STRASS test !
"Y a pas trop de monde !", lâche une passante un peu blasée. Question de point de vue. Plus de 400 personnes, dont une majorité de travailleuses et travailleurs sexuel(le)s, on peut considérer que cela en fait du monde justement. A fortiori lorsqu’il s’agit de défendre des revendications et des droits qui sont ignorés et bafoués et de demander la reconnaissance de métiers, une fois de plus violemment attaqués par un rapport parlementaire et la menace d’un texte législatif qui pénaliserait les clients. Plus de 400 personnes, sur la question de la prostitution, cela en fait du monde dans le contexte politique actuel. C’est même un acte de courage. Ce n’est pas le premier du STRASS, le syndicat du travail sexuel, créé en 2009, organisateur de l’événement. C’en est un de plus. Comme les années précédentes, c’est une manifestation publique qui a été retenue et une date : le 2 juin. "Cette date n’est pas le fruit du hasard, explique Maîtresse Gilda, porte-parole du STRASS. C’est celle de la Journée mondiale des sex workers [travailleurs du sexe, ndlr] et c’est la date anniversaire de l’occupation de l’église Saint-Nizier à Lyon, il y a 36 ans". En 1975, des femmes, prostituées, investissaient cette église pour exprimer leur colère face au harcèlement policier et social dont elles étaient alors victimes. "Nous en sommes toujours là !", lâche Maîtresse Gilda.
Si cette manifestation de 2011 revêt un caractère un peu particulier, c’est qu’un événement s’est produit il y a quelques semaines : la présentation du rapport de la mission parlementaire d’information sur la prostitution. "C’est le pire événement qui soit arrivé ces dernières années", confirme Marie-Elisabeth Handman, historienne de la prostitution. La mission dirigée par la députée PS Danielle Bousquet et son collègue UMP Guy Geoffroy a émis un grand nombre de recommandations dont la principale est de pénaliser les clients. Bref, la vision classique : tarir la demande pour supprimer l’offre. La ministre de la Solidarité et de la Cohésion sociale, Roselyne Bachelot, a profité de cet événement (aux fortes allures de commande officielle) pour affirmer, dans la presse d’abord et devant les parlementaires de la mission, son souhait de voir la France instaurer effectivement des sanctions pénales à l'encontre des clients des travailleurs et travailleuses du sexe. Pour maîtresse Gilda, ce rapport parlementaire "très programmé" n’est que la "caisse de résonnance" de mesures déjà décidées. "C’est tout de même curieux de voir que la seule audition de la mission qui ait été publique et ouverte à la presse soit celle avec Roselyne Bachelot, les autres se sont tenues à huis clos", constate-t-elle. Ce n’est d’ailleurs pas l’unique grief que le STRASS fait au rapport. Sur les quelque deux cents personnes auditionnées par les députés, une quinzaine seulement étaient prostituées et certaines n’exerçaient plus. Et pourtant, avec un syndicat comme le STRASS, regroupant pas loin de 500 adhérents et adhérentes, il n’était pas difficile de trouver des professionnel(le)s pouvant donner leur vision de leur métier. Mais d’après le STRASS et pour le collectif Droits et prostitution, ce n’est manifestement pas cela qui intéressait les députés.
"Ce n’est pas la première fois que la pénalisation des clients est proposée, rappelle maîtresse Gilda. Christophe Caresche, député PS [un temps adjoint de Bertrand Delanoë à la sécurité, ndlr], l’a déjà proposée. Aujourd’hui, on nous cite l’exemple de la Suède, on manipule les chiffres et on pratique volontairement l’amalgame entre le travail du sexe et la traite des femmes. Et cela pour rendre plus acceptable l’interdiction de la prostitution et la pénalisation des clients". Créé en 2003, le collectif Droits et prostitution milite pour les droits des travailleurs sexuels. Ce collectif a eu pour premier combat en 2003 la loi de sécurité intérieure qui a pénalisé le racolage public. Ce n’est un mystère pour personne (sauf pour les députés de la mission prostitution) mais cette première loi a provoqué "une dégradation des conditions de vie des travailleurs sexuels, ainsi qu’une augmentation des prises de risque du fait de pressions multiples (économiques, policières notamment)". La pénalisation du racolage public a, selon le collectif, poussé à une "invisibilisation généralisée des travailleurs sexuels qui rend leur accès aux droits et à la justice extrêmement difficile". Elle a aussi éloigné les travailleurs et travailleuses du sexe des structures et services de prévention. "La santé des personnes est en danger, note Miguel-Ange Garzo d’Arcat. Un vrai travail de prévention était mené depuis des années et cela a été remis en cause depuis 2003. On note, depuis cette date, une augmentation des infections sexuellement transmissibles chez les travailleuses du sexe les plus précaires". Pour les associations communautaires de santé, le danger existe déjà et il ne pourra qu’être renforcé par une éventuelle loi de pénalisation des clients.
