Quand détenir ou consommer de la drogue vaut expulsion des locataires

Publié par Rédacteur-seronet le 19.01.2017
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Politiqueloi égalité citoyenneté

Un article de la nouvelle loi égalité et citoyenneté, votée en décembre 2016, suscite l’indignation de plusieurs associations et syndicat (1). Cette loi fait l’objet d’une saisine du Conseil constitutionnel. "Quand détenir ou consommer de la drogue vaut expulsion des locataires : pourquoi l’article 119 de la loi doit être censuré par le Conseil constitutionnel", demandent ces associations et syndicat. Explications.

L’article 119 de la loi égalité et citoyenneté adoptée par le Parlement le 22 décembre 2016 dispose que : "Le contrat de location est résilié de plein droit, à la demande du bailleur, lorsque le locataire ou l’un des occupants du logement a fait l’objet d’une condamnation au titre d’une infraction sanctionnée à la section 4 du chapitre II du titre II du livre II du code pénal et concernant des faits qui se sont produits dans le logement, l’immeuble ou le groupe d’immeubles". Cette disposition permettrait ainsi l’expulsion de locataires y compris des familles avec leurs enfants à la demande du bailleur, privé ou social, si un occupant du logement a été condamné pour acquisition, transport ou détention de stupéfiants.

Dans un communiqué commun (18 janvier), le Syndicat de la magistrature, AIDES, Asud (Association d’auto-support des usagers de drogues), Droit au logement (DAL) et Médecins du Monde expliquent que cet "article remet indéniablement en cause l’objectif constitutionnel du droit au logement décent. Cette condamnation automatique et arbitraire s’appliquerait aux locataires et aux occupants indistinctement, car l’article vise l’ensemble d’une famille ou d’une colocation et le bail peut être résilié même si le locataire n’est pas concerné par la condamnation ou qu’il n’en a pas connaissance". Cet article à la fois injuste et indigne n’était pas dans la version initiale de la loi. Ce sont quelques députés socialistes qui l’ont proposé en amendement, amendement adopté par la majorité contre l’avis du gouvernement qui y était opposé.

Cette disposition de la loi égalité et citoyenneté "vise aussi bien le trafic que l’acquisition ou la détention de tout stupéfiant. Elle s’applique pour toutes les condamnations sans limitation tirée de la date des faits sanctionnés ou de la décision. Un bail pourrait donc être résilié sur le fondement de faits anciens même antérieurs au début du bail". "Avec 1,4 million de consommateurs réguliers de cannabis en France (OFDT, 2017), combien de foyers seraient concernés par cette mesure ? Faudrait-il dorénavant exiger de son futur colocataire un extrait de casier judiciaire ou encore le soumettre à son propriétaire ?", interrogent les signataires du communiqué.

Pour eux, "cette mesure constituerait une réponse pour le moins inefficace aux nuisances induites par les trafics de stupéfiants : l’expulsion d’une personne n’empêche nullement les activités illicites de se poursuivre dans un lieu où les réseaux sont implantés et qui sont d’ailleurs de plus en plus tenus par des personnes non résidentes du lieu de trafic pour des raisons de rentabilité". De plus, ils avancent que "cet article entre en totale contradiction avec les politiques de réduction des risques et de prévention de la récidive, et d’autre part la prévention des expulsions locatives et la lutte contre la grande exclusion. Les usagers de drogues fréquentant les structures de réduction des risques et spécialisées en addictologie ont déjà difficilement accès au logement. Cette mesure aurait un impact très grave sur les parcours de soins des personnes souhaitant se réinsérer, particulièrement après une condamnation. Avoir un logement stable est une condition essentielle pour obtenir des droits qui permettent l’accès aux soins. Le retard dans le recours aux soins est beaucoup plus fréquent chez les patients vivant dans des conditions précaires."AIDES, Asud, DAL, Médecins du Monde et le Syndicat de la magistrature ont soumis lundi 17 janvier 2017 un mémoire au Conseil constitutionnel exposant pour quels motifs ce texte est contraire aux principes fondamentaux dont cette juridiction est le gardien. Le Conseil constitutionnel doit rendre sa décision au plus tard le 27 janvier 2017.

(1) : Le Syndicat de la magistrature, AIDES, Asud (Association d’auto-support des usagers de drogues), Droit au logement (DAL) et Médecins du Monde.

Voici l’article 119 définitivement adopté
(AN NL) Article 119 33 bis AA
L’article 6-1 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986 est complété par un alinéa ainsi rédigé : "Le contrat de location est résilié de plein droit, à la demande du bailleur, lorsque le locataire ou l’un des occupants du logement a fait l’objet d’une condamnation passée en force de chose jugée au titre d’une infraction sanctionnée à la section 4 du chapitre II du titre II du livre II du code pénal et concernant des faits qui se sont produits dans le logement, l’immeuble ou le groupe d’immeubles".