Raac-sida et hépatites : construire des réponses adaptées et mobiliser

Publié par Rédacteur-seronet le 17.08.2015
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InterviewmigrantsRaac-sida

Les 20 et 21 juin derniers à Lyon, s’est tenu le séminaire du Raac-sida consacré à l’accompagnement des personnes migrantes vivant avec une hépatite B ou C. L’événement avait été organisé par AIDES et tout particulièrement par Coline Mey qui assure la coordination et l’animation de ce réseau ainsi qu’Alain Bonnineau, vice-président. Quelles conclusions à ce séminaire ? Quel bilan ? Interview croisée.

Pour quelles raisons le Raac-sida a-t-il choisi comme thème de son séminaire 2015 les hépatites virales et quel message entend-il passer avec ce choix ?

Coline Mey et Alain Bonnineau : Chaque année depuis sa création en 2007, le Raac-sida organise des rencontres nationales qui permettent de mobiliser les associations membres du réseau, les soignants et les acteurs agissant dans la promotion de la santé des migrants. Cette année, le séminaire organisé par le Raac-sida était centré sur une thématique particulière, les enjeux des hépatites virales pour les personnes migrantes originaires d'Afrique et des Caraïbes, avec pour objectif de réfléchir ensemble et construire des réponses efficientes et adaptées pour réduire la prévalence des hépatites virales en général et celle du VHB en particulier, et pour améliorer l'accès aux soins et le soutien aux personnes concernées.

Le VIH est au cœur des préoccupations du Raac-sida  mais la vulnérabilité des populations afro-caribéennes en France apparait également face aux contaminations aux hépatites virales et notamment l’hépatite B. Parmi les personnes de 18 à 80 ans vivant en France métropolitaine, plus de 5 % des personnes migrantes originaires d’Afrique subsaharienne sont porteurs du VHB contre 0,5 % des personnes d’origine française. On recense près de 300 000 personnes vivant avec le VHB. Pour l’hépatite C, on estime que le risque d’avoir été en contact avec le virus est trois plus important pour les personnes migrantes que pour le reste de la population.

Préoccupé depuis sa création par la question des hépatites virales, le Raac-sida a décidé en 2014 d’y porter une attention particulière, notamment l'hépatite B, trop souvent en arrière-plan, et d'en faire une des priorités du réseau en 2015, notamment à travers l'organisation de ce séminaire. La lutte contre les hépatites virales a d'ailleurs été ajoutée dans l'intitulé du Raac-sida qui est devenu en 2014 le Réseau des Associations africaines et Caribéennes agissant en France dans la lutte contre le sida, les hépatites virales, les autres IST et pour la promotion de la santé. Cette mobilisation s'inscrit aussi dans la continuité de l'implication du Raac-sida dans l'enquête ANRS-Parcours, dont la présentation des résultats était un des moments phares du séminaire à Lyon, et qui font apparaître clairement des problématiques associées aux hépatites virales pour les personnes migrantes originaires d'Afrique subsaharienne : toutes les difficultés liées au droit au séjour, la précarité sociale et de logement influent beaucoup sur la vulnérabilité aux hépatites B et C et sur l'accès aux soins et sur la santé des personnes. Autant de raison pour le Raac-sida de réunir le réseau autour des hépatites virales afin de construire des réponses adaptées et de mobiliser les autorités de santé et les communautés concernées sur ces enjeux.

Lors de différents ateliers, le Raac-sida a travaillé sur les pistes qu’il comptait mettre en œuvre concernant la lutte contre les hépatites. Quelles priorités se fixe-t-il ?

Ce séminaire pourra servir de base de travail à l’élaboration d’outils de communication et de sensibilisation qui manquent au réseau pour la prévention contre les hépatites virales. Il apparait plus largement un fort besoin de formation et de sensibilisation, pour les acteurs communautaires des associations membres du Raac-sida comme pour les professionnels de santé et partenaires des associations.

Les ateliers ont fait ressortir deux priorités principales à mettre en œuvre concernant le VHB : favoriser l’incitation à la vaccination par des campagnes de communication en direction des communautés migrantes en France, et bâtir une plateforme de plaidoyer pour le développement du dépistage communautaire de l'hépatite B par l'autorisation et la mise à disposition de Trod VHB, alors que celui du VHC devrait être opérationnel avant la fin de l'année 2015.

Comme pour le VIH, le développement des Trod VHB et VHC implique aussi une amélioration de l'accompagnement vers le soin après un diagnostic positif. Concernant le VHC, le Raac-sida s'associe aux revendications des associations de patients pour un accès universel de toutes les personnes infectées aux nouveaux traitements disponibles sans attendre une aggravation de leur état de santé.

Le Raac-sida recommande également de favoriser une prise en charge globale qui inclut non seulement la prévention et l'accès aux soins, mais aussi les questions de droit au séjour, de précarité et d'accès aux droits sociaux qui constituent un frein important si elles ne sont pas résolues. Enfin l'importance de mieux coordonner les actions des différents acteurs impliqués a été soulignée, afin d'améliorer les stratégies de prévention et l'organisation des parcours de santé des personnes.

Lors du séminaire de Lyon, les résultats de l’Observatoire malades étrangers ont été présentés ainsi que les évolutions inquiétantes du droit au séjour pour soins dans la future loi immigration… quelle place le Raac-sida entend-il prendre dans ces débats ?

Le Raac-sida, très préoccupé par ces évolutions envisagées dans le projet de loi, s'associe aux recommandations et propositions formulées notamment par l'Observatoire du droit à la santé des étrangers (ODSE), et a rappelé, à l'occasion de son séminaire, que les obstacles au droit au séjour des étrangers compromettent gravement leur accès aux soins et à la prévention avec des conséquences dramatiques pour leur santé, notamment pour les personnes séropositives au VIH et/ou aux hépatites virales. Le Raac-sida informe régulièrement ses associations membres de la situation et des enjeux législatifs, et la participation du Raac-sida à l'Observatoire des malades étrangers et la visibilisation des résultats de recherches comme l'enquête ANRS-Parcours, à laquelle a contribué le Raac-sida,  apportent aussi des arguments factuels contre les évolutions proposées par la loi immigration en cours d’examen au Parlement.

Il est notamment impératif que l'évaluation médicale prévue dans le cadre du droit au séjour des malades étrangers relève de l'autorité exclusive du ministère de la Santé, et qu'elle soit menée dans une logique de prévention de la santé et non de contrôle de l’immigration. Nous nous opposons au projet de confier une telle compétence à l’Ofii (Office français de l’immigration et de l’intégration), sous tutelle du ministère de l’Intérieur, qui contreviendrait clairement à l’indépendance des acteurs de la procédure et aux préoccupations de santé. Ensuite, le sort des personnes qui accompagnent des malades, mineurs ou majeurs, doit être pris pleinement en compte. Par ailleurs, l’accès à la carte pluriannuelle doit être garanti aux étrangers titulaires d’une carte de séjour pour soins sans discrimination à raison de leur état de santé. Enfin, le projet de loi doit mieux protéger les malades étrangers contre l’expulsion et clarifier les procédures médicales applicables en rétention et en détention. L’objectif de protection de la santé des personnes doit primer sur les objectifs sécuritaires et de politique d’éloignement.

Propos recueillis par Jean-François Laforgerie