Traitements et stratégies : bilan de la Conférence IAS de Rome

Publié par Renaud Persiaux le 06.09.2011
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thérapeutique
Revue des résultats sur les traitements présentés à la conférence de l’IAS à Rome. Pas vraiment de scoop, mais des résultats, plus détaillés, d’études précédemment annoncées. Des résultats à long-terme. Ou, au contraire, des résultats encore préliminaires (dits de phase IIB), qui demanderont des confirmations ultérieures. Avec notamment, côté molécules antirétrovirales (ARV), une petite nouvelle, la lersivirine.
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Rilpivirine : de nouvelles données

La rilpivirine est un nouveau non nucléoside (développé par Janssen) qui a été approuvé pour être commercialisé aux Etats-Unis en mai dernier. C’est un concurrent direct de Sustiva : chez les personnes n’ayant jamais pris de traitement, la rilpivirine est "non inférieure" à Sustiva (efavirenz) à 48 semaines, mais présente moins d’effets indésirables. Les données à 96 semaines (22 mois) présentées à Rome confirment que la rilpivirine provoque moins de vertiges, de rash (éruptions sur la peau), de cauchemars, et moins de troubles des graisses dans le sang que l’efavirenz. En Europe, le dossier d’autorisation de mise sur le marché (AMM) est en cours d’examen. La décision est attendue avant la fin de l’année.
Cohen C et al., IAS 2011, TULBPE032.

Elvitégravir : il fait aussi bien qu’Isentress
Le 23 mars dernier, Gilead annonçait les bons résultats de son anti-intégrase en développement, l’elvitégravir, en comparaison à Isentress (raltégravir), la seule anti-intégrase homologuée à ce jour. Jean-Michel Molina, de l’hôpital Saint Louis à Paris, était chargé de présenter les résultats détaillés. L’essai clinique de phase III (numéro 183-0145) était mené sur 702 personnes : la moitié avaient moins de 200 CD4/mm3, un quart plus de 100 000 copies de virus/ml, les deux tiers un virus résistant à au moins deux classes d’antirétroviraux. Les médecins ont construit des associations efficaces comprenant toujours une antiprotéase boostée et un 3e ARV. Verdict ? A 48 semaines, l’elvitégravir est aussi efficace que le raltégravir (59% des personnes sous elvitégravir avaient une charge virale indétectable, contre 58% sous raltégravir), et les effets indésirables similaires dans les deux groupes. Le suivi se poursuit jusqu’à 96 semaines (22 mois). A noter que l’elvitégravir s’utilise boosté par le cobicistat (qui agit comme le Norvir pour potentialiser les antiprotéases), dans un comprimé unique qu’on prend une fois par jour. Un avantage par rapport à Isentress, qui s’utilise en deux prises. Gilead a dans ses tuyaux une nouvelle trithérapie en un comprimé par jour, le Quad, qui associe quatre molécules, comme son nom le suggère : l’elvitégravir, le cobicistat, l’emtricitabine et le ténofovir. Elle est actuellement évaluée en phase III.
Molina JM et al., IAS 2011, WELBB05.

Dolutégravir : les bons résultats de la phase IIB
Cette anti-intégrase de nouvelle génération développée par le laboratoire Viiv Healthcare, est aussi connue sous son ancien code GSK-572. Les résultats présentés par Jan van Lunzen de l’Université d’Hambourg-Eppendorf suggèrent qu’utilisé en une prise par jour, le dolutégravir est puissant et bien toléré. 3 dosages de dolutégravir (10mg, 25mg or 50 mg) ont été comparées à Sustiva dans l’étude SPRING-1 de phase IIB chez 205 personnes n’ayant jamais pris de traitement antirétroviral. Le dolutégravir semble réduire la charge virale plus vite que l’efavirenz (à 16 semaines, plus de 90% des personnes sous dolutégravir avaient une charge virale indétectable, contre 58% pour l’efavirenz). Les choses se rééquilibrent à la 24è semaine, et à 48 semaines, le taux de personnes dont la charge virale est indétectable est de 88 à 91% (selon la dose) pour le dolutégravir et 82% pour l’efavirenz (pas significatif sur le plan statistique). Le dolutégravir n’a produit aucun symptôme psychiatrique et aucun rash cutané, deux effets indésirables courants avec l’efavirenz. Au final, la dose de 50 mg de dolutégravir a été choisie. Des essais de phase III (phase précédant une éventuelle commercialisation et mise à disposition) ont débuté en février dernier pour évaluer un comprimé "tout en un", le 572-Trii, associant le dolutégravir et Kivexa (lamivudine et abacavir), qui appartiennent aussi à Viiv Heathcare. Selon des données présentées à la CROI en février dernier, le dolutégravir semble rester efficace en cas de mutations de résistance à deux autres anti-intégrases, Isentress et elvitégravir, mais doit alors être utilisé en deux prises par jour.
Van Lunzen J et al., IAS 2011, TUAB0102.

Lersivirine : une petite nouvelle
C’est une petite nouvelle (numéro UK¬453,061), un non nucléoside (comme Sustiva, Viramune ou Intelence) développé par ViiV Heathcare pour concurrencer l’efavirenz. Elle a été testée chez les personnes n’ayant jamais pris de traitement, par Pietro Vernazza (Hôpital de Saint-Gall, Suisse) et Anton Pozniak (Hôpital de Chelsea et Westminster, Londres). Cette étude de phase IIB (étude A5271015) comparait deux doses de lersivirine (500 mg ou 750 mg) à l’efavirenz, chez 195 personnes et en association au Truvada. Résultat ? A 48 semaines, 79% des participants prenant la lersivirine avaient une charge virale indétectable, contre 89% avec efavirenz (pas différent sur le plan statistique). La lersivrine semble moins performante que l’efavirenz quand la charge virale était haute (38 ou 50% de personnes avec CV indétectable, contre 78% sous efavirenz) mais seulement en Afrique du Sud, ce que Pozniak explique par une possible moindre observance aux traitements. Dans l’essai, la lersivirine était globalement mieux tolérée, avec moins d’effets neuropsychiques, mais plus de nausées (modérées). La lersivirine ne perturbe apparemment pas les graisses dans le sang. La dose retenue est de 750 mg. Ces bons résultats devront être confirmés par des études de phase III déjà prévues.

