Traitement VHC : Les labos sur tous les coûts ! (1/2)

Publié par Mathieu Brancourt le 10.09.2014
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Interviewvhchépatite CSovaldisofosbuvir

Alors qu’une nouvelle génération de médicaments contre l’hépatite C est en voie de révolutionner le soin de cette maladie, les tarifs dictés par les laboratoires pharmaceutiques bouchent l’horizon d’un traitement accessible partout et pour tous. Ces derniers ne reculent devant rien pour maximiser leurs profits et contourner les règles en vigueur. Pauline Londeix, activiste d’Act Up-Basel et spécialiste de la question, décrypte ces abus qui menacent la vie de personnes malades.

L’enjeu du prix des traitements a auparavant traversé la lutte contre le sida. Dans quelle mesure peut-on s’en inspirer pour la bataille pour la baisse du coût des nouveaux traitements VHC ?

Pauline Londeix : Il y a trois ans, peu nombreuses étaient les personnes au sein des associations de lutte contre le sida à parler d’hépatites virales. Je travaillais pour Act Up-Paris à l'époque. Gérald Sanchez, militant historique de l’association, a porté ce dossier pendant des années. Il est décédé brutalement en 2011. Il était précurseur sur les questions d'éducation thérapeutique et il nous a donné envie de poursuivre. Nous avons fait la jonction avec les activistes de la région Asie/Pacifique qui étaient déjà très investis sur l'hépatite C. Ce sujet des hépatites virales était alors peu abordé, parce que ce n’était pas considéré comme un sujet prioritaire par rapport au VIH, et parce que les options thérapeutiques contre l’hépatite C étaient très peu nombreuses.

Aujourd’hui, on estime que 180 millions de personnes sont infectées par une hépatite C chronique dans le monde. Non traité, le VHC provoque des maladies du foie et des centaines de milliers de décès chaque année. En France et dans les pays à hauts revenus, le VHC est devenu la première cause de mortalité pour les personnes vivant avec le VIH. Lutter contre le sida sans parler de VHC devenait un non sens. Avant 2014, les traitements disponibles étaient coûteux et aléatoires. Depuis cette année, des traitements efficaces, faciles à produire, bien tolérés mais coûteux sont arrivés sur le marché. Jusqu’à l’année dernière, les traitements de l’hépatite C connaissaient un taux d’échec thérapeutique assez important à la seule combinaison disponible : le Peg-Interféron combiné à la ribavirine en particulier pour les génotypes du virus les plus présents en Europe de l’Ouest et en Amérique du Nord. Nous assistons à l’arrivée d’un traitement plus simple à produire et à prendre, mieux toléré, plus court, et très bientôt 100 % oral et probablement pan-génotypique, c’est-à-dire qui seront efficaces quelque soit le génotype du virus. Les avancées réalisées aujourd’hui d’un point de vue thérapeutique sont absolument fantastiques. Après la mise sur le marché en 2012/2013 des premiers antiviraux contre le VHC moyennement satisfaisants (bocéprévir, télaprévir), arrivent sur le marché en 2014, plusieurs molécules très prometteuses, dont le sofosbuvir (Sovaldi commercialisé par Gilead), et très prochainement des inhibiteurs NS5A, dont le GS-5816 (Gilead) et le datasclavir (Bristol Myers Squibb). L’accès à ces nouveaux traitements pour toutes les personnes qui en ont besoin est donc possible théoriquement partout. Mais les prix pratiqués par les laboratoires pharmaceutiques et, en particulier Gilead, sont un des freins majeurs à cet accès.

En quoi est-ce un tel frein ?

Une telle situation, où des médicaments existent et pourraient être produits pour tous, mais où peu nombreux sont ceux qui y auront accès, est inacceptable et rappelle la situation d’il y a quinze ou vingt ans pour l’accès aux trithérapies contre le VIH. Nous devons retenir les leçons de la lutte contre le sida. En quatorze ans, nous avons vu le prix de la trithérapie la moins chère passer de 10 500 dollars (par an par personne) à 80 dollars. Une telle baisse des prix n’a été possible que grâce à la concurrence par les génériques, d’autant plus que nous savons que les coûts de production de ces molécules sont très faibles comparés aux prix pratiqués. Même aux prix les plus bas exigés actuellement, les firmes continuent de réaliser des marges sur leurs ventes, et les coûts des essais cliniques ont été amortis depuis longtemps.

