Trans : le Sénat durcit les conditions de changement d'état civil

Publié par jfl-seronet le 03.10.2016
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Politiquetrans

Le Sénat a durci mardi 27 septembre les conditions de changement d'état civil pour les personnes trans par rapport à la version adoptée en juillet dernier à l'Assemblée nationale, à l'occasion de l'examen en nouvelle lecture du projet de loi Justice du 21e siècle. Le texte doit repartir pour une ultime lecture devant les députés qui auront le dernier mot. Ces derniers devraient rétablir leur version.

Le texte de l'Assemblée facilite le changement d'état civil pour les personnes trans. Il stipule que toute personne majeure ou mineure émancipée "qui démontre par une réunion suffisante de faits que la mention relative à son sexe à l'état civil ne correspond pas à celui dans lequel elle se présente et dans lequel elle est connue peut en obtenir la modification" devant un tribunal de grande instance. "Le fait de ne pas avoir subi des traitements médicaux, une opération chirurgicale ou une stérilisation ne peut motiver le refus de faire droit à la demande", précise l’article. La commission des lois du Sénat a souhaité "une procédure mieux encadrée", a souligné le rapporteur Yves Détraigne (UDI-UC), indique l’AFP. Faisant valoir que "le changement d'état civil comporte de multiples implications pour le droit des personnes" et "doit être entouré de garanties suffisantes", il a proposé que le juge se prononce "en fonction de critères objectifs, y compris de nature médicale, sans exiger une intervention chirurgicale irréversible, et pas uniquement au vu de la volonté exprimée par la personne".

Alors que les mineurs émancipés en sont exclus, la réalité du changement de genre doit être "médicalement constatée" pour que l'état civil puisse être modifié, selon le texte réécrit après son passage devant la commission des lois du Sénat. C’est un très net retour en arrière. Le nouveau texte constitue un "recul très inquiétant sur un sujet qui touche au respect des droits fondamentaux des personnes", a regretté Amnesty international dans un communiqué. "Imposer un critère médical est contraire au respect de la vie privée des personnes et porte atteinte à leur intégrité physique", a observé Julie Heslouin, chargée de plaidoyer Discriminations à Amnesty International. "La version du projet de loi de modernisation de la justice du 21e siècle adoptée en seconde lecture par l’Assemblée nationale le 12 juillet dernier, autorise le changement d’état civil sur la base de témoignages. Une avancée attendue depuis très longtemps par les personnes intéressées jusqu’ici soumises à des critères médicaux pouvant aller jusqu’à une stérilisation irréversible selon le bon vouloir des tribunaux", rappelle Amnesty dans un communiqué (25 septembre). "La commission des lois du Sénat a décidé de réintroduire le critère médical en exigeant que "la réalité de la situation" soit "constatée médicalement". Autrement dit, le demandeur doit apporter la preuve qu’il "ne  possède plus tous les caractères  de  son  sexe  d'origine". Pour Amnesty International France, c’est un recul très inquiétant sur un sujet qui touche au respect des droits fondamentaux des personnes", explique l’organisation non gouvernementale. "Etre une femme se résume-t-il à l’apparence physique ? Non. Selon moi, c’est avant tout notre rôle social qui nous donne la reconnaissance d’autrui", a, pour sa part, indiqué Emilie Dumont, femme trans qui a témoigné pour à Amnesty International. "Je suis la seule à savoir qui je suis vraiment et quelle est mon identité de genre". "On était révolté, mais on s'y attendait. Le rapporteur (Yves Détraigne, UDI) comme le président de la commission des lois (Philippe Bas, lR), sont inscrits comme des soutiens de la Manif pour tous", observe Sun Hee Yoon, présidente de l'Association commune trans et homos pour l'égalité (Acthé). "Il ne fallait pas s'attendre à un miracle", a-t-elle ajouté, interrogée par l'AFP.

De son côté, le Garde des Sceaux, Jean-Jacques Urvoas a déposé un amendement aux dispositions proches de celles de l'Assemblée. Il l’a présenté comme le "fruit d'un équilibre entre les impératifs de sécurité juridique et la nécessité d'améliorer le vécu quotidien des personnes transsexuelles". Cet amendement comme plusieurs amendements similaires déposés par la gauche sénatoriale a été rejeté par la majorité de droite. "De toute façon, c'est l'Assemblée nationale qui aura le dernier mot", a commenté Catherine Michaud, la présidente de Gaylib, également secrétaire nationale de l'UDI pour les droits LGBT. En France, on estime à entre 10 000 et 15 000 le nombre de personnes ayant engagé ou achevé un parcours de transition sexuelle, indique l’AFP. Alors que leur droit à modifier la mention de leur sexe à l'état civil est garanti par la CEDH depuis près de 25 ans, rien n'est prévu dans la loi et la Cour de cassation a adopté une jurisprudence contraire aux recommandations du Défenseur des droits, de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme. Signalons que plusieurs pays dont l’Irlande, la Norvège, Malte, le Danemark ou l’Argentine ont supprimé l’obligation de produire des certificats médicaux pour obtenir la modification de son sexe à l’état civil au profit du principe de l’autodétermination des personnes. Le Conseil de l’Europe a récemment souligné, dans sa résolution n° 2048, la nécessité d’instaurer des "procédures rapides, transparentes et accessibles, fondées sur l’autodétermination".

Par ailleurs, lors des débats, le Sénat s’est prononcé contre un amendement socialiste tendant à rétablir le transfert de l'enregistrement des pactes civils de solidarité aux officiers de l'état civil, et non plus devant le greffe du tribunal d'instance.