Des désordres gastriques à la résistance poétique...

Publié par Rimbaud le 27.10.2017
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            Depuis trois jours, l’angoisse a la dentition d’un petit rat d’égout qui se cache la journée, qui garde le silence à l’heure du coucher puis qui sort de sa tanière, sûr de n’être dérangé par rien pendant l’accomplissement de son grignotage persévérant. Il ne donne jamais de coups secs. Il dose la morsure qui s’étend, des heures durant, et s’empare progressivement de chaque organe.

            C’est le rituel des congés. Sans travail, délivré du joug des obligations, l’esprit, ce nain grimé, se tient au pied d’un mur transparent qui a l’immensité du vide. Les heures ne sont plus dictées. La véritable résistance n’est pas alors celle du virus face aux molécules inefficaces. Elle dit son nom dans la recherche d’une volonté, quelle qu’elle soit. Elle est confrontation, affrontement qui toise le destin, qui brave la fatalité, qui inonde les éternels retours de l’inertie. C’est la lutte du mouvement et de l’immobilité. Elle est refus de la stérilisation précoce de l’inventivité, cette mère nourricière généreuse qui, fatiguée, menace de s’écrouler sur le carrelage froid d’une salle de bal désertée (celle de T. Beach). Le danger est réel, celui qui consiste à n’être plus qu’un spectateur des ombres agitées occupées à débattre, à aimer, à construire ou à tuer. L’écriture est un acte de résistance solitaire et définitif qui congédie la paresse et fait se lever le sens, les images, les êtres et les choses là où le petit rat n’en finit pas de grignoter la réalité. C’est le vecteur improbable qui resserre les nœuds, qui libère la musique, qui imprime une course, une marche, lente ou rapide, aux jambes ankylosées, à la paupière bleue et à mes doigts fins de jeune fille trop pâle. C’est la discordance intestinale qui se murmure par la syntaxe. Tout se passe dans le ventre. Tout est contenu dans le ventre. Le trou-ventre, le réservoir-ventre, le chaudron-ventre, la discordance-ventre, la prosopopée-ventre. Il n’est de mot plus laid que celui-là et je le célèbre. On n’écrit pas pour faire joli, pour enrober, pour masquer, pour dissimuler, pour enfouir, pour tromper, pour paraître, pour se rassurer. On écrit pour rendre à l’esprit qui est un paralytique irrésolu la faculté de se dresser. Lève-toi et marche, et chante, et souviens-toi, et déploie-toi ! L’enjeu est de taille car l’oubli partout rôde et menace d’un engloutissement monstrueux les destinations des trains, le jeu des comédiennes, les semences printanières, les stroboscopes hallucinés, le bruissement des feuillages, la maladresse bégayante, la louve titubante, les corps modelés, la droiture des  buildings, les fados et les hanches, l’alouette et nos rires de pédés. Le langage est la chair absente, le rempart duquel on déclenche les alarmes, la forteresse qui n’encercle plus, qui accueille et fait prospérer la volonté.

-          Il pleut : sors !

-          Qu’irais-je trouver au dehors qui soit à la hauteur de mes désirs ? Je suis en dehors retranché en moi-même. Le pharmacien s’enrichit sur le compte de la mort. Le boulanger ne pétrit plus assez. Les ouvriers ne s’épuisent plus, résignés qu’ils sont. Les lois ont la mollesse d’un idéaliste privé de conviction. Le renoncement est partout faute de perspectives, faute de croyances, faute d’espoirs, faute de joie, faute de pouvoir se vautrer dans la fange de nos délires pantagruéliques. Nous ne sommes plus les héritiers. Nous n’avons plus ni ascendance ni descendance. Privés des soubresauts de la pensée anarchique, le monde s’est laissé entrainer dans le fond, des pierres lourdes comme les rochers d’Armorique dans les poches. Les hommes ne sont que des passants errant dans une indifférence réciproque. L’écran cathodique est le tueur de feu de la modernité. Les chaînes ont lentement poussé, hors de la terre primitive pour encercler les enfants et percer les ballons aériens. Je résiste parmi les résistants et nous opposons à la faiblesse des vers catapultés par-dessus les maisons. Nous créons des déviations. Nous surgissons dans les quartiers interdits, écrasant nos fumées sur les joues des cyniques avant de tomber dans la nuit.

J’apprends aujourd’hui qu’au Moyen-Orient, les Nizarites, secte chiite ismaéliste, passaient des heures à fumer le haschich gracieusement offert par leur chef qui, perfidement, les envoyait ensuite tuer. Le terme assassinat est un dérivé du mot haschich : fumer tue. Cette découverte m’enchante. Le langage porte en lui tant d’histoires. Chaque connaissance est un pas de plus hors de l’univers anesthésiant du vide. Elle nous relie aux anciens. Elle donne au temps une profondeur et nous voilà devenus les personnages d’une légende dont nous sommes les créateurs. Je ne laisserai pas la petite pilule magique prendre possession de mes intestins, de mes boyaux ou de mes nuits. Je ne lui accorde que le privilège de me maintenir en vie. Pour le reste, je m’en occupe.