Travail du sexe : le gouvernement finance l’abolitionnisme sur le budget femmes et jeunes

Publié par jfl-seronet le 14.11.2015
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Le Strass (Syndicat du travail sexuel) dénonce dans un communiqué du 26 octobre le tour de passe budgétaire auquel se livre le gouvernement. Ce dernier a décidé de financer une partie du "fonds" de "prévention et lutte contre la prostitution et la traite des êtres humains" en prenant sur les budgets prévus pour la santé des femmes, des jeunes enfants et des jeunes. Bref, un tour de passe-passe que le Strass explique et critique.

Le Sénat a récemment rejeté en deuxième lecture la pénalisation des clients, tout en conservant l’abrogation du délit de racolage, deux dispositions prévues dans le proposition de loi de lutte contre le système prostitutionnel. Le Strass qui suit le dossier de très près est allé voir si les annonces financières faites concernant les dispositifs créés par cette future loi (dont un fonds de soutien) étaient tenues dans le projet de loi de finances 2016. Eh bien pas vraiment puisque le Strass dénonce le choix du gouvernement qui se résume à : "Moins d’argent pour la santé des femmes, plus pour la propagande abolitionniste !"

"Comme nous le redoutions, les modalités de financement de ce fonds, loin de répondre aux besoins des travailleuses et travailleurs du sexe, ne proposent que de toujours plus financer les quelques associations qui se font un business de notre absence de droits, et leur propagande, au détriment du financement d’actions de santé globale pour les femmes et les populations en difficulté, ainsi que de la lutte contre le VIH et les IST", critique d’abord le Strass avant d’expliquer le tour de passe-passe budgétaire.

Le projet de loi de finance 2016 comporte un programme, le 137, qui est "dédié à l’égalité entre les femmes et les hommes", une des actions de ce programme 137, l’action 15, porte sur la "prévention et lutte contre la prostitution et la traite des êtres humains". "Le budget de l’action, qui "vise à améliorer la lisibilité des actions menées sur ce champ, à mieux répondre aux besoins spécifiques de ce public, notamment en matière d’accompagnement social et sanitaire des personnes prostituées ainsi qu’à renforcer le pilotage des moyens dédiés à cet effet", est de 4,98 millions d’euros, ce qui constitue 18,5 % du programme, contre 2,39 millions d’euros (9,5 %) en 2015, soit une différence de 2,8 millions au bénéfice de l’année 2016", explique le communiqué du Strass. "Ces 2,8 millions cependant ne correspondent en aucun cas à un effort supplémentaire de la part du gouvernement, mais à une réaffectation de budgets auparavant dédiés à d’autres actions :
- 0,8 million sont ainsi réaffectés depuis le programme 176 (Intérieur : police nationale), sans plus de précision.
- 1 million depuis le programme 101 (Justice : accès au droit et à la justice), sans plus de précision non plus.
- 1 million depuis le programme 204 (Santé : prévention, sécurité sanitaire et offres de soins). Sur ce million, la moitié est prise sur l’action 12, qui "vise notamment à apporter au grand public et particulièrement aux plus fragiles l’information et l’éducation en santé dont ils ont besoin". Cette action se concentre notamment sur la santé des populations en difficulté, la santé des jeunes, la santé de la mère et de l’enfant (notamment à travers les objectifs suivants : l’accès de toutes les femmes à la contraception, l’accès des femmes à un droit effectif à l’IVG, améliorer la santé et la prise en charge des femmes enceintes et jeunes mères, améliorer la santé de la petite enfance), et les traumatismes et violences. L’autre moitié quant à elle est prise sur l’action 13 "prévention des risques infectieux et des risques liés aux soins". Voilà pour le transfert financier.

"C’est donc directement dans les fonds prévus pour la santé des femmes, des jeunes enfants et des jeunes, sur des dépenses aussi cruciales que l’IVG, la contraception, la petite enfance, les violences, et la lutte contre le VIH et les IST que sont pris les fonds qui serviront à lutter contre la prostitution, en finançant les actions abolitionnistes et leur propagande !", dénonce le syndicat. "En effet, d’après le descriptif de l’action, les crédits de l’action sont notamment à dépenser, au niveau local, en plus des actions de rencontre, d’accueil, et d’accompagnement des "personnes en situation ou en risque de prostitution", à des "actions de prévention auprès des jeunes afin de prévenir le risque prostitutionnel, tant en ce qui concerne l’entrée dans la pratique prostitutionnelle que le recours à la prostitution", à la sensibilisation des professionnels "aux enjeux du phénomène prostitutionnel et de la traite des êtres humains afin d’améliorer le repérage, l’identification et la prise en charge des victimes", et enfin, à l’organisation de "manifestations auprès du grand public (colloques, conférences, débats)". Qui va percevoir ces financements ?

"Au niveau national, les principales associations abolitionnistes qui recevront un budget, explicitement mentionnées en tant qu’"association têtes de réseau", sont donc le Mouvement du nid, l’Amicale du nid, ALC-Nice, et le Comité contre l’esclavage moderne", explique le Strass. Ainsi  alors "que les principales mesures à prendre pour lutter contre l’exploitation des travailleuses et travailleurs du sexe sont des mesures transversales telles que la régularisation des travailleuses étrangères, et une revalorisation conséquente des aides sociales et des salaires notamment en direction des femmes et des jeunes, les seules mesures financières de cette proposition ne consistent qu’à donner toujours plus d’argent aux associations abolitionnistes, au détriment de la promotion de la santé des femmes et des populations vulnérables", explique le Strass. Et le syndicat de conclure : "C’est pourquoi, malgré les avancées que constitue le vote du Sénat en seconde lecture, nous continuerons de nous opposer frontalement à cette proposition de loi dans son ensemble, et que nous continuerons à revendiquer la dépénalisation totale du travail sexuel, ainsi que de véritables mesures sociales en direction de celles qui en ont besoin, seules manières d’agir effectivement contre l’exploitation des travailleuses et travailleurs du sexe".