Truvada : les génériques disponibles malgré Gilead

Publié par Mathieu Brancourt le 18.10.2017
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Thérapeutiquegénérique Truvada

Le Truvada, médicament anti-VIH du laboratoire Gilead, parmi les plus prescrits en Europe, est désormais disponible en France dans une version générique, moins chère. Le brevet de l’un de ses composants, ayant expiré fin juillet, ceratins laboratoires ont plongé dans la brèche et ont commercialisé leur version générique dès la fin juillet. Gilead a utilisé toutes les ficelles juridiques pour tenter de faire barrage à l’arrivée de ses concurrents. Récit.

C’est au détour de la conférence mondiale sur le sida de Paris (IAS) que l’annonce a été faite : Mylan, fabricant de médicaments génériques, a annoncé le 27 juillet qu’il allait commercialiser sa propre version du Truvada (combinaison d’emtricitabine et de ténofovir TDF), médicament extrêmement prescrit pour traiter les personnes vivant avec le VIH, en France. Dans un communiqué, Mylan rappelle que le Truvada est le traitement antirétroviral le plus utilisé en Europe aujourd'hui, puisque "plus d'un quart des patients" en bénéficient en Allemagne, au Royaume-Uni, en France, en Italie et en Espagne. C’est dire si la baisse conséquente du prix de cet antirétroviral est une bonne nouvelle, dans un contexte d’inflation galopante des prix des médicaments. Le traitement tombe ainsi de 406 euros pour un mois dans sa version princeps (version originale) à 179 euros (1), dans sa version générique. Une baisse non négligeable concernant le seul médicament autorisé pour la PrEP, la prise en prévention d’antirétroviraux pour éviter l’infection au VIH, autorisée depuis janvier 2016 en France. Ce médicament est pris en charge à 100 % par la Sécurité sociale dans les deux indications préventive et curative. Depuis cet été, trois autres laboratoires ont également annoncé mettre sur leur marché leur générique du Truvada. Biogaran l’a fait, Teva et Eurogenetics Pharma sont sur les rangs.

En juillet 2017, aucune réaction officielle de Gilead, qui voyait poindre une forte concurrence sur l’un de ses médicaments les plus rentables [Dont il tente, par ailleurs de lancer une nouvelle version avec une formulation différente du ténofovir/TAF , ndlr]. Mais le laboratoire américain avait obtenu en 2006 un certificat complémentaire de protection (CCP), pour tenter d’allonger — encore — la durée de son monopole sur Truvada, première génération. Ce certificat aurait pu permettre de bloquer de fait la fabrication de versions génériques de ce médicament jusqu’en février 2020. La question était alors de savoir si Gilead ferait valoir cette prolongation de monopole en attaquant le génériqueur, ou si, face à la pression sociale, pour améliorer son image ou pour toute autre considération, le laboratoire y renoncerait. La réponse vient plus d’un mois plus tard lorsque les associations apprennent que Gilead a, dans la plus grande discrétion, attaqué Mylan pour contrefaçon. Le 5 septembre dernier, le Tribunal de grande instance de Paris estime, à la suite d’une procédure en référé [c'est-à-dire une procédure en urgence qui répond au plus pressé pour faire cesser une situation potentiellement préjudiciable, mais qui est complétée d’une procédure "au fond" qui investigue plus posément et tranche sur la validité juridique du CCP], que le laboratoire Gilead ne peut demander un allongement de la période de monopole et que son CCP est "vraisemblablement nul". En effet, un CCP peut être demandé quand le délai entre la demande de brevet et la mise sur le marché (AMM) est de plus de cinq années entre les deux. Mais concernant le Truvada, le premier brevet de 1997 [tombé en juillet 2017] sur le ténofovir seul, comme celui de la combinaison qui fait le Truvada, ont respecté ce délai. Gilead a tenté de mettre bout à bout les deux délais — qui, là, dépassaient les cinq ans réglementaires permettant de demander un CCP. Mais la manœuvre a été considérée comme abusive par le tribunal en référé qui a d’ailleurs condamné Gilead à verser 100 000 euros à Mylan pour frais de justice. Contacté par Remaides, le laboratoire Mylan n’a pas souhiaté commenter cette affaire, ni indiquer s’il compte réagir à cette attaque.  Dans le schéma, ci-dessous, on voit que Gilead a fait valoir un CCP qui ne coïncide pas avec le médicament princeps : le ténofovir, TDF.

"Lors de l’IAS à Paris, ITPC [International Treatment Preparedness Coalition, ndlr], Coalition PLUS (2) et AIDES demandaient à Gilead de renoncer à toute action faisant barrage à l’accès aux génériques. AIDES se félicite de cette décision de justice qui révèle encore un peu plus la voracité sans limite d’un laboratoire pharmaceutique prêt à dévoyer le droit des brevets", explique l’association à la suite du jugement. D’autant que le même CCP a été déposé dans de nombreux pays d’Europe.

Dès lors, la voie semble libre pour les autres génériqueurs et l’arrivée massive des génériques du Truvada sur le marché français. Dans un contentieux comparable opposant Gilead à des génériqueurs quant à la validité du CCP accordé en Grande-Bretagne, un juge britannique n’a pas su trancher et a demandé à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) de l’éclairer sur l’articulation entre le brevet européen et le CCP accordé nationalement. Les associations attendent encore la position de la Cour de justice de l’Union Européenne (CJUE) : elle est susceptible d’influencer la reconnaissance de la validité des CCP accordés dans de nombreux pays européens.

(1) : prix en ville. Il est plus bas pour les hôpitaux, compte tenu du volume des achats.
(2) : Coalition PLUS est une union d’associations qui intervient dans 35 pays auprès de plus de 60 associations de lutte contre le sida et les hépatites. Elle a une gouvernance internationale qui réunit quinze organisations non gouvernementales — dont AIDES en France, le Groupe sida Genève en Suisse, la Cocq-sida au Québec — dans quinze pays, et de plateformes sous-régionales d'interventions, basées chez les membres.