J,adore ...........

Publié par jl06 le 17.11.2017
849 lectures

Laurence est borderline et elle vous emmerde

Hystériques sous hypnose à la Salpétrière, soignées et exposées par le docteur Charcot à la fin du 19ème siècle. (Désiré Magloire-Bourneville)Laurence, militante du blog Coups de gueule de Lau se bat contre la "psychophobie" que subissent les malades psys. Et remet en question une "normalité" cruelle.

Par . Publié le 16 novembre 2017 à 18h07

Connaissez-vous la psychophobie ? Le terme a fait son apparition dans les médias cet été, quand l’émission "Fort Boyard" a lancé "l’asile", une nouvelle épreuve qui consiste à se tirer d’une chambre capitonnée tout en portant une camisole de force. Mauvais goût bonjour.

"C’était la première fois qu’on voyait le mot noir sur blanc hors des réseaux militants", s’enthousiasme Lau alias Laurence. La blogueuse des Coups de gueule de Lau, "suissesse, féministe, grosse", a participé à la création du collectif SOS Psychophobie il y a quatre ans.

Aujourd'hui constitué d’une dizaine de personnes aux problématiques diverses, de l’autisme à la schizophrénie, en passant par le trouble borderline, il monte régulièrement au créneau pour dénoncer les propos ou les représentations "psychophobes" dans les médias.

Traiter Trump de "fou"

Exemple banal : traiter Trump de "fou" n’est pas cool pour les "fous". Véhiculer l’image du "fou dangereux", par exemple dans les cas de meurtres de masse ou encore de terrorisme, non plus.

C’est à la fois faux et très nocif pour les personnes souffrant de troubles psychiques, car ce cliché contribuera à leur isolement et aux violences dont elles sont souvent victimes.

Psychophobie, donc. "Il y avait racisme, sexisme, grossophobie, mais il nous manquait un mot pour définir cette oppression spécifique."

Lau définit la psychophobie (qui dans le dictionnaire désigne une mystérieuse "phobie de l’esprit") comme "l'ensemble des stigmatisations, des discriminations qui vont de la moquerie à la violence physique que vivent les personnes qui sortent de la norme de fonctionnement psy".

Ça paraît simple, mais c’est une petite révolution.

Cela fait longtemps que notre vision des maladies psychiques ne se résume plus à l'image simpliste du "fou" de "l'asile" de "Fort Boyard" (dans les médias, par vague, il y a des moments dépression, des moments autisme Asperger, des moments bipolarité).

Une critique de la "normalité" psychique

Mais le mouvement anti-psychophobie va plus loin. Il ne cherche pas seulement à mieux informer sur les maladies mentales ou à "excuser" les personnes souffrant de troubles psychiques, mais remet aussi en cause la "norme neurotypique", c’est-à-dire les normes sociales de comportement et de fonctionnement.

A l’image d’une partie du mouvement féministe qui souhaite déconstruire les normes de genre, les militants anti-psychophobie critiquent la "normalité" psychique, présentée comme allant de soi.

"Plus ça va plus je me pose la question de savoir si les personnes neurotypiques existent", souffle Lau."Il y a une norme neurotypique, qui est aussi celle du patriarcat et du capitalisme – répondre aux attentes de productivité, regarder dans les yeux, correspondre aux stéréotypes de genre – mais y a-t-il une personne qui corresponde complètement à ces attentes ?"

Pour Lau, il y a d’un côté les gens qui sont "en situation de pouvoir donner le change correctement". Et les autres, comme elle, que les militants appellent "neuroatypiques".

Extraction de la pierre de folie, de Jérôme Bosch (1494) : l'entonnoir, sur la tête du charlatan, signifie la tromperie. 

Ce discours critique est le même que celui des militants anti-capacitisme ("ableism"), porté par les personnes handicapées dans les années 1980 aux Etats-Unis, et qui a donné naissance au domaine des disabilities studies dans le monde anglo-saxon. Un champ très peu exploré en France.

"Défoule-toi sur moi, c'est open bar"

Pour Lau, l'anti-psychophobie va forcément de pair avec une lutte contre les autres oppressions (sexistes, racistes, etc.) et le capitalisme.

"Avant je défonçais mes portes de placard, mais c’était néfaste pour mes proches comme pour mes placards. Maintenant je me canalise dans le militantisme."