Nouvelles stratégies
Deux exemples d’associations non conventionnelles ont été présentées, des bithérapies avec antiprotéase boostée. D’une part, l’association entre l’anti-CCR5 maraviroc (Celsentri) et le Reyataz/Norvir ; de l’autre l’association entre l’anti-intégrase Isentress et Prezista/Norvir. Dans les deux cas, l’objectif est d’éviter les toxicités à long-terme des nucléosides (qui sont la base de toute trithérapie actuelle), notamment sur les graisses et sur le rein.
L’étude RADAR comparait Isentress + Prezista/Norvir à Truvada + Prezista/Norvir chez 80 personnes. Après 24 semaines de traitement, la nouvelle combinaison fait aussi bien en terme de charge virale indétectable (86% vs 87%). Mais à ce stade, aucune différence n’a été mesurée sur les graisses et les fonctions rénales. Selon les chercheurs, cette combinaison pourrait devenir une alternative chez les personnes n’ayant jamais pris de traitement. Mais l’échantillon est trop petit pour conclure : l’étude ANRS 143 / NEAT 001, en cours, devant inclure 800 personnes, apportera plus d’éléments.
Coté maraviroc (Celsentri) et Reyataz, si l’efficacité est globalement bonne (80% de charge virale indétectable avec Celsentri, 89% avec Truvada), un petit nombre de personnes sous maraviroc ont connu des faibles rebonds de leur charge virale (moins de 200 copies/ml) entre les semaines 24 et 48. Le maraviroc était évalué en une prise par jour. A suivre…
Bedimo R et al., IAS 2011, MOPE214. Mills A et al. IAS 2011, TUAB0103, 2011.

Celsentri (maraviroc) et fibrose

Une nouvelle pleine de promesse pour les personnes co-infectées par le VIH et le virus de l’hépatite C (soit un tiers des personnes vivant avec le VIH). Selon une petite étude, l’anti-VIH maraviroc pourrait avoir un impact positif sur la fibrose, chez les personnes ne prenant pas de traitement contre le VHC. La fibrose est provoquée par le VHC, qui induit une destruction des cellules du foie qui à son tour provoque des cicatrices sur des parties de foie, désormais non fonctionnelles à ces endroits (appelées fibrose). Au fil des ans, la fibrose se développe et au bout d’un certain temps, le foie ne peut plus assurer ses fonctions. L’effet du maraviroc serait lié à son mode d’action (dirigé contre un composant de nos cellules, le co-récepteur CCR5), qui diminuerait l'hyperactivation du système immunitaire. Cette étude portait sur 59 personnes co-infectées majoritairement par les génotypes 1 et 4 du VHC, les plus difficiles à traiter. Chez certaines, le maraviroc était ajouté au traitement contre le VIH. Après 24 semaines, la fibrose, mesurée par Fibroscan, semblait avoir baissé chez certaines des personnes prenant le maraviroc. Au début de l’essai, 35% étaient en stade 1 de fibrose (le moins grave), à la fin, 44% étaient au stade 1 de fibrose. Le faible nombre de personnes de l’essai appelle de nouvelles études avant que ces résultats ne soient confirmés.
Nasta P et al., IAS 2011, WEAB0105.

Traiter dans les six mois après l’infection ?  A voir…
Déconvenue pour l’étude SPARTAC, menée sur 371 personnes et présentée par Sarah Fildler, de l’Imperial Collège à Londres. SPARTAC évaluait le bénéfice d’un traitement commencé dans les six mois suivant l’infection, puis arrêté. Cela pouvait-il retarder la mise sous traitement ultérieure ? Rappelons que les recommandations des experts français (Rapport Yeni) avaient déjà abandonné cette possibilité depuis des années. Soit on commence tôt et on continue, soit on attend, mais le traitement "d’attaque" arrêté ensuite n’avait pas montré son intérêt. Ici, ce traitement précoce (en grande majorité, Combivir + Kaletra) durait soit 12, soit 48 semaines, avant d’être interrompu. Quatre ans et demi de suivi plus tard, les personnes ayant pris le traitement pendant 48 semaines avait besoin d’un traitement (ce qu’on établissait en fonction du nombre de CD4) en moyenne 65 semaines après ceux qui n’avaient pas commencé dans les six mois. Soit un bénéfice de seulement quatre mois de traitement ! Il n’y avait pas de bénéfice avec un traitement de 12 semaines. Selon d’autres analyses, faites a posteriori (ce qui diminue leur valeur scientifique), le bénéfice serait plus marqué pour les personnes ayant commencé moins de 3 mois après l’infection : le niveau de virus dans les réservoirs des personnes ayant commencé le traitement tôt était plus bas que celui des autres. Nul doute que ces résultats seront examinés en détail par les chercheurs d’essais de traitement précoce en cours, tel l’essai ANRS OPTIPRIM, qui évalue le bénéfice d’un traitement commencé 8 semaines après l’infection.
Fidler S et al., IAS 2011, WELBX06.