Beyrouth, Alep, Mossoul

Publié par cbcb le 29.07.2017
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Parfois, en écoutant un morceau, en regardant une vidéo, on a envie d'écrire :

Les chaussures abandonnées

Une paire de chaussures trainent là par terre. Mais que leur est-il arrivé ?
Elles ne se souviennent plus de rien.
Juste un grand bruit et un grand trou noir… Puis plus rien… puis des cris… un nuage de poussière épaisse a envahi la ville.

Que s’est-il passé ?  Mais que ce passe-t-il ?
Un enfant passe en courant. Il pleure, il crie, il appelle sa mère, il appelle Ibrahim, son frère peut-être.
Il passe à côté des chaussures. Il ne les voit même pas.
Les chaussures se regardent, interloquées.
Elles sont toutes sales, couvertes de poussière.
L’une d’elle semble blessée, elle a deux trous rouges au côté droit, mais elle ne dit rien, elle se tient bien droite, comme si elle avait encore quelque chose à prouver. L’autre est couchée et n’arrive pas à se relever. Mais que s’est-il passé ?

Pourtant, elles se souviennent hier encore.
Elles étaient aux pieds d’un homme. Cet homme qui s’appelait Shadi. Oui, elles se rappellent, elles l’accompagnaient partout où il allait. Elles en ont fait des pas, des milliers de pas. Soit pour courir pour rattraper le tramway, toujours bondé de monde. Soit pour marcher pour aller jusqu’à la mosquée, toujours bondée de monde. Ou pour piétiner les longues allées de souks, elles aussi toujours bondées de monde. Mais elles aimaient parcourir ces grandes allées qui sentaient bon les épices et l’encens.
Elles en ont parcouru des routes, des chemins, des terres, des reliefs de toutes sortes, des sols divers et variés, des pavés, du bitume, du goudron, de l’asphalte, des pierres qui les faisaient souffrir, mais il y avait aussi l’herbe, vous savez, l’herbe encore mouillée par la rosée du matin, cette rosée si fraîche, si agréable qui semblait vous laver, vous faire renaître et vous apportait la force nécessaire pour continuer d’avancer. Avancer, c’est important quand on est une paire de chaussures !
Mais il y avait aussi les sols plus doux qui leur donnaient envie de marcher. Ces sols si colorés, si agréables quand on arrive de l’extérieur, quand on rentre à la maison.
Et oui quand on rentre à la maison. Quand Shadi nous défait nos lacets, nous libère et nous laisse en compagnie d’autres paires de chaussures.
Elles aussi sont fatiguées, et elles aussi ont tellement de choses à raconter.
Et il y a aussi d’autres personnes, des hommes comme Shadi, des femmes qui s’activent et des enfants qui jouent.
Et toutes ces personnes qui parlent, qui rigolent, qui se regroupent autour d’une table pour boire un verre, qui s’amusent, qui dansent parfois, et qui se racontent des histoires, qui racontent leurs journées.
En fait ce sont les mêmes histoires que nous, nous les chaussures qui avons accompagné ces hommes et avons vécu ces mêmes journées.

Maintenant, elles sont là.
Heureusement elles sont deux et se sentent moins seules.
Tout autour d’elles, le nuage de poussière épaisse retombe doucement en noircissant le sol et laissant apparaître un nouveau paysage. Les murs des belles maisons si douces et si rassurantes sont tombés. Le tramway a quitté ses rails et foncé sur la mosquée.
Il ne reste plus que des ruines. Tous ces gens qui couraient, qui riaient hier sont là gisant par terre. Des cris, des pleurs jaillissent partout autour d’elles.
L’enfant repasse en courant devant elles. Il court avec un homme qui porte un autre enfant dans les bras.

Et maintenant, elles se souviennent.
Elles revoient ce qui s’est passé. C’est une bombe qui est tombée.
Et oui c’est la guerre. La guerre provoquée par ces hommes. Shadi est là, à côté, étendu parterre. Peut-être est-il mort !

Ce jour-là, elles étaient seules, seules à Beyrouth, c’était la guerre. Un jour comme tant d’autres à Beyrouth, à Alep, à Mossoul.
Et ce jour-là, elles furent abandonnées.


et c'est en écoutant  :    https://www.youtube.com/watch?v=wpg8jBFaj3c


Commentaires

Portrait de Rimbaud

Beirut, une ville que je connais bien... "elle a deux trous rouges au côté droit", mais c'est de moi ça ;)

Rimbaud

Portrait de Sealiah

Tout poëte peut être repris.Il n'y a pas d'offense.Rencontre.

Portrait de Rimbaud

Je parle d'intertextualité, pas de plagiat et encore moins d'offense.

Portrait de Sealiah

Intertextualité trés beau mot.

Portrait de cbcb

En fait, c'est    "il a deux trous rouges....." et il dort dans le soleil, la main sur la poitrine, .....

Et c'est bien de toi, Arthur. Je n'ai pas pu m'empêcher de la placer. Merci de l'avoir remarqué !!!

Portrait de concombremasqué

pour ce très beau texte.

Je me permet de le copier pour le coller ailleurs avec la musique. 

Portrait de cbcb

A Concombremasqué,

Après tout, ce que l'on écrit est fait pour être lu.

J'écris de temps à autre pour moi. Je pense qu'un jour mes enfants liront ce que j'écris aujourd'hui.

Et si cela vous a plu, tant mieux. Cela me donne une motivation pour continuer d'écrire.

Et merci aussi à Ibrahim Maalouf qui m'a donner l'inspiration pour cette histoire.

Portrait de cbcb

Mais la priorité de ce texte, ce n'est pas moi.

C'est ce qui se passe autour de nous. 

Tout ce qui nous entoure et ne tourne pas rond.

Portrait de concombremasqué

bien compris 

les événements sont terribles 

Portrait de Big Bad Badaboum

.. sur un sujet, hélas, bien triste, mais réel.

.. oui, continue à écrire, pour toi, et pour les autres aussi .

Merci.

Cyril

Portrait de cbcb

 plein air