Médicaments : les prix flambent, mobilisons-nous !

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Thérapeutiqueprix du médicament

Les prix exorbitants et non-justifiés des médicaments qui peuvent guérir l'hépatite C font débat depuis plusieurs mois. La polémique lancée par le prix du Sovaldi et le rationnement de son accès ont conduit les associations, dont AIDES, à dénoncer la situation, ouvrir le débat sur le prix du médicament, faire des propositions concrètes d’amélioration du système. Mais avant tout, l’important est de comprendre ce qui est en jeu.

Des prix de médicaments qui flambent… On a parfois tendance à incriminer uniquement les laboratoires de cette situation intenable pour les personnes malades comme pour les finances publiques et la pérennité de notre système de santé. Pourtant, ils ne portent pas seuls cette responsabilité, l'Etat, les gouvernements successifs, ont laissé faire ; ils n'ont pas utilisé les moyens légaux à leur disposition. C'est en train de changer, et notamment grâce aux pressions des associations. AIDES y travaille depuis près de deux ans et fait des enjeux du prix du médicament une priorité de son plaidoyer. La mobilisation des militant-e-s sur le terrain est indispensable si nous ne voulons pas connaître la même situation de rationnement dans l’accès que celle concernant les médicaments anti-VHC ni les mêmes menaces sur le système de santé. Le traitement universel du VHC, pourtant annoncé par le gouvernement en 2016, n’est toujours pas effectif. Alors que se passe-t-il ?

Pourquoi les prix des nouveaux médicaments inquiètent ?

Pour le comprendre, il faut faire un retour sur la crise de l’accès aux traitements contre l’hépatite C. Tout démarre en 2013 avec l’arrivée de nouvelles molécules : les antiviraux à action directe (AAD). C’est une révolution thérapeutique car ces nouveaux traitements sont bien mieux tolérés que les précédents et ils sont particulièrement efficaces. Ils permettent d’obtenir des taux de guérison jamais obtenus jusqu’alors : plus de 90 % de taux de réussite. Mais les AAD ont un inconvénient majeur : un prix exorbitant ! C’est notamment le cas de la toute première molécule de la classe des AAD : le sofosbuvir (vendu sous le nom de Sovaldi). Le laboratoire Gilead qui en a l’exclusivité, la fait payer au prix fort. En France, après négociations avec le Comité économique des produits de santé (CEPS) qui fixe les prix des médicaments, c’est 41 000 euros pour une cure de trois mois ! Gilead a bien su tirer parti de sa situation de monopole sur le marché ! Ce prix jugé exorbitant, y compris par les experts des hépatites comme le professeur Dhumeaux, constitue une menace sur les finances du système de santé et la pérennité même du système. De fait, on ne tarde pas à voir la conséquence de ce prix mal négocié : l’Etat choisit de rationner l’accès aux AAD pour économiser.

En France, 230 000 personnes vivent avec une hépatite C chronique. Les autorités de santé décident de limiter l’accès aux personnes les plus atteintes pour limiter les coûts. Elles s’appuient pour cela sur des recommandations de la Haute autorité de santé (HAS) qui sont bien plus restrictives que les recommandations des experts français des hépatites qui préconisaient de traiter très largement… puisqu’on obtient des guérisons de l’infection, avec une plus value au niveau individuel mais aussi collectif en limitant les risques de transmission. Cette mesure de rationnement est alors en contradiction avec l’annonce de la mise en place des tests VHC pour un dépistage généralisé. En effet, comment inciter au dépistage des personnes à qui, au final, on risque éventuellement de dire que les traitements qui pourtant marchent, ne sont pas pour elles… pour le moment.

Cette situation assez ubuesque révolte les personnes concernées, de nombreuses associations de santé dans le domaine des hépatites, du VIH... La société civile se mobilise alors pour l’accès universel. L’accès universel, c’est l’accès aux nouveaux traitements pour toutes les personnes diagnostiquées pour le VHC et cela quel que soit le stade de fibrose. En fait, c’est l’accès aux AAD sans aucune condition restrictive. Une mobilisation interassociative, dont AIDES fait partie, exige donc un accès plus large pour toutes et tous quelle que soit la gravité de la maladie. Pour les associations : puisque les traitements marchent, pas de raison d’attendre que la santé des personnes se dégrade pour qu’elles accèdent à ces traitements.

