TTF européenne : l’Europe rate le coche

Publié par jfl-seronet le 13.05.2014
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Monde

La taxe sur les transactions financières (TTF) devait connaître le 5 mai une "première étape". C’est ce qu’annonçait Michel Sapin, ministre de l’Economie et des Finances, avant la tenue (5 mai) d’une réunion des ministres des Finances de l’Union Européenne. Explications… et résultat : décevant !

Quelle décision était attendue ?

Michel Sapin parlait d’une "première étape" sur laquelle s’engageraient onze pays concernés par cette taxe sur les transactions financières. Le ministre français espérait que les pays prennent, a minima, une "décision de principe". "Dans onze pays européens, il y aura la mise en œuvre d’une taxe sur les transactions financières, en particulier une taxe sur les transactions actions", expliquait-il lors de l’émission "Questions d’info" LCP/Le Monde/France Info/AFP. Le 5 mai, "je proposerai avec d’autres grands pays européens, je veux parler de l’Espagne, de l’Italie, de l’Allemagne, que nous franchissions une étape décisive dans la mise en œuvre de cette taxe. Il faut la décision de principe et ensuite on demande aux techniciens de la mettre en place", ajoutait alors Michel Sapin. Le rôle des techniciens est de définir le périmètre de cette taxe (ce qui est concerné), l’assiette (le pourcentage prélevé) et de proposer des idées sur ce que le produit de cette taxe devrait financer.

De fortes ambitions déjà revues à la baisse…

Ces derniers mois, le lobbying de l’industrie financière a joué à plein. Il a notamment été avancé que la TTF instaurée en Europe provoquerait des délocalisations massives d’activités vers d’autres places financières. Elle n’a pas ménagé ses efforts contre le projet. En février 2013, la Commission Européenne avait présenté un projet initial correct qui s’est peu à peu dégonflé. Comme le rappelle le quotidien économique "Les Echos", Bruxelles proposait, initialement, de taxer les actions et les obligations à 0,1 % et les produits dérivés à 0,01 %. On est désormais loin de cela puisqu’il est maintenant question de débuter par une taxe sur les actions, avant de l’élargir, un jour peut-être, à d’autres produits financiers. Soit un manque à gagner de plusieurs milliards d’euros. Mais Michel Sapin a une idée toute simple, il faut "travailler d’ici la fin de l’année à une deuxième étape". Celle-ci pourrait alors prendre en compte les produits dérivés. Mais on voit mal comment ce qui n’a pas été possible dans les premières négociations soit possible dans de nouvelles discussions la même année. D’une part parce que la TTF n’aura pas encore montré ses effets sur les marchés financiers et d’autre part parce que c’est sur le terrain des produits dérivés que s’exercent les plus fortes pressions des milieux bancaires et financiers. Tout le monde y est allé de son couplet : les banques, Paris Europlace (la place boursière parisienne) et le MEDEF. Ils avancent deux arguments : les produits dérivés "sont largement utilisés par les entreprises non financières pour couvrir leurs risques. Accroître leur coût porterait un préjudice grave à la compétitivité de ces entreprise" ; "Taxer les contrats de dérivés provoquerait également une relocalisation massive de ces activités dans des entités financières situées en dehors des Etats participant à la coopération renforcée".

Londres fait son blocus

La situation est déjà compliquée, et cela ne s’améliore pas avec la position britannique. Pour faire court : Londres est déterminée à bloquer la TTF européenne… alors même que la Grande-Bretagne n’est pas concernée par cette taxe puisqu’elle refuse de la mettre en place chez elle. Le problème, c’est qu’elle n’en veut pas non plus chez les autres. Londres estime que si elle était appliquée (quel que soit son format), elle porterait préjudice à la City, la place financière britannique. Et cela, en affectant ses activités dans d’autres pays de l’Union Européenne. D’ailleurs pour preuve de l’hostilité anglaise, le gouvernement britannique avait déposé un recours contre la décision du Conseil Européen de permettre la TTF. Le gouvernement a déjà subi un revers puisque la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a rejeté son recours au motif que les Etats n’ont pas encore arrêté les contours exacts de cette taxe. Si le projet de TTF européenne n’est pas finalisé, Londres entend bien empêcher son exécution. Un porte-parole du Trésor britannique a ainsi souligné "la détermination" du gouvernement britannique à "défendre les intérêts des pays ne faisant pas partie de la zone euro".

