VIH : MSF dénonce les brevets… contre les malades

Publié par jfl-seronet le 04.08.2013
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ConférencesbrevetIAS 2013médecins sans frontières

Le prix des traitements antirétroviraux (ARV) de base ont nettement baissé, mais les traitements réservés aux personnes vivant avec le VIH à un stade avancé de la maladie, dès lors qu'ils sont brevetés, sont "inaccessibles" dans les pays les plus pauvres où le VIH fait des ravages, a dénoncé (le 2 juillet) Médecins sans frontières (MSF) depuis la conférence IAS de Kuala Lumpur (Malaisie).

Le prix des antirétroviraux de première et deuxième ligne a chuté de 29 et 28 % depuis 2012, mais les traitements de troisième ligne — destinés aux personnes pour lesquelles les deux premières classes de médicaments se révèlent inefficaces - sont 15 fois plus chers. Ce constat, l’ONG le dresse dans son rapport annuel "Untangling the Web- Guide des prix des ARV", présenté à la Conférence de l’International AIDS Society (IAS) en cours à Kuala Lumpur. "Cette baisse des prix, attribuable au plus grand nombre de producteurs en concurrence sur le marché, est évidemment une bonne nouvelle. Mais les médicaments les plus récents demeurent hors de prix", explique le Docteur Jennifer Cohn, directeur médical de la Campagne d’Accès aux Médicaments Essentiels de MSF.

Un besoin urgent

"MSF, comme les autres acteurs de soins, a besoin de ces nouveaux traitements pour les patients qui n’ont plus d’autres options thérapeutiques. Mais les brevets continuent de les rendre inaccessibles. Nous devons également surveiller de près l’arrivée de nouveaux médicaments de meilleure qualité sur le marché dans les années à venir, car ce sont ces médicaments que nous devrons mettre en place rapidement. Le problème des prix est tout sauf résolu", explique-t-elle. "Au cours des dernières années, de nouveaux producteurs de médicaments sont arrivés sur le marché. Le prix du traitement de première ligne recommandé par l’OMS, en un comprimé par jour (ténofovir/lamivudine/éfavirenz) a ainsi diminué de 19 % au cours de la dernière année, de 172 à 139 dollars par personne et par an. Certains pays ont même obtenu des prix encore plus bas grâce à des commandes conséquentes", détaille le communiqué de MSF. "De façon similaire, grâce à l’arrivée de nouveaux concurrents sur le marché, les prix de deux médicaments-clés utilisés dans le traitement de deuxième ligne (atazanavir/ritonavir et lopinavir/ritonavir) ont diminué de 28 % au cours de la dernière année. La moins chère des combinaisons de deuxième ligne (zidovudine/lamivudine + atazanavir/ritonavir) coûte ainsi 303 dollars par an.  Depuis 2006, le prix du traitement de deuxième ligne a baissé de 75 %. Toutefois, le moins cher des traitements de deuxième ligne continue de coûter plus du double du traitement de première ligne", indique l’ONG.

Du bon effet de la concurrence

"C’est grâce à l’"opposition aux brevets" en Inde, pays qui produit de nombreux médicaments génériques, que les prix des combinaisons de première et deuxième ligne ont diminué, grâce à l’entrée sur le marché de nouveaux producteurs de génériques. Alors que les nouveaux médicaments VIH sont de plus en plus souvent protégés par des brevets dans les pays producteurs de génériques, il est nécessaire de trouver des solutions qui permettent de faire diminuer les prix. Les demandes de brevets qui ne respectent pas les conditions de brevetabilité du pays devraient être rejetées. Ce principe a été réaffirmé par la Cour Suprême indienne lors de son jugement en défaveur de Novartis en avril 2013 (voir article sur Seronet). Lorsque les brevets empêchent l’accès aux médicaments, des licences obligatoires devraient être délivrées, dans une optique de santé publique. L’Inde a promulgué la première licence obligatoire en 2012 pour un médicament anti-cancer qui a été jugé trop cher, et de décisions similaires devraient être prises pour contourner les prix inaccessibles des médicaments contre le VIH", explique MSF.

Des baisses indispensables

Ces baisses ne concernent pas les médicaments les plus récents, médicaments qui s’avèrent indispensables pour les personnes pour lesquelles les première et deuxième classes d’ARV ne fonctionnent pas ou plus. "Pour les traitements les plus récents contre le VIH, y compris des classes de médicaments comme les inhibiteurs de l’intégrase, la concurrence des médicaments génériques demeure en revanche très limitée à cause des brevets existants. Ces médicaments demeurent ainsi bien plus chers. Le prix le plus bas pour un traitement de rattrapage (raltégravir + étravirine + darunavir + ritonavir) pour les patients qui ne répondent pas à la deuxième ligne est de 2 006 dollars par an dans les pays les plus pauvres. Cela représente presque 15 fois le prix de la première ligne de traitement. De plus, les pays qui n’ont pas accès à ces prix préférentiels doivent les acheter à un prix bien supérieur. C’est le cas de la Thaïlande et de la Jamaïque, qui paient respectivement 4 760 et 6 570 dollars pour le seul darunavir. Le Paraguay achète l’étravirine à 7 782 dollars par patient et par an, tandis qu’en Arménie, le raltégravir coûte 13 213 dollars, alors qu’il est juste l’un des trois médicaments nécessaires dans la combinaison thérapeutique", indique MSF. Cela, c’est pour la situation actuelle, mais l’ONG anticipe. 

Quid des nouveaux traitements ?

"Une autre priorité doit être la garantie que les médicaments à venir vont avoir des prix accessibles. Les spécialistes du VIH s’accordent à dire que de nouveaux médicaments efficaces et peu toxiques, comme le dolutégravir, un inhibiteur de l’intégrase, pourraient être utilisés à l’avenir dans les premières ou deuxièmes lignes de traitement, ce qui rend l’accès à ces médicaments encore plus urgent", indique le communiqué de l’ONG. "L’augmentation du nombre de personnes sous traitement, et leur maintien sous traitement à vie, va dépendre de la diminution du prix des médicaments les plus récents", précise Arax Bozadjian, pharmacien VIH à la Campagne d’Accès MSF, cité dans le communiqué. "Pour l’instant, la majorité des médicaments VIH les plus récents n’a pas d’équivalent génériques de qualité certifiée. Les prix dans les pays à revenus moyens sont également un sujet d’inquiétude. Les conditions des accords de licence volontaire ne sont pas assez bonnes, car la plupart d’entre elles n’adopte pas un point de vue de santé publique et de nombreux pays à revenus moyens en sont exclus. Ceci limite l’accès de ces pays aux combinaisons thérapeutiques dont ils auraient extrêmement besoin".

Des vies, des enjeux

En 2012, 9,7 millions de personnes bénéficiaient d'un traitement antirétroviral dans les pays à revenu faible ou intermédiaire contre 300 000 en 2002, selon l'Organisation mondiale de la Santé (OMS). L'augmentation de l'accès aux traitements s'est poursuivie, avec à la fin de l'année 1,6 million de bénéficiaires de plus qu'en 2011, soit la plus forte hausse annuelle jamais enregistrée et celle-ci concerne principalement la région Afrique. Selon les estimations de l'OMS et de l'ONUSIDA, 34 millions de personnes vivaient avec le VIH fin 2011 dans le monde.