Pauvres de nous ?

Publié par jfl-seronet le 28.06.2013
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Initiative

Plusieurs ateliers se sont tenus pendant la conférence de consensus communautaire sur vieillir avec le VIH. L'un d'entre-eux était consacré à la pauvreté. Il est sec et dur comme un coup de trique l’intitulé de cet atelier : Pauvreté. Pourtant, nombreux sont les participants qui s’y sont engagés le jeudi pour en débattre, trouver des solutions, faire des recommandations qui ont été débattues, le vendredi, avec des experts. Alors, c’était comment ? Retour jour après jour.

Jeudi 17 avril. Demain, c’est le jour de la rencontre avec les experts, ceux venus discuter avec les participants. Pas d’intimidation, pas d’appréhension particulière, plutôt le souci de bien préparer les arguments, les pistes d’amélioration, qui seront proposés demain à la discussion. Pour le moment, c’est un tour de table qui se déroule. Chacun, chacune liste les deux ou trois sujets qui, en matière de pauvreté et de ressources, lui tiennent à cœur. Pascale perçoit aujourd’hui l’AAH (Allocation aux adultes handicapés) et appréhende le basculement, à 60 ans, vers ce qu’on appelait le "minimum vieillesse" [ASPA : allocation de solidarité pour personnes âgées]. Le compte est vite fait : une baisse de 100 euros. Elle n’est pas la seule à pointer et craindre la diminution des ressources avec l’avancée en âge. D’autant que les restes à charge au niveau de la santé ne connaissent pas la baisse… eux.

"Comment faire pour avoir les renseignements sur ce qui va se passer lorsqu’on passe le cap de la retraite ? Comment et où aller chercher les infos ?", se demande Patricia qui préconise, à l’instar du modèle pour les étudiants, la création d’un guichet unique qui permettrait d’anticiper ce passage, d’assurer un suivi… Le tour de table se poursuit. Catherine parle de l’accès aux maisons de retraite, de la prise en compte des besoins des personnes séropositives qui vieillissent et se demandent si le vieillissement anticipé dont on parle si souvent permettra aux personnes qui le veulent d’accéder plus tôt aux maisons de retraite.

Pauvreté. Le terme fait mouche auprès de Michel. Il considère que le 100 % n’existe plus dans les faits. Certes, sur le papier, les personnes vivant avec le VIH ont droit au 100 % attribué aux personnes en ALD, mais dans les faits, ce 100 % est rogné. "Il y a la ponction des franchises médicales, des forfaits… ce n’est pas normal. On doit se battre pour ça !", lâche-t-il. "Il y a des médicaments qui étaient inscrits au 100 % et qui ne le sont plus du fait des déremboursements… J’y regarde à deux fois avant d’aller voir le médecin", ajoute Michel. "Les dépassements d’honoraires, la mutuelle qu’on paie difficilement… tout cela, cumulé, entraîne des privations et c’est un cadre de vie qui baisse." "Revenir sur le vrai 100 %" : Jeanne-Marie est d’accord. "Parfois à la pharmacie, on me dit que certains des médicaments qui me sont prescrits sont des médicaments de confort… et pourtant on me les a prescrits, mais sans me dire qu’ils ne sont pas remboursés. Avant, ce n’était pas le cas", dénonce-t-elle. Jeanne-Marie a aussi une inquiétude. "Que vont devenir, en maisons de retraite,  les personnes comme moi qui n’ont pas beaucoup cotisé?"

William évoque, lui, une machine qui se met en marche et qui peut broyer. "Un jour, tu avales le traitement. Tu perds ton boulot, ta vie, tu ne t’y attendais pas et tu arrives à l’AAH. Puis la CAF [caisse d’allocations familiales] dit que c’est fini, que tu es à la retraite…  et on te met au RSA [revenu de solidarité active] en attendant". D’une phrase, il a résumé son parcours. William considère qu’il faut être prévenu en amont de ce qui va se passer, de façon à trouver des solutions, ne pas être mis au pied du mur, trop tard, quand les solutions sont plus difficiles à trouver. Henri connaît une personne âgée qui est hospitalisée depuis 9 mois… On l’a refusée dans plusieurs établissements parce qu’elle est séropositive… Alors, elle vit à l’hôpital. Pour Henri, il est important de prendre en compte le fait que la "vieillesse est différente selon les pathologies". Il parle des logements, souhaite qu’on puisse proposer des "appartements spécial retraite pour les gens âgés vivant avec le VIH, mais pas des barres de HLM".

Liliane vit en région. Elle parle de la pauvreté qui frappe les personnes de plus de 50 ans. "Certaines ne peuvent plus travailler et il y a une énorme disparité de traitement d’un département à un autre sur des situations pourtant identiques." Elle est aussi montée au front sur ce qu’elle a d’abord subi, avant de lancer une procédure qui l’a rétablie dans ses droits : la réduction du taux d’AAH et le passage qui s’en suit au RSA… Liliane y voit une politique délibérée parce que cela "fait faire des économies". "Se retrouver à 50 ans, avec une baisse du taux d’AAH, être une femme, en province et séropositive… j’ai trouvé que ce n’était pas normal de subir cela. Je suis allée en conciliation puis au tribunal", explique-t-elle.

