie ? De quoi allons-nous parler durant les six prochaines années ? C’est le 90/90/90, cela aurait pu être une loi ou une théorie économique, un numéro de téléphone, etc., mais en fait c’est un triple objectif. Il s’agit d’arriver, à l’horizon 2020, à 90 % des personnes séropositives qui seront dépistées, 90 % d’entre elles seront sous traitement et 90 % encore de ces dernières auront une charge virale indétectable. Michel Sidibé, n’est pas un doux rêveur, et pour arriver à cet objectif ambitieux, il faut très concrètement atteindre cet objectif d’abord dans les villes. Les villes où l’épidémie se concentre.

Les dernières années ont montré : d’un côté, l’incroyable réponse mondiale à contrôler l’épidémie dans les populations générales, mais de l’autre côté, l’immense défi, autrement plus difficile, à contrôler l’épidémie dans les populations cibles (les hommes qui ont du sexe entre hommes - HSH, les injecteurs de drogues, les trans, les travailleurs et travailleuses du sexe, les personnes sans domicile fixe, etc.). Précisons aussi que cet emballement se fait dans un contexte de raréfaction des fonds, l’ambassadrice américaine Deborah Birx auprès de PEPFAR (le plan américain de lutte contre le VIH) l’exprime très bien : il apparait ainsi urgent, selon elle, d’agir maintenant car une expansion de l’épidémie ne sera alors pas tenable financièrement.

Agir comme il faut

Se pose bien sûr la question du dépistage, Michel Sidibé reconnaît que l’approche du dépistage qui a été développée jusque-là et qui date du début de la lutte contre le VIH n’est sûrement plus la bonne. Les orateurs s’accordent tous sur l’urgence à agir maintenant auprès des populations cibles et Fabio Mesquita, le ministre de la Santé du Brésil, de dire qu’il faut s’appuyer sur l’action des communautés, des pairs, car cela est efficace ; et pourtant un retard est notable quant à laisser ces communautés proposer des services comme le dépistage. Une activiste, Anna Zakowicz de la Aids Healthcare Foundation, milite en ce sens pour que soient reconnus et légitimés : la recherche communautaire, les services offerts par les communautés qui sont engagées dans la qualité des soins, mais aussi des services médicalisés communautaires. Le dépistage n’a donc pas fini de faire sa révolution comme avec le déploiement de l’autotest dont il a aussi été question, mais plutôt en se généralisant sous tous les modes possibles : test et conseil à domicile, proposition sur le lieu de travail, à l’école, etc.

La pratique, les pratiques des professionnels, doivent aussi évoluer et rapidement pour atteindre cet objectif du 90/90/90. C’est pourquoi des alternatives sont aussi pensées dans la manière de dispenser les soins ou dans la manière de prescrire. Il est évoqué d’un côté la délivrance des antirétroviraux dans les programmes communautaires et de l’autre la "démédicalisation" de la prescription. En effet, face à l’augmentation de la demande de soins, il a été montré, comme au Mozambique ou en Afrique du Sud, qu’un transfert de tâches est possible et souhaitable du médecin aux infirmiers en ce qui concerne la prescription d’antirétroviraux.

La pratique de prescription, c’est aussi décider à quel moment proposer un traitement. C’est d’ailleurs bien l’enjeu des recommandations d’experts, comme celles de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), celles européennes ou encore françaises. Aujourd’hui, seulement 9 pays dans le monde, représentant 3 % des personnes séropositives, prescrivent le traitement de manière universelle (France, Etats-Unis, Belgique, Brésil, par exemple), c’est-à-dire que le traitement est proposé à toute personne dépistée positive. A côté de ces pays, 38 prescrivent au-dessus de 350 CD4. Et ce sont 70 pays qui représentent plus de 52 % des personnes séropositives dans le monde qui prescrivent à moins de 350 CD4. Et ces évolutions ne vont pas de soi, le ministre de la Santé du Brésil raconte l’impact délétère lorsqu’une vision dépassée de : "Comment se contrôle le VIH" est communiquée. Parler des traitements et de leurs effets indésirables terribles ébranle du même coup l’accès aux médicaments de deuxième ligne. Cela entraîne aussi des réticences des médecins à prescrire, qui croient que le virus est alors moins pire que le traitement.

Agir comme il faut, cela signifie également avec les ressources, les outils, adaptés. Par exemple la mesure de la charge virale est maintenant nécessaire pour une prise en charge de qualité alors qu’auparavant le nombre de CD4 suffisait. Badara Samb de l’ONUSIDA est clair sur ce point, nous allons vers les mêmes problèmes qu’avec les antirétroviraux, trop chers. Selon lui, il va falloir influencer le marché de la même manière que pour faire baisser le prix des traitements, ce sera le même défi avec les appareils de mesure de charge virale.

Agir là où il faut

L’action doit donc s’intensifier dans les populations les plus exposées et pour cela l’outil presque "miracle" pour savoir où agir c’est la cascade. La cascade, c’est ce diagramme qui dégringole au fur et à mesure que l’on avance et que l’on perd du monde en route. Il est utilisé pour mesurer la capacité d’un système de santé à faire entrer et à maintenir les patients dans le soin : depuis le moment du dépistage, le début de la prise en charge, la mise sous traitement, jusqu’à la suppression de la charge virale. Après la cascade américaine, toute une ribambelle de nouvelles cascades ont été établies, cascade française, cascade de la ville de San Francisco, cascade africaine, etc. Il est aussi possible d’utiliser le modèle pour l’appliquer, par exemple, à la prise en charge des accidents d’exposition et la proposition du traitement d’urgence, ou encore décliner la cascade par population cible, comme la cascade pour les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes à Moscou. La cascade permet de voir là où ça va moins bien dans les différentes étapes de la prise en charge et donc décider là où il va falloir investir ou agir pour améliorer la prise en charge. Outil pragmatique, simple à comprendre, il semble être le meilleur outil du moment pour expliquer et négocier avec les décideurs sur les mesures à prendre pour améliorer la qualité de la prise en charge. Et Julio Montaner de Vancouver, en Colombie Britannique, de préciser que "plus on multiplie les cascades, plus on trouve les niches ou agir spécifiquement".

Après ces deux journées, force est de constater que la lutte contre le sida doit faire en permanence son autocritique, se réinventer pour se dégager de nouvelles pistes et ainsi augmenter la qualité des réponses mondiales à l’épidémie ; mais aussi les mettre en œuvre. Et quel défi quand on regarde les menaces sur les financements actuels. Si certains des grands bailleurs et/ou décideurs font semblant de ne pas entendre l’annonce du "TGV sida", une partie de la réponse pourrait venir du Sud.

Par exemple, les économies africaines sont en croissance, des systèmes de taxe innovants devraient permettre de financer les budgets de la santé et de moins dépendre des bailleurs internationaux. Dans ce contexte, rares seront-ceux qui voyageront en première classe, mais une chose de sûr le "TGV sida" nous attend tous au départ !

Mais, car il y a toujours un mais. A côté du 90/90/90, les intervenants ont mentionné l’importance de lutter contre les discriminations comme clé du succès de la lutte contre le sida. Malheureusement les pistes d’action sont, là, plus rares… Ne s’agirait-il pourtant pas du quatrième 90 ? Réduire au moins de 90 % les discriminations envers les populations stigmatisées ?

Allez, vite, 2020, c’est demain !