Par ailleurs, nous savons désormais par expérience que les programmes et initiatives de négociations de prix entre les institutions internationales ou les gouvernements nationaux d’un côté, et les firmes pharmaceutiques de l’autre, favorisent peu l’accès. Depuis juin 2014, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) envisage pour le VHC une nouvelle initiative du type "Accelerating access" qui a été un échec cuisant dans les années 2000 dans le domaine du VIH. Elle avait consisté en des négociations de prix entre firmes pharmaceutiques, l’OMS et des pays d’Afrique subsaharienne. Le nombre de personnes ayant pu accéder à un traitement grâce à cette initiative a été très faible. A mon sens, cela serait une véritable erreur stratégique de reproduire une telle initiative contre le VHC. Car la baisse des prix des traitements utilisés contre le VIH est en grande partie à mettre à l’actif de la concurrence par les médicaments génériques. C’est cette stratégie que l’on doit pousser pour lever les barrières de l’accès aux nouveaux traitements du VHC.

Votre proposition de licence obligatoire, qui permettrait l’exploitation du médicament princeps à moindre frais et la concurrence des génériques pour faire baisser les prix est-elle réaliste en l’état ? Que faudrait-il faire pour la rendre applicable ?

On parle de licence obligatoire lorsque les pouvoirs publics autorisent un tiers à fabriquer le produit breveté ou à utiliser le procédé breveté sans le consentement du titulaire du brevet. Cela permet aux pouvoirs publics de ne pas à avoir à attendre l’expiration du brevet (20 ans) pour avoir recours à des versions génériques du produit sous brevet. Contrairement aux idées reçues, les licences obligatoires ont été utilisées à de nombreuses reprises aux Etats-Unis et en France. Les licences obligatoires ont été reconnues dans des conventions internationales dès 1925, inscrites dans les accords de l’Organisation mondiale du commerce sur la propriété intellectuelle (ADPIC) de 1995, et même réaffirmées dans la déclaration ministérielle de Doha de 2001, et utilisées à de nombreuses reprises depuis. La licence obligatoire constitue l’une des flexibilités des accords ADPIC.

C’est aussi valable pour la France ?

L’Etat français est en mesure dès aujourd’hui d’émettre une licence obligatoire sur le sofosbuvir, et bientôt sur le GS-5816 et le datasclavir, comme la loi française le permet explicitement dans son code de propriété industrielle, en mentionnant d’ailleurs l’exemple des médicaments. Cette mesure a porté ses fruits dans les pays à bas et à moyens revenus pour les médicaments contre le sida, entre autres (mais également d’autres médicaments, comme des anticancéreux). La France peut donc utiliser les dispositions légales prévues par son code de propriété industrielle ou par les accords de l’OMC sur la propriété intellectuelle pour émettre une licence obligatoire. Dans un second temps, se pose la question de l’approvisionnement en génériques. Il est tout à fait imaginable que la France puisse en produire elle-même, ou qu’elle en importe d’un pays producteur, dans la mesure où l’on sait que des producteurs de génériques explorent actuellement les possibilités de produire du sofosbuvir, notamment en Egypte et en Inde.

Pensez-vous que les discussions en cours sur le Sovaldi (sofosbuvir) risquent dans le futur de conditionner les débats sur les futures molécules ?

