PMA : le gouvernement renvoie à la case débat !

Publié par jfl-seronet le 06.08.2017
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Droit et socialPMA

Depuis plus de trois ans, le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) planchait sur la question de la procréation médicalement assistée. C’est peu de dire que cet avis était attendu. Celui-ci a été rendu le 27 juin dernier. Maintenant, c’est au tour des politiques de jouer. Et c’est là que ça se complique.

Mais d’abord parlons contexte. Voici côté CCNE, comment on voit les choses. "L’assistance médicale à la procréation (AMP ou PMA) recouvre un ensemble de techniques, conçues par le corps médical, puis organisées par le législateur, pour répondre à des infertilités qui révèlent des dysfonctionnements de l’organisme. Les demandes sociétales d’accès à l’AMP reposent sur la possibilité d’utilisation de ces techniques à d’autres fins que celle du traitement de l’infertilité liée à une pathologie. On assiste, en effet, à une augmentation des demandes de recours à l’AMP qui ne s’exprimaient pas jusqu’alors, ou très marginalement, portées à la fois par les évolutions de la société, de la loi française et des lois de certains pays étrangers, et celles de la technique". C’est dans ce contexte que le Comité consultatif national d'éthique a mené à la demande de l’ancien président François Hollande une réflexion sur "les demandes sociétales d’AMP dans leur ensemble. La réflexion éthique porte sur trois de ces demandes :

1 - l’autoconservation ovocytaire chez les femmes jeunes ;
2 - les demandes de recours à l’AMP par des couples de femmes et des femmes à titre individuel ; 
3 - les demandes de gestation pour autrui, de la part de couples hétérosexuels, mais aussi de couples d’hommes et d’hommes seuls".

Alors, quel est l’avis du CCNE ?

Le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) s'est prononcé (27 juin) pour l'ouverture de l’assistance médicale à la procréation aux couples de femmes et aux femmes célibataires de la (PMA), aujourd'hui réservée aux seuls couples hétérosexuels. Dans cet avis qui reste consultatif, le CCNE reste, en revanche, opposé à la gestation pour autrui (GPA) et donc au recours aux mères porteuses en France. La GPA était incluse dans les demandes non médicales de PMA prises en compte par le CCNE. "Le Comité a décidé dans sa majorité l'ouverture à ces "demande sociétales", c'est-à-dire non médicales, de recours à l'assistance médicale à la procréation" en l'occurrence l'insémination artificielle avec donneur (IAD) de sperme, à toutes les femmes" explique alors à l'AFP, le Pr Jean-François Delfraissy, président du CCNE. Cette position rejoint celle soutenue par Emmanuel Macron durant sa campagne.

Macron "favorable", comme Hollande avant lui

En avril 2017, pendant la campagne présidentielle, le candidat Emmanuel Macron avait indiqué, dans un courrier aux associations LGBT, qu'il attendrait que le CCNE "ait rendu son avis (...), pour pouvoir construire un consensus le plus large possible", tout en se disant "favorable" à une loi ouvrant la PMA "aux couples de lesbiennes et aux femmes célibataires". Son mouvement En Marche ! s'est d’ailleurs prononcé en mai dernier pour l'ouverture de cette pratique à "toutes les femmes". François Hollande avait pris le même engagement en 2012 et même la première année de son mandat, puis tout s’était bloqué avec les débats calamiteux sur le mariage pour tous. L’ancien président avait alors expliqué en 2013 lors d’une interview : "La PMA n'est pas dans le texte [la loi Taubira, ndlr], c'est renvoyé au comité d'éthique qui va donner un avis à la fin de l'année. Je respecterai ce qu'il dira", assurait alors le chef de l'Etat. Il est alors question d'intégrer la disposition dans une loi famille en cours d'écriture; c'est du moins ce que le premier ministre Jean-Marc Ayrault avait répété à plusieurs reprises. Reste que la loi famille ne verra jamais je jour, que cette disposition ne sera jamais discutée sous le mandat de François Hollande et durablement enterrée dans les travaux du CCNE. Son ancien président, Jean-Claude Ameisen, repoussant son avis tous les six mois.

Place aux politiques

Le feu vert du CCNE change évidemment tout. Le porte-parole du gouvernement et ministre des relations avec le Parlement, Christophe Castaner confirme assez rapidement après la publication de l’avis du CCNE la volonté de l'exécutif d'établir une loi ouvrant la PMA aux couples de femmes et aux femmes célibataires, comme préconisé par le CCNE. "Notre objectif est bien de traduire d'un point de vue législatif l'avis" du Comité d'éthique affirme-t-il alors avant de préciser qu’un calendrier législatif n'a pas encore été arrêté ("Figaro", 28 juin). Du côté de l’Eglise catholique, on frémit déjà à l’idée de refaire l’opération Mariage pour tous et ses innombrables manifestations de rue. Un porte-parole de l'Eglise catholique appelle d’ailleurs le chef de l'Etat à ne pas "réveiller les passions" sur la PMA. "L'absence même de consensus au sein du CCNE montre qu'un large dialogue est encore nécessaire avant toute mesure législative", souligne la Conférence des évêques de France dans un communiqué. "Il est important de chercher le plus large consensus", temporise Christophe Castaner. "On sait les tensions, les crispations qui pourraient en naître", ademt-il en appelant à se garder "des positions trop fermes, trop dogmatiques qui opposeraient les uns et les autres". Bon, dit comme cela on ne voit pas très bien ce que cela peut donner sur le papier !

