Mariela Castro à Aides

Publié par jfl-seronet le 15.07.2015
6 312 lectures
Notez l'article : 
5
 
InitiativeLGBTsanté sexuelle

Militante et figure officielle de la politique cubaine, Mariela Castro, fille de l’actuel président Raul Castro, s’est fait un prénom en jouant les figures iconoclastes du combat pour l’égalité des droits de tous dans son pays. Fin 2014, la psychologue qui dirige le Centre national d'éducation sexuelle de Cuba est passée à Paris. A cette occasion, elle a rencontré des militants de Aides. Retour sur une recontre.

Début mai, à La Havane, des couples LGBT célèbrent publiquement leur union. Une première ! Un geste doublement symbolique : la célébration de leur amour dans un pays qui ne reconnaît pas (encore !) les unions de même sexe et un acte militant, puisque ces cérémonies se déroulent à l’occasion de la 8e Journée mondiale contre l’homophobie et la transphobie. Cette initiative, on la doit au courage d’activistes et à l’engagement de Mariela Castro, fille de Raul Castro, l’actuel président cubain et frère du mythique Fidel. Ce n’est pas la première fois que Mariela Castro monte ainsi au front pour les droits LGBT. Au fil des années, c’est même devenu un de ses combats majeurs. Mariela Castro est psychologue et dirige le Centre national d'éducation sexuelle de Cuba (Centro national de educacion sexual) qu’elle a contribué à faire connaître dans le monde entier et qui est une institution officielle créée en 1972. Depuis des années, elle mène, avec des fortunes diverses, une lutte acharnée pour que l’Etat cubain reconnaisse les droits des personnes LGBT. Fortunes diverses parce que les droits LGBT n’ont pas évolué dans ce pays. Et pourtant, son action, ses interventions, les nombreuses interviews qu’elle accorde, son rôle politique puisqu’elle est députée à l’assemblée cubaine, contribuent à changer les mentalités et ancrent cette question dans le paysage politique.

Un combat pour l’égalité des droits

Le combat qu’elle mène, c’est celui de l’égalité des droits. Dans un portrait récent que lui consacrait RFI, Mariela Castro estimait que lorsqu’elle aurait réussi à imposer l’idée d’une égalité des droits quelle que soit l’orientation ou l’identité sexuelle, cette victoire représenterait pour son pays : "un enrichissement culturel et idéologique". Et même que cela contribuerait au "renforcement des principes de cohésion sociale". Interviewée par RFI sur le sens de ces mariages symboliques entre couples de même sexe du 8 mai, elle expliquait : "A l’image de ceux qui sont ici présents, nous sommes en train de nous mettre d’accord entre militants. On estime qu’il est mieux de commencer par quelque chose de plus modeste pour voir comment ça va se passer. Il s’agit de quelques couples qui souhaitent participer à cette modeste et simple célébration d’amour". Une première étape qui pourrait sembler modeste, mais l’avancée des droits LGBT est faite de cela. Chaque pays qui s’est engagé dans cette voie a procédé ainsi, par à coups et actions symboliques.

Une première étape qui s’effectue dans un cadre particulier. Dans un reportage pour Mediapart (décembre 2014), Bernard Grau rappelait le paradoxe de la vitalité de cette institution d’Etat qu’est le Centre national de la sexualité, îlot de défense des droits LGBT, dans un pays qui a mené, tout spécialement dans les années 60, une "répression féroce" contre les homosexuels. Les persécutions homophobes du régime castriste ont duré bien plus longtemps que cette sinistre période des sixties comme en témoigne une partie de l’œuvre de l’écrivain cubain Reinaldo Arenas (2). Le Centre national de la sexualité tient donc de la vitrine officielle et de l’outil militant pour faire avancer les droits LGBT. Et cela dans un pays dont le régime est peu porté sur les libertés individuelles ou le droit des minorités sexuelles. L’action du centre est à la fois controversée à Cuba même et saluée à l’étranger.

Echange de bons procédés

Mariela Castro voyage souvent, arpentant Cuba, mais aussi de nombreux pays où elle est reçue avec intérêt et bienveillance. Fin 2014, elle a effectué un déplacement à Paris. A cette occasion, elle a rendu visite à Aides, plus précisément au lieu de mobilisation du 12ème arrondissement de Paris, pour plus de deux heures d’échanges avec les militants. Côté Aides, une présentation globale a été faite de l’association (conditions de création, valeurs de l’association, démarche communautaire, l’utilisation des moyens pour faire de la transformation sociale : plaidoyer, action, communication, recherche, etc.). L’accent a été mis sur l’offre de dépistage faite par Aides et la façon dont tout cela avait été réalisé : émergence d’un besoin du terrain, réalisation d’une recherche biomédicale montrant la faisabilité et l’efficacité d’une offre de dépistage communautaire, plaidoyer en faveur d’un changement de la loi, soutien à la loi, formation interne et externe et finalement déploiement. Elle a d’ailleurs pu assister à la présentation du déroulement d’un dépistage, à celle de l’entretien pré-test, aux gestes techniques et à l’entretien post-test. Elle a bien compris que le dépistage est une façon de déclencher la discussion autour d’autres questions, puis d’inviter les gens à participer à d’autres actions proposées par Aides.