La pathologie de Lau – un "doux mélange d’hyperactivité avec déficit de l’attention et de trouble borderline" – implique une dose d'émotivité et une impulsivité parfois incontrôlables, qui se manifestent notamment par des crises de colère. Des "coups de gueule" qu'elle pousse aujourd'hui sur la Toile.

L'éducatrice spécialisée de 39 ans était une petite fille solitaire, harcelée par ses camarades.

"La psychologue scolaire m’a dit que c’était normal qu'on me harcèle parce que j’étais bizarre."

Après l’école, sa hiérarchie a pris le relais de la maltraitance.

"Parce que je suis grosse et que je sors de la norme de fonctionnement, il y a comme une cible au-dessus de ma tête qui dit 'défoule-toi sur moi, c’est open bar'."

Il y a dix ans, le harcèlement d'un de ses chefs l’a menée jusqu'à un burn-out de six mois, durant lequel elle a lutté pour ne pas "se foutre en l’air".

"C’était une sombre crevure, un mec d’extrême droite raciste, bref une calamité totale. J’allais tout le temps au conflit avec lui."

"Ce n’était pas possible pour moi de fermer ma gueule devant lui, et il m’a pris en grippe." Lau nourrit des idées suicidaires. "Il m’enfonçait en me disant : 'Si tu es dépressive, tu ne peux pas faire ce boulot', etc."

Elle a fini par être licenciée. Au fond du trou à cette époque, elle n'a jamais porté plainte.

"Quand tu ne peux pas obéir, ce n'est pas un atout pro"

Aujourd’hui, elle bosse dans un centre d’accueil pour enfants et ados en difficulté en Suisse. Le même depuis huit ans. Son parcours lui sert parfois à comprendre et à communiquer avec les jeunes qu’elle encadre.

Mais elle a toujours tendance à s’attirer les foudres d’un chef ou d’un directeur.

"Quand tu ne peux pas mentir ou obéir sagement à ta hiérarchie, ce n’est pas un atout pro."

Elle prend aujourd'hui la chose avec philosophie, "ce n'est qu'un travail : si ça se passe mal, j'irai ailleurs". Et se dit que son trouble correspond aussi à ses "valeurs" :

"Je ne veux pas apprendre à coopérer avec un gros raciste."

Bref, Lau n’a pas envie d’être "normale". Même si elle ajoute : "Idéalement, j’aimerais bien contrôler les moments où je l’ouvre..."

Son discours politique s’est forgé sur le web. En 2007, Lau est devenue admin d’un forum d’entraide pour personnes pratiquant l’automutilation.

"A un moment donné, quand tu vois plusieurs personnes se faire licencier à cause des marques d’automutilation, et se faire dire qu’elles sont nocives, la moutarde te monte au nez, et il faut faire quelque chose.""J'emmerde Fillon"

Aujourd’hui, plusieurs blogueurs et blogueuses écrivent sur les troubles mentaux d’un point de vue personnel et politique à la fois, comme Blog schizoComme des fous ou Troll de jardin.

La dessinatrice Maeril s’est aussi illustrée en répondant directement à François Fillon qui se défendait d’être "autiste" dans un discours : "Je suis autiste, bien portante, surement plus lucide que vous et je vous emmerde."

Vous savez @FrancoisFillon, être autiste ne veut pas dire qu'on est "bête" ou "déconnecté du monde" comme vous avez l'air de le penser.

— Maeril (@itsmaeril) 5 mars 2017

Les profils de ces neuroatypiques publics sont variés, mais ce sont souvent des personnes qui ont "pris de la distance" avec leurs symptômes.

Lau lâche :

"C’est pas depuis le fond d'une chambre d'isolement ou entre deux tentatives de suicide qu'on arrive vraiment à pondre un article, quoi !"Solidarité entre "fous"

Pour le moment, la visibilité de la cause reste mince. Lau est suivie sur Facebook par une centaine de personnes, et le collectif par environ 2.000.

"Même dans les milieux militants, on est peu écouté. Les gens se disent 'c’est des fous, peut-être qu’ils exagèrent, on ne sait jamais'."

La première Mad Pride, créée à Toronto il y a 24 ans sur le modèle de la Gay Pride par des "survivants de la psychiatrie", a eu lieu en France en 2014  et compte pour le moment trois éditions.

En 2016, elle avait rassemblé environ 200 personnes. L'édition de 2017 a été annulée pour des "raisons de sécurité", peut-on lire sur le site des organisateurs. 