Comme d’autres, Robert évoque sa situation personnelle. "On vieillit prématurément… du fait de la précarité, des hospitalisations longues. Le coût qui se répercute sur la qualité de vie, pas de cinéma, pas d’achat de vêtements pendant plusieurs années". C’est son parcours qu’il raconte par bribes : le travail dans une entreprise familiale sans complémentaire santé, la maladie, les indemnités de la Sécurité sociale, les charges à payer, la difficulté à régler ses factures d’électricité, son placement, par sa décision, en surendettement, etc. "Je me suis senti vieillir prématurément", explique Robert.

Michel défend l’idée d’une prise en charge mieux assurée par les médecins qui prendrait en compte tous les paramètres, y compris sociaux. "Les médecins doivent orienter vers des pros… ils le font pour le cancer en renvoyant vers des spécialistes et ils pourraient le faire aussi pour des questions de ressources en renvoyant vers des pros".

Le tour de table s’achève. On passe une dernière fois en revue les sujets qui ont été énumérés. Des regroupements sont faits grand thème par grand thème. Quatre se dégagent. Un premier sur le niveau de ressources, l’accompagnement et l’égalité de traitement territoriale ; un second qui brasse la prise en charge des frais de santé, l’éloignement du travail donc des complémentaires Santé, l’augmentation des frais de santé avec l’augmentation en âge, l’intérêt du protocole de soins. Le troisième concerne le logement, l’hébergement au sens large, les maisons de retraite et les critères d’entrée. Le dernier porte sur le défaut d’informations, notamment en amont.

Vendredi 19 avril. La veille, les participants ont produit, consigne des animateurs du groupe, des "recommandations réalistes et faisables". Sans entrer dans le détail (voir les recommandations finales en page 52), plusieurs recommandations ont émergé, nourries de l’expérience personnelle de chaque participant. Il s’agit maintenant de les "discuter" avec les experts qui ont rejoint le groupe. Mais qui sont-ils ? Un médecin, des assistantes sociales qui travaillent dans d’importants services VIH à Paris et en banlieue, des représentants de collectifs comme [im]Patients chroniques et associés ou le CISS (Collectif interassociatif sur la santé), des représentants des pouvoirs publics (Direction générale de la Santé), une chercheuse, etc. L’affaire est simple et délicate. Simple car il faut présenter les recommandations aux experts (des participants s’en chargent) ; délicate, car il s’agit de "confronter" des idées, des propositions à une expertise, celle de professionnels, acteurs de la prise en charge du VIH et désormais du vieillissement avec le VIH. On relance donc les discussions qui ont eu lieu la veille avec plus d’interlocuteurs, plus de points de vue, plus d’expériences… et surtout l’idée de trouver un consensus sur les recommandations finales, celles qui seront portées à la fin de la conférence, et bien au-delà de la conférence.

Les discussions s’animent. Il faut dire que les sujets ne manquent pas : la préparation des transitions d’un dispositif à un autre (par exemple de l’AAH à la retraite), les moyens pour éviter les effets de rupture, la revalorisation des prestations, une réforme des franchises médicales qui permettrait d’en exonérer les personnes en ALD, des critères d’accès aux logements sociaux et maisons de retraite tenant compte du vieillissement avec le VIH, ou encore le maintien des prestations complémentaires au delà de soixante ans, le maintien d’un vrai 100 %, etc. Les discussions sont animées. Certains exemples frappent, notamment ceux qui sont présentés par les assistantes sociales tant ils illustrent la machine administrative, ses dysfonctionnements, son automatisme voire son cynisme. Il y a parfois de l’utopie lorsque le groupe demande ainsi la revalorisation complète des minima sociaux. Personne ne s’y oppose évidemment, mais le pragmatisme (Y’a la crise !) tempère l’enthousiasme. Il y a des messages à faire passer aux pouvoirs publics. Comment expliquer que certaines procédures peuvent durer jusqu’à dix-huit mois ? Comment expliquer que dans certaines maisons départementales des personnes handicapées les dossiers sont déposés huit mois avant la date d’échéance pour avoir une chance que les dossiers soient traités au mieux et éviter les effets de rupture ? Evidemment, au cours des échanges, on peut se demander si les problèmes évoqués ne sont pas généraux, pas spécifiques aux personnes vivant avec le VIH vieillissantes… Mais très vite, revient cette évidence… tous ces tracas, toutes ces difficultés deviennent plus pénibles encore lorsqu’on avance en âge. Outre la recherche du consensus, le grand intérêt de ces échanges est que chacun découvre ce qui se passe pour l’autre. Le jeudi, des participants ont pesté contre l’incompétence de certaines assistantes sociales qui n’ont pas su leur venir en aide. Ce vendredi, ils découvrent que les assistantes sociales ont aussi leurs difficultés : des informations qu’elles n’arrivent jamais à avoir, des documents qu’elles ne peuvent pas obtenir, un changement de stratégie de la Sécurité sociale avec des personnels moins formés qui ne suivent plus dans le détail le dossier d’une personne précise… Tout cela contribue à détériorer la qualité de la réponse, la rapidité des solutions.

Et pourtant des solutions, les participants, tous confondus, de cet atelier en trouvent. Certaines sont complexes, d’autres moins ; certaines utopiques, d’autres d’un grand pragmatisme, toutes n’intéressent d’ailleurs pas uniquement les personnes vivant avec le VIH. C’est peut-être cela une des pistes les plus évidentes… Que se passerait-il si l’ensemble des personnes en ALD qui vieillissent se mobilisaient, faisaient pression pour améliorer leur qualité de vie ?