De son côté, Mariela Castro a expliqué la politique cubaine concernant la lutte contre tous les types de discrimination, dont celle liée à l’orientation sexuelle. Evidemment, l’expérience qu’elle a décrite est très liée à sa fonction officielle et à son activité politique. Elle a pu décrire la collaboration entre les différents ministères afin de lutter contre les discriminations, citant le rôle central des ministères de l’Education et de la Culture. Ainsi le ministère de l’Education doit mettre en place des stratégies afin d’offrir une éducation qui ne reproduise pas les schémas de domination ; pour ce faire, tous les enseignants doivent être formés en santé sexuelle et développer leurs capacités à ne pas tenir des messages discriminatoires à l’encontre des minorités sexuelles.

Changement sociétal

Pour Mariela Castro, la question du VIH ne doit pas être au cœur de son action. Pour elle, on doit partir du cercle plus large de la santé globale, dont la santé sexuelle fait partie, santé sexuelle qui prend en compte le VIH. Du coup, il n’était guère surprenant que le projet de Aides concernant l’offre en santé sexuelle (OSS) ait été particulièrement bien reçu. Reste que pour Aides, le VIH n’occupe pas la même place que celle que Mariela Castro lui accorde. Pour Aides, c’est tout le sens de sa création : la question du VIH/sida et la mobilisation autour sont des exemples qui ont conduit à des changements de la société, ce que l’association définit comme la transformation sociale. Ce modèle né de la lutte contre le sida en France telle que menée par Aides est à adapter à d’autres maladies, pour d’autres populations.

Du côté du Centre national d'éducation sexuelle de Cuba, on développe beaucoup de formations pour les policiers, les magistrats, les travailleurs sociaux, etc. Ces formations ne se limitent d’ailleurs pas aux professionnels et fonctionnaires cubains, mais concernent d’autres pays d’Amérique latine et du Sud (Uruguay, Argentine, Venezuela, République Dominicaine. Son projet est donc de "travailler la base" afin de produire un changement sociétal.

Des collaborations en projets

Mariela Castro a aussi été intéressée par la volonté des militants d’aller vers les personnes dans nombre des actions de Aides, dont celles qui sont conduites dans les Caraïbes. Une région où il semblerait pertinent de proposer une collaboration concernant l’offre de santé sexuelle. Cela a semblé évident géographiquement et potentiellement riche. Des échanges de documents, dont le cahier des charges de dépistage communautaire via les Trod (tests de dépistage rapide d’orientation diagnostique) ont été actés. Les échanges devraient se poursuivre et le projet d’une mission a été évoqué pour envisager très sérieusement un projet de collaboration dans la zone Caraïbes. Evidemment, les points d’accord et les envies communes ne doivent pas taire les points de friction ou de vigilance. Point de vigilance, celui de l’héritage colonial. Il a fallu dans les échanges prendre en compte les rapports de domination entre l'Espagne et Cuba. Bien sûr, la France n’est pas l’Espagne, mais pour la France aussi et ses départements et territoires d’Outre-mer pèse le poids de l’histoire coloniale.

Autre point de débat : le travail du sexe. Du point de vue de Aides, le positionnement de Mariela Castro n’est pas clair. D’un côté, la militante déplore que la prostitution ne soit pas considérée comme un travail. De l’autre, elle considère que la prostitution est une marchandisation des êtres humains et qu’elle constitue une forme de domination inacceptable. D’ailleurs, elle expliquait dans une interview de 2013 : "Je pars du principe que toute personne est libre de disposer de son corps. Néanmoins, j’ai parlé avec de nombreuses prostituées partout dans le monde et je puis vous garantir qu’aucune d’entre elles ne réalise cette activité par plaisir, mais par nécessité. Il n’y a pas de choix dans la prostitution mais une imposition forcée, qu’elle vienne d’une personne ou de la société" (3).

Première rencontre, premiers échanges… futurs projets. Chacun y travaille de son côté avec ses contraintes, sa vision, sa stratégie. Dans une interview de 2013, Mariela Castro expliquait sur le site "Le Grand soir", dans le détail le rôle du Centre national et les raisons de son combat pour l’égalité des droits des LGBT. Au journaliste qui lui demandait : "Certains s’étonnent qu’une femme hétérosexuelle comme vous, mariée, avec des enfants, défende le droit à la diversité sexuelle", elle avait répondu : "Faut-il être issu d’une minorité ethnique pour combattre le racisme ? Faut-il être une femme pour défendre le droit des femmes ? Faut-il être handicapé pour défendre le droit des handicapés ? Faut-il être travailleur pour défendre les droits de la classe ouvrière ? (…) La lutte pour l’égalité et contre toutes les injustices est un devoir universel qui doit concerner l’ensemble des citoyens".

(1) Lors de cette rencontre étaient présents Mariela Castro et son mari, Virgilio Lora Quesada, conseiller politique auprès de l’ambassadeur de la République de Cuba en France, des militants de Aides dont Michel Simon, Nicolas Beyly, Noham Nahim, Daniela Rojas Castro et Olivier Ponsoye et Roger Herrera (Link, Fonds de dotation caritatif qui finance la lutte contre le sida).
(2) : Son roman "Avant la nuit" aux éditions Actes Sud, collection Babel. Le roman a été adapté au cinéma par Julian Schnabel avec Javier Bardem dans le rôle d’Arenas.
(3) : Interview sur le site "Le Grand Soir", propos recueillis par Salim Lamrani.