Mariage pour tous : les Français à l’étranger ne sont pas à la noce !

Publié par jfl-seronet le 28.09.2013
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Droit et socialmariage pour tous

Impossible dans certains pays de se marier entre français et étranger de même sexe, l’affaire est connue et l’objet de nombreuses interpellations du gouvernement. Ce n’est hélas pas la seule faille de la loi sur le mariage pour tous. Des Français de même sexe ne peuvent pas se marier, sous le régime de la loi française dans les consulats français, dans certains pays car le gouvernement n’a pas préparé ses partenaires au changement de notre loi sur le mariage. C’est ce qui arrive à Alain et Thierry qui ont décidé d’interpeller le gouvernement sur cette faille du droit.

Alain et Thierry comptaient se marier en novembre prochain au consulat de France en Thaïlande, pays où vit et travaille Thierry. Tous deux sont Français, ils entament donc des démarches pour que leur mariage puisse être prononcé en Thaïlande ; très vite les obstacles se multiplient et les services consulaires rejettent finalement leur demande. La loi thaïlandaise ne permettrait pas le mariage des couples de même sexe, dès lors il ne serait pas possible pour eux de se marier dans ce pays. Décidés à faire valoir ce qu’ils estiment être leur droit : se marier sous la loi française dans un espace extraterritorial (consulat) à l’étranger, ils ont interpellé le ministère français des Affaires étrangères sur cette faille juridique de la nouvelle loi. Ils se sont également adressé à certains élus en pointe sur le sujet comme le sénateur PS Richard Yung ou le député Erwann Binet, rapporteur de la loi ouvrant le mariage aux couples de même sexe. Richard Yung leur a répondu… C’est l’un des rares élus à avoir anticipé ce problème. De son côté, Erwann Binet soutient la démarche du couple et a pris contact avec le ministère des Affaires étrangères sur cette affaire et d’autres. En effet, plusieurs couples de même sexe français sont confrontés à ce problème : au Brésil, en Australie, etc.

Le sénateur Yung répond

Sénateur des Français de l’étranger, Richard Yung (PS) fait partie des personnalités politiques interpellées sur cette faille de la loi ouvrant le mariage aux couples de même sexe. Le 19 septembre, il écrit à Alain et Thierry : "J’ai pris connaissance de votre requête auprès du ministre des Affaires étrangères suite au refus par les autorités consulaires françaises de Thaïlande de procéder à la célébration de votre mariage au motif que le mariage des couples de personnes de même sexe n’est pas autorisé en Thaïlande. Il est vrai que votre situation soulève plusieurs interrogations auxquelles la ministre déléguée chargée des Français de l’étranger a déjà partiellement répondu dans sa réponse en date du 22 août 2013 à ma question écrite du 6 juin 2013. Il ressort des explications fournies que la possibilité pour les autorités consulaires de célébrer un mariage est encadrée par la convention de Vienne du 24 avril 1963, et notamment son article 5 qui prévoit que les fonctions consulaires consistent, entre autres, à agir en qualité d’officier de l’état civil "pour autant que les lois et règlements de l’État de résidence ne s’y opposent pas", rappelle le sénateur.

Et celui-ci d’expliquer : "Il découle de l’application de cette convention deux conditions cumulatives nécessaires à l’autorisation pour le consulat de célébrer un mariage entre personnes de même sexe. D’une part, il faut que le pays ne s’oppose pas expressément à la célébration d’un mariage par les consulats étrangers. Très peu de pays sont concernés par cet obstacle (il s’agit principalement de la Suisse, du Royaume-Uni, de l’Irlande et des Etats-Unis). La Thaïlande y échappe naturellement puisque les autorités consulaires françaises y sont bien habilitées à célébrer des mariages entre Français. D’autre part, dans le cas précis d’un mariage entre personnes de même sexe, il est nécessaire de s’assurer qu’un tel mariage ne constitue pas un trouble à l’ordre public local".

Trouble à l’ordre public

"Dans la quinzaine de pays ayant légalisé le mariage entre personnes de même sexe, le trouble à l’ordre public local ne peut être utilement invoqué et la célébration par le consulat d’un mariage entre deux Français ou deux Françaises pourra avoir lieu (sous réserve que la première condition évoquée plus haut soit également remplie). La Thaïlande ne fait malheureusement pas partie de ces pays puisqu’elle n’a pas encore légalisé le mariage entre personnes de même sexe. Il est donc question de savoir si le mariage des couples de même sexe est compatible ou non avec l’ordre public local en Thaïlande", explique Richard Yung.

