Traitement pré-exposition : ça avance...

Publié par Emy-seronet le 23.11.2010
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PrEP
"Cet essai est une grande avancée scientifique qui conforte les progrès réalisés ces dernières années dans le domaine de la prévention, au service de tous les groupes très exposés à l'infection, ici et ailleurs" (ANRS). Cette conclusion de l'essai Iprex, le premier grand essai d'efficacité de prophylaxie pré-exposition (PrEP), s'appuie sur les résultats encourageants publiés ce matin. La prise quotidienne d'un médicament anti-rétroviral réduirait les risques de contracter le VIH de 44%.
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Les résultats de ce grand essai américain mené par l'Université de Californie étaient attendus pour la Conférence sur les rétrovirus et les infections opportunistes (CROI) de février 2011 ; "ils sont arrivés plus vite que prévu" et viennent finalement d'être rendus publics. 2499 hommes gays séronégatifs issus d'Amérique (Brésil, Equateur, Pérou, Etats-Unis), d'Afrique du Sud et de Thaïlande soumis à une prise quotidienne de Truvada (médicament qui combinent les deux molécules antirétrovirales tenofovir et FTC) ou d'un placebo pendant une durée moyenne de quatorze mois : les enjeux de l'essai Iprex étaient conséquents et un second grand essai de PrEP débutera très bientôt. Pour l'ANRS, la priorité de la recherche est d'ajouter à la palette d'outils de prévention existante des méthodes nouvelles ; la plus prometteuse étant l'utilisation d'antirétroviraux chez les personnes non-infectées.

La PrEP continue s'avère relativement efficace...
Un groupe sous Truvada, l'autre sous placebo, et un contrôle régulier de leur observance. La procédure risquait d'entraîner une désinhibition des comportements sexuels ; il n'y en a pas eu. La toxicité du Truvada chez des personnes séronégatives ? D'après les connaissances actuelles, elle pourrait comporter des troubles rénaux mais ce risque demeure extrêmement faible. Sur les 2499 participants, 100 personnes ont contracté le VIH et, sur ces 100 personnes, 36 appartenait au groupe censé prendre du Truvada, soit 44% de réduction du risque dans ce groupe, ce qui n'est pas énorme. "Ces résultats sont plus bas que l'on avait espéré mais néanmoins encourageants," a déclaré Catherine Handkins, responsable scientifique à l'ONUSIDA (www.bloomberg.com). A noter cependant que parmi les personnes qui se sont infectées dans le groupe Truvada, seules 3 avaient du médicament détectable dans le sang, d'où l'importance de l'observance au traitement. On craignait également l'apparition de résistances au traitement chez ces participants séronégatifs qui prenaient du Truvada et qui sont devenus séropositifs ; aucun cas de résistance n'a été observé.

... Mais la PrEP intermittente serait plus réalisable
A la différence de la PrEP intermittente (une étude en projet avec une ou plusieurs prises de traitement avant et après un rapport sexuel), la stratégie de PrEP quotidienne implique un certain nombre de contraintes qui rendent sa mise en place impossible, à ce jour. Quelle toxicité les traitements entraînent-ils sur le long terme ? De même, sur une longue période, quelle serait la réalité de l'observance ? Quel serait le coût d'une telle stratégie à grande échelle ? De nombreuses questions sont sans réponse. "Nous sommes encore dans le domaine de la recherche ; une recherche qui demande à être affinée," souligne Jean-François Delfraissy qui tient "à ce que l'on distingue ce qui relève de la recherche et ce qui relève des recommandations de santé publique". L'espoir de voir un jour la capote remplacée par la pilule, il faudra donc le chercher du côté de la PrEP intermittente. Pour cette raison, l'ANRS lancera la phase pilote de l'essai "PrEP à la demande" au premier semestre 2011, pour évaluer la faisabilité d'une stratégie de prévention prophylactique "à courts termes" sur des hommes gays français et canadiens. Les résultats de l'essai Iprex étaient attendus par les initiateurs de l'essai "PrEP à la demande" et ils seront pris en compte pendant cette nouvelle étude. Quant aux questions économiques soulevées par l'éventuelle mise sur le marché d'un traitement pré-exposition, Jean-François Delfraissy est confiant. "Les choses peuvent évoluer très rapidement. Le coût [des traitements] peut évoluer et n'oublions pas qu'il existe des versions génériques de ces médicaments," rappelle le directeur de l'ANRS.