Canfin fait la leçon

Hors du gouvernement, l’ancien ministre délégué au Développement, Pascal Canfin, fait la leçon. Dans une interview au "Journal du Dimanche" (4 mai), il dit craindre que "l'accord [entre les onze Etats, ndlr] porte uniquement sur une taxation des transactions concernant les actions. C'est déjà ce que pratique la France depuis 2012 et qui lui rapporte 600 millions d'euros par an. Mais c'est une assiette très étroite, une mini-taxe qui ne correspond pas à la philosophie initiale du projet. Elle exclut notamment toutes les transactions sur les marchés dérivés, ceux des devises, des matières premières, qui représentent des volumes très supérieurs aux actions. Pour l'Europe, cela reviendrait à ne collecter qu'environ 3 milliards d'euros, sur un potentiel qui a été estimé à 30 milliards au moins". Pour Pascal Canfin, les conséquences d’un accord minimal sont claires : "Si on ouvre la porte à un accord minimal sur les actions, je ne crois pas que l'on passera un jour à la taxation des produits dérivés. Ça sera un enterrement de première classe. L'Europe se privera de 90 % de la taxe à laquelle elle pouvait prétendre. Et ce sera une extraordinaire occasion manquée".

A quoi servirait la TTF ?

Le ministre français des Finances, Michel Sapin, a précisé que le produit de la TTF européenne pourrait "servir au financement d’un certain nombre de grands travaux européens (ou) servir au financement et à l’appui du développement d’un certain nombre de pays". Or financer l’un ou l’autre, ce n’est pas du tout la même chose. Et surtout, financer des grands travaux ou combler les déficits publics, ce serait dévoyé l’objet initial de la taxe qui a, suivant les souhaits des organisations non gouvernementales et des premiers engagements politiques, toujours été pensée comme un outil au développement, à la lutte contre le réchauffement climatique et contre les grandes épidémies dont celle de VIH/sida.

Et alors… quel résultat ?

Michel Sapin et dix autres ministres des Finances de l’Union européenne annoncent qu’au plus tard en 2016, la taxe européenne sur les transactions financières (TTF) s’appliquera dans un premier temps au marché des actions et à "certains" produits dérivés. "Non seulement les onze ont repoussé d’une année la mise en œuvre de la TTF européenne et n’ont pas réussi à se mettre d’accord sur l’intégration des dérivés, mais surtout, l’utilisation de cette taxe est la grande absente de cette déclaration politique : une taxe pour qui ? Une taxe pour quoi ?", dénoncent AIDES et Coalition PLUS dans un communiqué (6 mai). Lers experts le disent : une TTF européenne pourrait récolter plus de 10 milliards d’euros en s’appliquant au marché des actions, et 3 fois plus si elle s’applique également à tous les dérivés et aux obligations, comme proposé par la Commission européenne. Ce ne sera pas le cas. "Est-ce que les pays de la TTF européenne vont céder aux pressions du secteur financier et saboter la TTF européenne (comme sa version française fut sabotée), ou bien s’engagent-ils à faire une taxe qui soit réellement significative par rapport aux profits de la spéculation financière ?", demandent les deux organisations non gouvernementales.

Hollande : Une promesse de plus non tenue

Dans leur communiqué, AIDES et Coalition PLUS rappellent que"François Hollande s’était engagé lors du Sommet du Développement Durable en juin 2012 au Brésil : "Je prends l'engagement que si cette taxe est créée, une partie de ces revenus sera affectée au développement". Il avait même précisé, lors de la conférence internationale sur le sida en juillet 2012, vouloir "élargir cette taxe à l'échelle de l'Europe et du monde, de façon à ce que nous puissions verser des sommes nouvelles à la lutte contre le sida" afin de "traiter non seulement 7 millions de personnes, mais 15 millions de malades du sida". Eh bien, ce ne sera pas le cas. Dans le communiqué des deux ONG, Bruno Spire, président de AIDES et administrateur de Coalition PLUS, explique : "Le Conseil du 6 mai était une occasion unique de concrétiser les promesses formulées tant de fois par le gouvernement français : frapper la finance en taxant les produits les plus spéculatifs, et attribuer une partie des recettes de la TTF européenne à la solidarité internationale, à la lutte contre le changement climatique et contre le sida". Les onze Etats n’ont pas saisi cette occasion. Reste une date de rattrapage : le 9 mai avec la tenue du sommet franco-allemand avec le président français et la chancelière allemande… mais qui peut y croire ?