"Notre association s’est opposée au délit de racolage public, indique Cécile Lhuillier d’Act-Up Paris. Cette mesure a fait courir des risques accrus aux personnes, elle en a poussé certaines à se mettre à l’écart des structures de dépistage et de prévention". Aujourd’hui, ce qui mobilise l’association, c’est que les mesures envisagées se télescopent avec d’une part les recommandations du Conseil national du sida (CNS) sur "VIH et commerce du sexe" et d’autre part avec les priorités du dernier Plan national de lutte contre le sida et les IST 2010-2014, dont une mesure concerne les travailleurs et travailleuses sexuel(le)s. Dans son avis (septembre 2010), le CNS faisait état de "politiques publiques contradictoires", de "cadre législatif défavorable, peu conforme aux droits des personnes" et préconisait de "renforcer les droits". "Roselyne Bachelot, elle-même, alors ministre de la Santé, avait insisté, lors de la conférence internationale sur le sida à Mexico, sur l’importance des actions de prévention auprès des populations les plus vulnérables, comme les travailleuses du sexe. Manifestement, l’idée de renforcer les droits des personnes en matière de prévention est moins à la mode. Cet enjeu de santé est une des raisons de l’opposition d’associations comme Act-Up Paris, Arcat, Solidarité Sida et AIDES à la pénalisation des clients. Pour les associations, le travail du sexe n’est pas, en soi, un facteur d’exposition particulière. Ce sont les rapports non protégés et les conditions d’exercice de leur activité qui accroissent les risques. Pour elles, c’est évident que la pénalisation des clients aura pour conséquence "d’éloigner d’avantage encore les travailleurs et travailleuses sexuel(le)s des structures de prévention, de soins et de dépistage". Elle risque également de rendre "plus difficile pour les travailleurs et travailleuses sexuel(le)s d’imposer le port du préservatif".
Pour majeure qu’elle soit, la question de la santé n’est pas l’unique enjeu pour s’opposer à la pénalisation des clients. La pénalisation des clients mettrait en danger l’intégrité physique et la liberté des travailleurs et travailleuses du sexe. Elle donnerait aux "forces de police le pouvoir de contrôler davantage les personnes exerçant cette activité", estime Droits et prostitution. Elle favoriserait leur exploitation. Il existe bien d’autres conséquences néfastes, mais l’une frappe plus particulièrement : pénaliser les clients reviendrait à interdire purement et simplement le travail sexuel. Et le collectif Droits et prostitution ne voit pas d’un bon œil "la prohibition de tout travail sexuel". Il considère qu’il s’agit d’un danger pour les libertés individuelles de tous. Lors de la conférence de presse pour le lancement de la manifestation parisienne, Chloé, travailleuse sexuelle, a dénoncé cette intrusion dans sa vie privée qui, demain, se généralisera. Chloé, comme d’autres femmes qui exercent ce métier, ne considère pas qu’elle vend son corps, mais un service. "Je suis comme un jardin secret, explique-t-elle. Mon rôle consiste à donner du rêve, à réaliser du fantasme. Je suis là aussi pour libérer la parole sur le sexe, mais aussi parler de prévention. C’est moi qui suis en première ligne lorsqu’on me demande des rapports sans préservatifs. C’est moi qui vais expliquer, faire comprendre. Je ne suis pas là pour faire prendre des risques, ni en prendre moi-même. Ce sont des rapports humains… Les échanges commerciaux à la bourse sont beaucoup plus vulgaires que les nôtres".
Ce qui frappe, c’est qu’il semble y avoir désormais consensus entre l’UMP et le PS sur la pénalisation. "Cela ne me surprend pas vraiment, cela m’attriste", explique Marie-Elisabeth Handman. "Nous n’avons rien à attendre des politiques. En tout cas, pas lieu de les racoler pour faire connaître nos droits, ironise maîtresse Gilda. Nous sommes suffisamment citoyennes et citoyens, mobilisés dans un syndicat qui est éminemment politique. Notre objectif est de faire connaître et défendre nos droits". Maîtresse Gilda est-elle surprise que l’UMP et le PS se soutiennent dans ce nouveau projet de pénalisation ? pas vraiment. "C’est simple. Pour nous, c’est la même merde, mais même repeinte en rose, elle n’en sent pas moins mauvais".
"Il est 15 heures. C’est parti pour la marche", s’époumone une des organisatrices. Derrière les banderoles, les manifestants s‘avancent. Certains portent de beaux masques décorés, d’autres de larges lunettes noires et des perruques. "Il faut faire comme nous, vous n’avez qu’à tout légaliser", lâche une touriste avant de s’engouffrer dans le métro. Sur une banderole, on peut lire : "On paie des impôts, c’est donc bien un vrai boulot". Dans le cortège, il y a une jeune femme aux cheveux d’un noir profond, des piercings encombrent ses lèvres, son nez et ses oreilles. "T’es travailleuse de sexe ? ", lui demande-t-on. Sourire aux lèvres, elle répond : "Non, pas du tout. Moi, je fais du tuning génital".
Photos : Mathieu Brancourt
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Commentaires
honteux
Qu 'est-ce qu'un escort!
escort = tapin
On dit Escort boy ou geerl !!
Un réel escort
nous voilà rassurés
bon, faisons une synthèse
oui mais --------
A force de mettre tout le monde dans le même sac,
Prostitués-ées et travailleurs-euses du sexe
Bonjour,
Les personnes qui se revendiquent travailleurs-euses du sexe, qu'elles soient occasionnelles ou non, militent pour la reconnaissance du travail du sexe comme un travail à part entière, donc reconnu légalement et protégé par les mêmes droits que n'importe quel autre travail.
C'est opposable à la prostitution contrainte et avec toute forme d'exploitation.
Le travail du sexe indépendant et choisi librement réclame des droits mais aussi des devoirs. Il doit pouvoir s'exercer en toute liberté, sans victimisation et sans pénalisation, qui on le sait ne permet plus de faire de prévention, ni de garantir un accès à la santé.
Bonne journée. Sophie
c'est bien ce que je pensais