Les discussions en cours sur le Sovaldi risquent non seulement de conditionner les débats sur les futures molécules, mais ces discussions et les prix acceptés jusqu’ici par la France menacent l’assurance maladie. C’est, à mon avis, tout l’enjeu du débat actuel. Il serait naïf de croire qu’une réduction du prix du Sovaldi en France, y compris de 50 ou 75 % par rapport au prix actuel, serait suffisante. L’étude réalisée par Andrew Hill de l’Université de Liverpool le montre : les coûts de production réels estimés des nouveaux traitements de l’hépatite C sont très faibles. Les prix de vente fixés par les laboratoires sont astronomiques et totalement arbitraires. Une baisse du prix du Sovaldi, même de 50 ou 75 %, me paraitrait totalement insuffisante. D’ici quelques semaines, après le Sovaldi, va arriver le datasclavir (fabriqué par BMS), pour le premier traitement 100 % oral et sans peg-Interféron et ribavirine, puis la combinaison à dose fixe de Gilead (associant sofosbuvir et GS-5816). Le problème du prix se posera de la même manière pour ces nouveaux traitements. Accepter 50 000 euros pour le Sovaldi établira de toute évidence un précédent, qui rendra plus difficile toute future négociation pour les nouveaux traitements contre l’hépatite C. Ce précédent risque également de s’appliquer aux autres médicaments et aux autres maladies. Pour ce qui est des pays à hauts revenus, comme la France, est-il normal que l’argent public aille dans l’achat de médicaments dont la fixation des prix reste complètement arbitraire ? Alors que le gouvernement met en avant les besoins de réduire les dépenses publiques, n’est-ce pas problématique que ces économies aillent dans l’achat de médicaments à ces prix-là ? L’achat seul du sofosbuvir pour les personnes qui en ont un besoin urgent en France, c’est-à-dire celles qui sont déjà à un stade fibrose avancé, équivaudrait au seul budget médicament de l’Assistance publique des hôpitaux de Paris (AP-HP), soit près de 3 milliards d’euros !

Avoir à choisir les personnes pouvant prendre un traitement, sur la base de l’état d’avancement de l’infection, en priorisant d’abord celles qui sont à un stade avancé de fibrose ou maladie du foie, et laisser les autres "de côté" jusqu’à ce qu’elles atteignent un stade qui leur permette de rentrer dans les critères d’éligibilité, est non seulement totalement inédit en France, mais constitue aussi un problème éthique majeur. Que tout cela se produise sous un gouvernement de gauche est véritablement navrant.

Aux Etats-Unis, des tranches de la population pas assez pauvres pour avoir accès à Medicaid (le système de couverture médicale pour les plus démunis), mais pas assez aisées pour avoir une assurance privée, vont devoir payer de leur poche le prix du sofosbuvir, à 1 000 dollars le comprimé (alors que celui-ci coûte 3 dollars à produire). Est-ce acceptable que des personnes aient à faire des emprunts à la banque, ou vendre tous leurs biens, ou encore utiliser les économies de toute une vie pour acheter un traitement qui coûte moins de 100 dollars à produire ? Nous avons déjà des retours de médecins aux Etats-Unis qui nous disent que certains de leurs patients doivent renoncer au traitement faute de moyens. Après ma présentation à la conférence de Melbourne, j’ai pu discuter avec des médecins qui étaient véritablement alarmés de la situation, à la fois aux Etats-Unis et en France. En tout cas, selon les études que nous avons réalisées, nous constatons que les stratégies des firmes pharmaceutiques dans les pays à bas revenus ne fonctionnent pas en terme d’accès, que les prix négociés pays par pays dans les Etats à revenus intermédiaires ne fonctionnent pas et ne sont pas supportables pour les systèmes de santé de ces pays (cela excède complètement leurs budgets nationaux), et que les prix standards dans les pays les plus riches ne fonctionnent pas non plus.

Qui est Pauline Londeix ?
Pauline Londeix est actuellement basée à Marrakech (Maroc) où elle travaille pour La Coalition internationale pour la préparation aux traitements en Afrique du Nord et au Moyen-Orient (ITPC-MENA). Elle a été une ancienne vice-présidente d'Act Up-Paris, ancienne coordinatrice des questions internationales à Act Up-Paris (2008-2012), co-fondatrice d'Act Up-Basel, auteure du rapport "Nouveaux traitements de l'hépatite C : Stratégies pour atteindre l'accès universel" (Médecins du Monde, mars 2014). Elle a également travaillé comme consultante pour différentes organisations de lutte contre le sida, contre l'hépatite C, pour les droits humains, et pour l'accès aux médicaments.

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Commentaires

Portrait de unepersonne

que dire apres un telle lecture ? c'est de la torture psychologique, ça donne envie de hurler 

ces laboratoires GILEAD et BMS sont constitués de laborentins  venaux inhumains, qui ne pensant qu'à s'en foutre pleins les poches sur le compte des malades c'est ignoble, honteux, il n'y a pas de mots pour qualifier de tels agissements de la part de ces professionnels de santé

seule la fabrication des medicaments genriques contre le VHC pourrait contrer les abus pratiqués par ces labos mafieux mais d'ici là, combien mourront du VHC ?