Conclusion : il faut approfondir les recherches !
Les réactions des associations et de la presse se résument en deux mots : prudence et patience. Inquiet de l'enthousiasme prématuré que pourrait susciter l'annonce de tels résultats, Anthony Fauci, directeur de l'Institut national sur les allergies et les maladies infectieuses (Etats-Unis) et l'un des initiateurs de l'essai Iprex, s'est exprimé ce matin : "de plus en plus de personnes risquent de se rendre chez le médecin en disant 'Ouah, ces chiffres sont impressionnants. Pourriez-vous me faire une ordonnance ?'". "Même s'il s'agit d'une découverte majeure," a confirmé Kevin Fenton, directeur du service VIH/sida du CDC, "il est trop tôt pour dire aux hommes gays qu'ils peuvent se passer du préservatif". Parce que les essais PrEP soulèvent de nombreuses questions éthiques, le collectif TRT-5 suit le protocole de l'essai "PrEP à la demande" depuis son lancement. François Berdougo, coordinateur du collectif, insiste sur le fait que les résultats de l'essai Iprex ne suffisent pas pour recommander le traitement pré-exposition aux personnes séronégatives et souligne, entre autres, le manque d'informations sur la tolérance des traitements à long terme. Dans un communiqué publié ce matin, AIDES appelle également "à la plus grande prudence concernant l'utilisation 'sauvage' d'ARV par des séronégatifs pour se protéger du VIH" mais se félicite des résultats d'Iprex qui "doivent encourager les pouvoirs publics à accroître les financements de la recherche en prévention". Même chose pour Act-Up, qui déclare que "d’autres étapes sont encore nécessaires avant de disposer éventuellement d’un nouvel outil de prévention" et qui rappelle que "l'efficacité partielle" de la PrEP "peut être facilement anéantie par un relâchement des comportements".

Article mis à jour le 25 novembre 2010.

Commentaires

Portrait de eris

Je ne suis pas certain, contrairement à ce qui est dit dans cet article: "de plus en plus de personnes risquent de se rendre chez le médecin en disant 'Ouah, ces chiffres sont impressionnants. Pourriez-vous me faire une ordonnance ?'"

Ce serait étonnant que la majeure partie des gens décident de prendre un traitement qui est loin d'être anodin de manière préventive.

Ou du moins si, cela par contre pourrait servir aux couples sérodifférents, qui pourraient aussi avoir une sexualité plus "tranquillisée", dans l'hypothèse où les résultats finaux soient vraiment probants.

En tous cas, ces recherches ont le mérite d'exister et que de la convergence de plusieurs éléments sortira peut-être enfin une nouvelle manière d'appréhender le VIH.

Et ça, c'est déjà beaucoup !

« Le but est le chemin lui-même » Soyons nous-mêmes, en toute circonstance.

Portrait de Piicsou

... on ne parle déjà pas dans les médias de la conduite à tenir en cas d'Accident Exposant à un Risque Viral (les urgences avec possibilité de traitement post-exposition au VIH) parce que "On" pense que cela pourrait modifier le comportement des personnes qui feraient beaucoup moins attention, utiliseraient moins les préservatifs et, au prix du kit post-exposition, ne feraient qu'empirer le déficit de la Sécu (c'est vrai que 4 jours ou 1 mois de traitement coûte plus cher que de nouvelles contaminations avec des traitements au long cours... Qu'est ce qu'ils peuvent être cons là haut! "Ils" ne savent penser que sur du court terme!!... Désolée je me lâche!!) Alors de là à prescrire un traitement pré-exposition... ou alors comme dans les autres pays européens, on va en venir à ne prendre en charge le prix du kit que pour un accident professionnel... Piicsou, une secrétaire qui vous veut du bien ;)
Portrait de nathan

Ne se dirige-t-on pas plus vers une adaptation des traitements de prévention en fonction du risque auquel la communauté où on a le plus d'activité sexuelle est le plus important ?

Par exemple, pour les Hommes Ayant du Sexe avec d'autres Hommes (HSH), groupe qui me concerne, le maraviroc (Celsentri) plutôt que Truvada n'est-il pas la molécule la plus adaptée pour un traitement de pré-expostion au vih ?

Portrait de nathan

emy-seronet wrote:

Dans un communiqué publié ce matin, AIDES appelle également "à la plus grande prudence concernant l'utilisation 'sauvage' d'ARV par des séronégatifs pour se protéger du VIH" mais se félicite des résultats d'Iprex qui "doivent encourager les pouvoirs publics à accroître les financements de la recherche en prévention". Même chose pour Act-Up, qui déclare que "d’autres étapes sont encore nécessaires avant de disposer éventuellement d’un nouvel outil de prévention" et qui rappelle que "l'efficacité partielle" de la PrEP "peut être facilement anéantie par un relâchement des comportements".

Toujours est-il que pragmatiquement dans des couples sérodiscordants HSH exposés au risque de contracter des virus multirésistants, les effets  de ces essais sauvages sont plutôt probants à condition d'utiliser la bonne molécule. Le fait que Aides lance cet appel est symptomatique de pratiques déjà en cours, vérifiées.