Carte postale

Mon virus, mon putain de virus, je t’ai bien promené pendant dix jours. Tu as pu découvrir un extrait de tout ce dont tu es la négation : la berceuse du bateau, les vins blancs exquis et les repas aux saveurs toscanes, l’immense place inclinée de Sienne et ses ruelles malines, la médiocrité de certains saisonniers et le talent d’un cuisinier, un soleil de plomb qui a doré la peau, les villages nichés dans les montagnes corses et la voix du vieillard jamais contredite, « les feux, mais ce sont des criminels, qu’on supprime la prime à la vache et y en aura plus », les falaises de Bonifacio et les étoiles qui tombaient une à une le soir du 15, la main de l’amour toujours à mes côtés, et ce soir où j’ai failli pour la première fois vraiment oublié les cachets à prendre… ah, tu as cru m’avoir parce que j’ai fait de l’insouciance un mode de vie mais tu as perdu et tu perdras encore, petite pute de VIH. Je n’ai aucun respect pour toi, aucun et si tu es arrimé à mon corps, c’est pour que je puisse bien te montrer toutes les facettes de la vie, toi qui n’es que morbidité. A ton lent travail de propagation, j’ai opposé des marches le long des plages désertiques. A ton poids lourd et encombrant, des moments de flottaison. A ton intrusion dans mes pensées les plus intimes, une sauvagerie imaginative et vivifiante. Je t’ai couvert la face de cartes postales signées du port de Gênes, de la cathédrale de Pise, de l’intimité de Piombino, de la promenade de Bastia ou des rues escarpées de Porto-Vecchio. Tu vois, c’est la même vie que celle que je menais avant d’avoir fait ta rencontre. Exactement la même. Tu es cette petite présence encombrante que je sais déjà dompter sans te nier. Je ne t’exclus pas, je te promène le long des pays où chantent les énergies, où baisent les poètes car ce n’est pas sur leurs tombes que j’irai cracher, c’est sur la tienne.