Prix du médicament : des mesures attaquées, mais validées (Partie 1)

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Politiqueprix du médicament

Le dernier projet de loi de financement de la Sécurité sociale du quinquennat de François Hollande (PLFSS 2017) a été adopté le 5 décembre dernier. Le texte comporte deux articles importants, les articles 97 et 98, qui portent sur le régime des autorisations temporaires d’utilisation (ATU) et modifient de façon majeure les modalités de fixation des prix des médicaments en France. Ils ont été sévèrement attaqués par les industriels du médicament et les parlementaires de l’opposition. Le Conseil constitutionnel les a validés. Seronet fait le point. Première partie.

Le 22 décembre 2016, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur la loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) pour 2017. Des députés et sénateurs de l’opposition avaient saisi le Conseil constitutionnel. La procédure portait notamment sur "certaines dispositions des articles 97 et 98 qui modifient des dispositions du code de la Sécurité sociale relatives aux modalités de fixation des prix des médicaments". Dans sa décision du 22 décembre 2016, le Conseil les a jugées "conformes à la constitution" et ne les a donc pas abrogées comme l’espérait l’opposition. Que prévoient ces deux articles ? Quels arguments ont été avancés dans la saisine par les députés pour en demander la suppression ? Qu’en pensent les entreprises du médicament ? Et pour quelles raisons le Conseil constitutionnel a maintenu ces deux articles ? Passage en revue des deux articles...

Article 97 : le système des ATU revisité

Agir sur la soutenabilité du régime des ATU pour en préserver le bénéfice
Des médicaments qui n’ont pas encore d’AMM (autorisation de mise sur le marché) peuvent, à titre exceptionnel, faire l’objet d’ATU délivrées par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Ces autorisations, sont délivrées par l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) pour soigner des maladies graves et rares pour lesquels aucun autre traitement n’est disponible et pour lesquelles la mise en œuvre du traitement ne peut être différée. Autrement dit, lorsque la personne concernée ne peut plus attendre et doit bénéficier de ce traitement au risque, sinon, d’être exposée à un danger pour sa santé. Ce système a souvent été crucial pour les personnes vivant avec le VIH et les hépatites virales… et l’est encore. De nombreux traitements contre ces maladies ont bénéficié d’autorisations temporaires d’utilisation.

Les médicaments sous ATU sont pris en charge par l’assurance maladie à 100 % pendant la durée de l’ATU, et également pendant la période post ATU allant jusqu’à la fixation du prix du médicament. C’est le laboratoire qui fabrique le médicament concerné qui fixe son prix, appelé alors "indemnité". Il n’y a aucune négociation avec l’Etat sur cette indemnité   pendant le temps que dure l’ATU. Cette indemnité, généralement élevée, n’est que temporaire en attendant que le médicament obtienne son AMM et son prix public, cette fois négocié et fixé par le Comité économique des produits de santé (CEPS) aux termes d’une négociation entre le laboratoire, l’Etat et l’Assurance maladie.

L’exposé des motifs (le texte d’introduction qui explique le sens d’un article de loi) rappelle combien il est nécessaire de préserver ce régime, spécifique et propre à la France : "Le dispositif d’autorisation temporaire d’utilisation (ATU), permet à un médicament potentiellement innovant d’être mis très rapidement à disposition des patients, avant même l’octroi de l’autorisation de mise sur le marché (AMM). Il constitue un outil important de promotion et d’accès à l’innovation thérapeutique en France […]. La mesure proposée comprend ainsi deux volets : une extension des ATU pour assurer la continuité des soins et l’accès à l’innovation, d’une part, et un dispositif de maîtrise financière visant à garantir la soutenabilité du dispositif, d’autre part".

Redéfinition des règles de calcul de la différence, à reverser par le laboratoire à l’Assurance maladie, entre l’indemnité facturée pendant la période de l’ATU et le prix CEPS
Jusqu’à présent, lorsque le prix facial fixé par le CEPS était inférieur à l’indemnité facturée pendant la période de l’ATU, le laboratoire était tenu de reverser la différence à l’Assurance maladie. La différence pouvait être conséquente — par exemple, le Sovaldi (sofosbuvir), traitement contre le VHC, affichait un prix de 56 000 euros la cure en ATU, puis de 41 000 euros au titre du prix CEPS — , mais présentait le défaut d’être fondé sur le prix facial fixé par le CEPS, indépendamment des remises souvent consenties par les laboratoires aux acheteurs de soins que sont les établissements de santé.

L’article 97 modifie ce mécanisme puisqu’il prévoit "un mécanisme de remise associé spécifiquement à la prise en charge de médicaments innovants et coûteux".

La loi modifie, en effet, les bases du calcul de ce reversement en prévoyant que la différence à reverser s’opère entre le prix réellement payé par l’Assurance maladie (prix facial net des éventuelles remises) et l’indemnité. Dans de nombreux cas (où d’importantes remises sont accordées aux offreurs de soins dans le but de pénétrer le marché), cette différence pourrait donner lieu à des reversements plus, voire beaucoup plus élevés.

Plafonnement du coût annuel par patient des médicaments sous ATU fixé à 10 000 euros
L’article 97 est particulièrement complexe dans sa rédaction. Sans entrer dans les détails, le dispositif est le suivant : le laboratoire qui fabrique le médicament concerné déclare au CEPS (Comité économique des produits de santé) le "montant de l’indemnité maximale [le prix, ndlr] qu’il réclame aux établissements de santé" (1) pour un médicament. Le CEPS rend ce prix public. Chaque année (tant que dure l’ATU), le laboratoire informe le CEPS du chiffre d’affaires qu’il a réalisé sur ce médicament et du nombre de traitements écoulés sur l’année précédente. Chaque année, on multiplie le nombre de personnes traitées par ce médicament en ATU par 10 000 euros. Si le total dépasse la somme de 30 millions d’euros, le laboratoire doit reverser sous forme de remises la différence entre le montant facturé aux hôpitaux sur ce médicament (son chiffre d’affaires donc) et le montant plafonné par la loi.