"La compatibilité avec l’ordre public local ne peut cependant pas se décréter sur les attitudes observées dans la société thaïlandaise à l’égard des personnes homosexuelles, ni sur une présumée bienveillance du gouvernement envers ces mêmes personnes. En effet, en l’absence d’autorisation légale du mariage entre personnes de même sexe, il est nécessaire d’interroger directement le gouvernement thaïlandais pour que ce dernier fasse expressément connaître sa position sur le sujet. C’est l’objet de la demande spécifique qui a été déposée auprès du gouvernement thaïlandais à laquelle votre lettre fait référence. Seule la réponse à cette demande pourra faire foi et donc attester de la compatibilité (ou non) avec l’ordre public local. Si les autorités consulaires françaises procédaient à votre mariage sans avoir obtenu de réponse positive à leur consultation du gouvernement thaïlandais, elles mettraient la France en infraction avec la convention de Vienne. En conséquence, nous devons attendre la position officielle du gouvernement thaïlandais pour savoir si votre mariage pourra être célébré ou non", conclut le parlementaire.

Les problèmes… c’est maintenant !

La réponse du sénateur socialiste est d’autant plus intéressante qu’il avait alerté le gouvernement en novembre 2012 sur ce type de difficultés. "L’adoption de ce texte de loi aura en effet des répercussions parfois complexes pour les Français résidant à l’étranger", écrivait-il alors. "Ainsi, de même que les maires des communes françaises, les chefs de postes consulaires auront l’obligation de célébrer les mariages entre personnes de même sexe (…) la célébration d’un mariage entre couple de même sexe dans un consulat à l’étranger pourra poser problème dans les pays où une telle célébration constituerait un trouble à l’ordre public local. Les autorités consulaires ne pourront alors procéder à la célébration du mariage en vertu de l’article 5 de la convention de Vienne du 24 avril 1963 dont la France est signataire. La France ne pouvant contrevenir à ses engagements internationaux, ni bafouer la souveraineté légitime de ces pays, il faut espérer que ces cas soient peu nombreux. Dans cette optique il serait souhaitable que la France mène une campagne diplomatique active auprès des pays dans lesquels l’application de la nouvelle loi rencontrerait de fortes résistances", on sait ce qu’il est advenu de cette mise en garde. Dans sa réponse à Alain et Thierry, Richard Yung écrit : "Permettez-moi de vous adresser mon soutien entier à votre démarche. Je serai attentif à la réponse que vous apportera le ministère des Affaires étrangères – avec lequel je suis également entré en contact sans avoir de retour pour l’instant – car celle-ci pourra être utile à toutes les personnes qui sont dans votre situation et qui nous sollicitent régulièrement (…). Dans l’espoir que votre mariage puisse avoir lieu prochainement".

Une ministre… à la question !

Dans sa réponse au couple, le sénateur Yung mentionne la démarche d’interpellation effectuée en juin dernier auprès du ministère des Affaires étrangères. Développant déjà les informations contenues dans son courrier du 19 septembre, le sénateur demandait aux Affaires étrangères : "Les autorités des pays dans lesquels la France est représentée ont-elles déjà été consultées afin de savoir si un motif d'ordre public local serait de nature à s'opposer à la célébration de mariages entre personnes de même sexe dans les consulats français? Quels sont les pays dans lesquels les autorités françaises devraient être amenées à renoncer à célébrer des mariages entre Français ?" Le 22 août, les services de la ministre chargée des Français de l'étranger, Elisabeth Conway-Mouret répondent. Les deux tiers de la réponse rappellent les pays où aucun mariage (y compris hétéro) n’est possible dans un consulat, le fait que "certains Etats disposent d'une réglementation qui s'oppose expressément à toute célébration de mariage par les consuls étrangers, puis la liste des pays qui ont "déjà adopté une législation autorisant le mariage entre personnes de même sexe. Bon, nous ne sommes guère avancés. Y a-t-il une petite lueur d’espoir ? "La très grande majorité des États n'autorisent pas le mariage entre personnes de même sexe, explique la ministre. Il s'agit donc de déterminer, dans le respect de la convention de Vienne, si la célébration d'un mariage entre personnes de même sexe par les autorités diplomatiques ou consulaires françaises dans ces différents Etats est compatible ou non avec l'ordre public local. Dans les cas où la célébration d'un mariage consulaire entre deux personnes de même sexe se heurte à l'ordre public local, il n'est pas possible d'y procéder, même à l'égard de deux Français (…) Les autorités françaises seront alors amenées à renoncer à célébrer des mariages entre personnes de même sexe. Les futurs époux concernés auront néanmoins, dans la plupart des cas, la possibilité de venir se marier sur le territoire français en application du nouvel article 171-9 du code civil. La liste des États dans lesquels le mariage consulaire entre personnes de même sexe est impossible, n'est pas fixée puisqu'elle dépend de leur ordre public local respectif. Le ministère des Affaires étrangères travaille en liaison avec les représentations diplomatiques françaises afin de déterminer, sur ce point précis, les modalités les plus appropriées de mise en œuvre de la loi n° 2013-404 du 17 mai 2013 au regard des exigences de la convention de Vienne sur les relations consulaires". Bref, retour à la case départ et le gouvernement jure qu’il y travaille.