Agnès Buzyn n’a pas d’avis… personnel !

Tout se complique encore un peu plus avec une interview de la ministre des Solidarités et de la Santé Agnès Buzyn à France Inter. Mais qu’a dit la ministre ? Agnès Buzyn a alterné le chaud et le froid. Elle a, certes, estimé que "la société française (était) prête" à un élargissement de la PMA aux femmes célibataires et couples lesbiens, sans pour autant se prononcer à titre personnel. "Il me semble que la France est prête. Le conseil consultatif national d'éthique contient en son sein toutes les sensibilités. Donc s'il a rendu un avis favorable, je pense que la société est prête", a déclaré la ministre sur la radio publique. Invitée à donné son avis personnel sur la question, elle ne s'est en revanche pas prononcée. "Je n'ai pas d'avis personnel à donner sur les sujets de société", a-t-elle répondu, un argument assez étrange. "Nous allons voir quand il convient d'ouvrir ce sujet, sachant qu'en 2018 nous devrons de façon systématique rouvrir les lois de bioéthique. Donc il est probable que cette discussion aura lieu lors des états généraux de la bioéthique qui se tiendront l'année prochaine", a-t-elle ajouté. Une idée qui ne plaît pas du tout.

Pour HES, le gouvernement, c’est "courage fuyons !"

Evidemment ces atermoiements agacent dans le mouvement LGBT, y compris chez les socialistes LGBT. Ainsi HES (Socialistes LGBT+) publie un communiqué vengeur qui serait allé comme un gant à François Hollande : "Ouverture de l’accès à la PMA à toutes les femmes : courage fuyons !".  Mais il vise bel et bien la ministre de la Santé. "Agnès Buzin, ministre de la Santé, a détaillé ce matin sur France Inter l’extrême lenteur avec laquelle elle entendait promouvoir la réforme sur l’ouverture de la PMA à toutes les femmes. Après avoir déclaré que "la société doit être prête"pour ouvrir l’accès de la PMA (…) elle a indiqué qu’elle entendait "soumettre la question"au débat national bioéthique "qui doit avoir lieu à la fin 2018". "Reconnaissons à la ministre macroniste un talent, celui d’offrir un écho en tous points fidèle aux silences du Premier ministre qui, dans son discours de politique générale, n’a rien dit de cette question, pas plus que sur la nécessaire réforme de notre législation sur les Familles ou sur la question de la lutte contre les discriminations", ironise HES. "Avec un tel esprit de décision, on attendrait probablement encore la légalisation de l’IVG, celle de la contraception ou la dépénalisation des relations homosexuelles, et tant d’autres réformes utiles et émancipatrices qui doivent tant au mouvement social conjugué à la détermination de personnalités éclairées comme Simone Veil, Lucien Neuwirth ou Gisèle Halimi, qui ont eu, elles, un avis sur ces questions", persifle l’association. "Il faut parfois du courage pour faire progresser une société humaine, convaincre, emporter la décision. Alors que la société française attend cette réforme, comme le prouvent les multiples enquêtes d’opinion, la seule témérité de la ministre Buzin tient en une formule : courage, fuyons !"

C’est pas gagné !

En fait l’exécutif avait deux solutions, soit une loi à part, soit une révision plus globale de la loi de bioéthique en 2018… c’est ce qui semble se dessiner maintenant. Et la gêne est désormais palpable. Ainsi, pas mal de commentateurs ont noté que dans son discours de politique générale, le Premier ministre n'a pas une fois évoqué cette loi pourtant promise par le président de la République. Il a bien trouvé le temps "d'évoquer la hausse du prix du tabac, la réforme du bac, les vaccins que l'on rendra obligatoires et le remboursement des lunettes. Mais pas l'assistance médicale à la procréation (...) La position d’Emmanuel sur ce sujet est pourtant sans ambiguïté", note Violaine de Montclos dans "Le Point" (5 juillet 2017). "En clair : sans le feu vert du CCNE, on ne légifère pas. Or, alors qu'il était attendu depuis plusieurs années, l'avis du CCNE est précisément tombé dix jours avant le discours de politique générale (...) Pourquoi, alors, ne pas assumer ce choix et annoncer clairement une loi ?", demande-t-elle. En fait, le gouvernement craint de revivre un épisode façon mariage pour tous avec manifestations homophobes de masse, épisode qui redonnerait des couleurs à la manif pour tous et autres Sens commun. On sait que le débat est clivant dans l’opinion publique et il n’a échappé à personne que onze des 39 membres de la CCNE ont signé une "motion minoritaire" s'opposant à cette ouverture. Dans ces circonstances, les paroles d’Agnès Buzyn prennent alors un caractère tout particulier : "J’attends de voir ce que donnent les Etats généraux [de la Bioéthique, ndlr], je n’ai pas d’avis personnel à donner sur les sujets de société, il faut qu’une société soit prête dans son ensemble pour avancer, j’attends de voir ce que disent les Français sur ce sujet". On dirait que ce n’est pas gagné !

Pour celles et ceux qui veulent aller plus loin, on recommande un excellent article : "PMA : aux sources du débat français", par Lucie Delaporte. Il s’agit d’une interview de l’historienne américaine Camille Robcis qui décortique les spécificités du débat français sur cette question.