Cette mesure a pour objectif principal d’inciter les laboratoires à finaliser au plus vite la négociation au CEPS afin que le régime indemnitaire (prix totalement libre) propre à l’ATU ne se prolonge pas exagérément dans le temps. Ce dispositif poursuit à la fois l’objectif de maîtrise des coûts des médicaments sous ATU et post‐ATU tout en prévoyant un mécanisme dérogatoire pour les médicaments dont le chiffre d’affaires total est inférieur à 30 millions d’euros, afin de préserver l’activité de laboratoires d’innovations disposant de trésorerie ou de cash flow limités.

Les arguments des députés pour attaquer l’article 97
Dans leur saisine du Conseil constitutionnel, les députés reprochent à l’article 97 de "porter atteinte à l'objectif constitutionnel d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi". Autrement dit, le texte est si complexe que personne n’y comprend rien, même ceux auquel il s’applique, en l’occurrence les laboratoires pharmaceutiques.

Les députés de l’opposition contestent, par ailleurs, le flou juridique et technique du montant de 10 000 euros/an par patient dont ils considèrent qu’il est "fixé arbitrairement". Autre argument, l’article 97 "méconnait le principe constitutionnel de protection de la santé publique". Comment ? Parce que cette disposition créerait une "désincitation" à la recherche et à l'innovation. Autrement dit, ce mécanisme pourrait avoir pour "effet de dissuader les entreprises exploitant des spécialités pharmaceutiques de s'inscrire dans le mécanisme des ATU". Ce qui aurait pour conséquence de "priver les patients d'un accès précoce à des traitements innovants".

Les arguments du gouvernement sur la soutenabilité financière du dispositif des ATU ont ainsi été balayés par l’opposition.  "Il ne peut raisonnablement être avancé comme motif par le gouvernement que "la très forte augmentation du coût des traitements pris en charge dans le cadre de ces dispositifs, en lien avec le coût exigé par certains laboratoires pour la commercialisation de certains traitements, crée une pression très forte sur le système de prise en charge par l'assurance maladie", sauf à ce que les autorités de santé n'exercent pas leurs pouvoirs de régulation et de contrôle des prix, du remboursement, du chiffre d'affaires et des volumes de ventes de médicaments", détaille la saisine. Autrement dit, l’Etat ne ferait pas son boulot. Enfin, pour les députés, le nouveau mécanisme crée une "pénalisation surabondante des seuls laboratoires exploitant des médicaments innovants et coûteux".

Les labos dénoncent, le Conseil constitutionnel valide l’article
Assez logiquement, ces critiques, on les retrouve dans la communication du LEEM (Les entreprises du médicament) lors des débats parlementaires. Le 4 octobre 2016, le lobby des labos explique ainsi dans un communiqué de presse : "La réforme du dispositif des ATU et post-ATU. Ce dispositif unique en Europe permet aux patients de bénéficier d’un accès précoce aux traitements innovants avant leur autorisation de mise sur le marché. Le LEEM rappelle que ce système, à la fois attractif et fragile, pallie aujourd’hui les délais d’accès au marché particulièrement longs en France (408 jours contre 180 prévus par la directive européenne). La fragilisation des ATU serait avant tout une mauvaise nouvelle pour les patients français". Et le président du LEEM, Patrick Errard, d’expliquer : "Nous réfléchissons à un mécanisme pour éviter que le système soit menacé par une mauvaise maîtrise financière, mais nous avions demandé un temps de discussion sur cette question plutôt qu’un texte formulé rapidement et qui peut être dommageable aux ATU et à l’accès précoce à l’innovation pour les patients".

Le Conseil constitutionnel n’a pas partagé cette analyse. Dans son avis du 22 décembre, il explique ainsi que cet article "ne méconnaît pas l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi" comme l’avançaient les députés. Ce que note aussi le Conseil constitutionnel, c’est qu’il résulte du mécanisme actuel qu’un laboratoire "peut bénéficier d’un avantage de trésorerie au détriment de l’assurance maladie". Et le Conseil d’enfoncer le clou : "En édictant les dispositions contestées, le législateur a entendu limiter cet avantage et, ainsi, pérenniser le mécanisme de l’autorisation temporaire d’utilisation. D’autre part, le mécanisme de reversement prévu (…) ne s’applique pas aux médicaments dont le chiffre d’affaires hors taxes est inférieur à trente millions d’euros au cours de l’année civile, afin de ne pas décourager la mise sur le marché anticipée de produits nouveaux réservés à un nombre plus limité de patients. Les dispositions contestées ne portent donc pas d’atteinte au droit à la protection de la santé".

Par ailleurs, note le Conseil constitutionnel, la mesure "est justifiée par des motifs d’intérêt général". Enfin, rappelle l’avis, "il est possible d’obtenir l’autorisation de mise sur le marché d’un médicament sans s’être préalablement engagé dans la procédure d’autorisation temporaire d’utilisation, laquelle est uniquement prévue à titre exceptionnel. Les laboratoires sont donc libres de s’engager dans cette procédure en en connaissant les contraintes." Conclusion : l’article ne contrevient à aucune exigence constitutionnelle. Il est donc validé.

Remerciements à Magali Léo du Collectif interassociatif sur la santé (Ciss).

(1) : Le médicament n’a pas encore d’AMM. Il n’est donc pas disponible dans les pharmacies de ville, mais uniquement dans les pharmacies des hôpitaux. Il est donc facturé aux établissements de santé.

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