Au printemps 2016, Marisol Touraine, ministre de la Santé, annonce l’accès du traitement universel. Des avancées se font en plusieurs étapes, les associations souhaitaient que cela aille plus vite et que l’accès universel se fasse tout de suite. Les autorités choisissent de faire autrement. Dès juin 2016, les personnes vulnérables peuvent enfin accéder au traitement. Il s’agit des usager-ères de drogues, des personnes détenues, etc. quel que soit leur stade de fibrose. Des personnes déjà jugées prioritaires par les experts dans le rapport de Daniel Dhumeaux en 2013. On attend encore les avis des autorités de santé pour l’extension à l’ensemble des personnes atteintes. D’autant, qu’entre temps, d’autres laboratoires pharmaceutiques (AbbVie, MSD) mettent à leur tour sur le marché de nouveaux antiviraux à action directe qui viennent concurrencer pour partie le premier traitement sur le marché. Ces nouveaux venus très efficaces fonctionnent sur certains génotypes du VHC et pas sur tous contrairement au premier AAD sorti par Gilead, mais ils mettent fin à une certain forme de monopole. Les autorités de santé décident, en effet, de négocier avec les laboratoires concurrents pour faire baisser les prix de certains AAD. Des accords sont obtenus avec le laboratoire pharmaceutique MSD qui fabrique Zepatier (elbasvir + grazoprévir) et le laboratoire pharmaceutique AbbVie qui fabrique Viekirax (ombitasvir/paritaprévir/ritonavir) et Exviera (dasabuvir). Des baisses substantielles sont obtenues. Cette baisse permet un accès plus large à des personnes vivant avec les génotypes 1 et 4 du VHC (elles représentent 70 % des personnes vivant avec l'hépatite C) puisque l’accès à ces traitements se fait sans restriction. On avance donc vers l’accès universel… mais nous n’y sommes toujours pas. Pour y parvenir, il faut que les autorités de santé règlent le sort des médicaments de Gilead, laboratoire qui reste le leader sur le secteur des AAD avec Harvoni (sofosbuvir +lédipasvir) et qui refuse toute baisse de ses prix. Il est certain que les accords passés avec les laboratoires concurrents fragilisent la position de Gilead et oblige à des négociations voire des renégociations sur les prix.

Si les associations sont montées si rapidement et si fortement au front, et pas seulement celles investies dans la lutte contre le VIH/sida et les hépatites virales, c’est que la question des conséquences de la flambée des prix des médicaments ne se limite pas au seul VHC. Ce qui s’est passé pour l’hépatite C va se reproduire ! Les nouveaux médicaments que ce soient des antirétroviraux contre le VIH ou anticancéreux sont concernés. Pour les associations, la menace est claire : les prix exorbitants exigés par les fabricants et concédés par les pouvoirs publics menacent l’accès de tous et toutes au traitement et ont d’inévitables répercussions sur les affectations financières au sein du système de santé.

Pourquoi ces prix ne sont pas justifiés ?

Contrairement à ce qui est avancé fréquemment, par les laboratoires notamment, les prix ne se justifient pas par l’argent investi dans la recherche. Si on prend le cas du sofosbuvir (Sovaldi) commercialisé 41 000 euros la cure de trois mois en France… eh bien, la molécule continuerait d’être rentable si elle était commercialisée à 62 euros. C’est ce qu’indiquent des chercheurs (Gotham 2016, Hill, 2014). Ainsi avec un prix de 62 euros, le laboratoire fabricant pourrait couvrir ses frais (recherche et développement, par exemple) et dégager une marge de profit. Et pourtant cette même molécule est vendue 300 euros en version générique en Inde et 41 000 euros en France.

Les laboratoires ne le disent pas, mais une part de la recherche n’est pas financée par les laboratoires pharmaceutiques mais par de l’argent public. L’argent public finance la recherche publique, finance l’industrie pharmaceutique via des subventions et des crédits d’impôts et c’est l’Assurance maladie qui paie les traitements achetés aux laboratoires pharmaceutiques.

Alors pourquoi payons-nous aussi cher ?

La première cause est le détournement du système des brevets. Le brevet sert à protéger la propriété industrielle, à encourager la recherche et l’innovation et à garantir une rémunération des inventions via la commercialisation, pendant une durée donnée. Ce système vise à limiter les effets de la concurrence pour permettre un retour sur les investissements dans la recherche d'inventions et pour assurer le financement de recherches futures. Dis plus directement : le système des brevets permet à ceux qui ont engagé de l’argent pour mettre au point une innovation de rembourser leur investissement.

Un monopole leur est assuré pendant 20 ans. Le problème, c’est que l’industrie pharmaceutique dévoie parfois ce système en demandant des brevets pour des produits qui ne constituent pas réellement des inventions, mais des améliorations mineures de produits existants. Cela lui permet de vendre les nouveaux médicaments à des prix très élevés, en situation de monopole sur le marché, sans aucun rapport avec l’argent investi dans la recherche et de surcroît en ne tenant pas compte de la part du financement public investi dans la dite recherche et pour la prise en charge financière des traitements en cause. Ainsi, le brevet est passé progressivement d’outil d’incitation à la recherche et au développement, à un outil de rémunération et de contrôle du marché.