Reste que pour Lau, "internet et les réseaux sociaux ont sacrément aidé".

"Ça permet tout à coup de se rendre compte de la dimension politique du problème. Tant que chacun vivait sa merde chacun dans son coin, comment on aurait pu faire ça ?"Dans la troupe de théâtre

C’est aussi par internet et les forums d'entraide que Lau a rencontré la plupart de ses amis de la vraie vie, dont ses trois colocs actuels.

Lau va ainsi à l'encontre d’une des idées reçues les plus tenaces et qu'elle critique dans un de ses articles : les malades psys se "tireraient vers le bas", et ne devraient pas trop se fréquenter (psys et entourage le disent).

Pour Lau, une bonne part de la souffrance psychique vient justement du regard négatif de l’entourage et de la pression de normes impossibles à tenir. Normes qui changent en fonction du milieu : dans l’art par exemple, être "fou" est autorisé. Lau se marre :

"Mes seuls amis non diagnostiqués sont dans une troupe de théâtre, et ils sont tous barrés."

En somme, les "fous", comme certains malades le disent, se réappropriant un terme péjoratif, bousculent l’ordre social. Mais aussi les psychiatres.

Psychiatrie oppressive"Les personnes qui restent gentiment dans leur rôle de malades font ce qu’on attend d’elles, elles essayent de se plier aux codes. Les militants, eux, sont un peu plus dérangeants", lâche Lau.

Lau voit la psychiatrie comme "un foutu outil de contrôle social", comme Foucault quand il critiquait le "pouvoir psychiatrique".

Elle prend l’exemple des femmes qu’on enfermait pour hystérie au XIXe siècle ou de la psychiatrisation de l’homosexualité, et jusqu’à très récemment, des personnes transgenres.

"Dernièrement, le gouvernement a demandé aux psychiatres de chasser les terroristes. Ce n’est pas normal."

Les militants exposent aussi les violences psychiatriques, dont on parle peu.

"Il y a des gens traumatisés des soins. Une amie a vécu des choses tellement ignobles en HP qu’elle a mis des années à se faire soigner quand elle en a eu besoin."

Comme le dit la blogueuse de Blog schizo, aussi membre de SOS Psychophobie :

"La schizophrénie m’a rarement révoltée, la psychiatrie souvent."

Pour autant, pas question pour Lau de jeter tout le médical à la poubelle, qui peut être utile, tout comme les médicaments.

"On ne veut pas minimiser l’existence des maladies et des difficultés, qui sont réelles. Mais on milite pour une psychiatrie non normative."

"Mon esprit, mes choix"

Certains patients vont vouloir combattre le symptôme, d’autres apprendre à composer avec, voire à le positiver, explique Lau :

"Ce qu’on réclame, c’est l’autodétermination du patient, c’est d’avoir le choix, dans la limite de la mise en danger de soi-même ou des autres."

Comme elle l’écrit sur son blog, transposant le slogan féministe "Mon corps, mes droits" en "Mon esprit, mes choix" :

"Il faut, tu dois, tu devrais, fais-ci, fais pas ça, il faut, tu dois, tu devrais, fais-ci, fais pas ça, il faut, tu dois, tu devrais, fais-ci, fais pas ça… En boucle. Ça, c’est le quotidien quand tu es malade psy, neuroatypique, fou, folle, cinglé.e. [...] Ça ne vous paraît pas dingue, à vous ? Aussi dingue que tous les symptômes possibles et imaginables ?"

Jack Nicholson dans "Vol au-dessus d'un nid de coucou", 1975.

Lau milite aussi pour l’entraide et le partage de techniques de soin entre patients, qui permet de s’émanciper partiellement d’un système de soin vécu comme oppressif.

Cette critique de la psychiatrie classique, aujourd’hui portée par certains patients, a été amorcé par les psychiatres eux-mêmes avec l’antipsychiatrie.

La profession elle-même, bien qu’encore majoritairement normative – et même de plus en plus selon le psychanalyste et professeur Roland Gori – n’est donc pas unanime.

D’ailleurs, le psychiatre actuel de Lau s'inscrit dans ce mouvement et n'utilise le diagnostic de trouble borderline que "comme un guide" :

"Pour lui, je ne suis pas un ensemble de symptômes sur patte, je ne suis pas 'une borderline', je suis Lau. Et ça me va bien."

Commentaires

Portrait de jl06

Une vue générale de Theoule-sur-Mer.