La seconde cause est une négociation des prix opaque, au nom du secret des affaires. En France, les prix des médicaments sont négociés au sein du Ceps (Comité économique des produits de santé) où siègent l’Etat, l’Assurance maladie et les laboratoires pharmaceutiques. Les citoyens et la société civile n’ont aucun accès au contenu de ces négociations qui se passent sans aucun contrôle démocratique y compris de la part des parlementaires.

Que pouvons-nous faire ?

Le conseil d’administration de AIDES a pris position au printemps 2016 pour faire du prix du médicament une de ses priorités. Il s’agit de poursuivre la mobilisation pour l’accès universel aux nouveaux médicaments, notamment dans le cadre du VHC. Cette mobilisation n’est pas isolée et se fait avec des partenaires associatifs. L’objectif est notamment de sensibiliser l’opinion sur les conséquences actuelles d’une politique de fixation des prix des médicaments qui part à la dérive.

En juin 2016, Médecins du Monde (MDM) a lancé sa propre campagne sur le sujet avec un affichage public qui a suscité beaucoup d’intérêt et la colère du syndicat professionnel des laboratoires pharmaceutiques (Leem). MDM a, parallèlement, lancé une procédure d’opposition au brevet de Gilead sur le sofosbuvir. L’association a contesté le brevet devant l’Office Européen des Brevets. Elle a fait la démonstration que le sofosbuvir n’était pas une innovation totale. Autrement dit, le composant lui-même n’était pas novateur, mais certaines formes chimiques se sont vues reconnaître ce côté novateur. La justice a donné raison à MDM en reconnaissant qu’une partie du brevet n’était pas valable. Bien que le brevet ne soit pas totalement révoqué (il n’y a qu’une annulation partielle du brevet), il est considérablement affaibli puisqu’il ne couvre plus la formule du sofosbuvir. Cette décision n’empêche pas la commercialisation du traitement. Gilead a fait appel de cette décision.

Pour AIDES, il est indispensable aujourd’hui d’exiger la transparence des laboratoires et de l’Etat sur les négociations autour du prix des médicaments ; les sommes investies dans la recherche et le développement par l’industrie pharmaceutique ; l’argent public investi dans la recherche et le développement. Par ailleurs, il faut encourager à l’utilisation des outils légaux de régulation des prix. Il en existe déjà et une loi récente est même venue les renforcer. Ainsi, la loi permet de lever les brevets quand l’Etat le juge nécessaire : c’est la licence d’office ou licence obligatoire. Le récent Rapport du Conseil économique, sociale et environnemental sur les prix des médicaments innovants rappelle le dispositif. "Il y a licence obligatoire lorsqu’un tribunal ou une autorité administrative autorise un tiers à fabriquer un produit breveté ou à utiliser un procédé breveté sans le consentement du titulaire du brevet. Les accords internationaux qui régissent le commerce et la propriété intellectuelle ont toujours considéré [depuis le 19e siècle, ndlr] comme essentiel la possibilité de recourir à l’outil des licences obligatoires. En effet, le brevet ne crée pas un droit absolu et il doit être concilié avec la santé, droit fondamental de l’être humain, et l’accès aux médicaments essentiels est une condition indispensable à la jouissance de ce droit (Organisation mondiale de la santé)".

Ce procédé a été utilisé dans plusieurs pays, mais la loi française a restreint son utilisation. Par ailleurs, mesure moins radicale, le gouvernement peut fixer unilatéralement le prix sans lever le brevet. En outre, les brevets peuvent être dénoncés devant la justice quand ils ne sont pas justifiés. Il faut aussi encourager la production de génériques et encourager des financements de la recherche qui ne dépendent pas de l’industrie.

Ces questions, l’association, seule et avec ses partenaires, compte les pousser encore dans les mois qui viennent. AIDES a d’ailleurs retenu ce sujet parmi ses thèmes de mobilisation à l’occasion des élections présidentielle et législatives de cette année.

Il est intéressant de noter que nombreuses désormais sont les instances qui réfléchissent au prix du médicament : Rapport du Conseil économique, sociale et environnemental, rapport de l’Organisation de coopération et de développement économiques, groupe de travail à l’Assemblée nationale, groupe de travail au Comité consultatif national d'éthique, etc.

Remerciements à Adeline Toullier, Caroline Izambert, Direction plaidoyer de AIDES.


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