Le nouvel art subtil et généreux de la masturbation

Publié par lericou06 le 30.04.2014
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Le nouvel art subtil et généreux de la masturbation

A la question de savoir si les nouvelles technologies changent ou non quelque chose à la sexualité, vous trouverez des réponses plus ou moins documentées, mais très souvent tranchées, et carrément contradictoires – et ces réponses, vous les trouverez en nombre sur le Web car, contrairement à ce que certains voudraient croire, Internet est doué d’une réflexivité à faire pâlir tous les psychanalystes de la terre.

Janine Mossuz-Lavau et Jean-François Bayart ont défendu dans cette Matinale l’idée d’un changement, d’autres affirment de manière tout aussi convaincantes que rien n’a changé. Des réponses qui restent contradictoires donc, si l’on considère la sexualité dans son ensemble. Pour réfléchir à cette question, il me semblerait plus fertile de procéder à la mode cartésienne, de manière analytique, c’est-à-dire de découper la sexualité en sous-ensembles, et de se demander ce qu’Internet change à la rencontre amoureuse ou aux stratégies de drague ou à la conjugalité ou à la geste sexuelle proprement ou à la prostitution.

Comme je n’ai pas le temps d’examiner tous ces sous-ensembles, je me concentrerai sur un seul, le plus mal connu parce que le plus honteux, le plus solitaire : la masturbation.

La chose la mieux partagée du monde

Mon hypothèse est que si Internet a changé quelque chose à la sexualité, c’est dans la pratique de la masturbation que c’est le plus apparent.

D’abord, même si les sites de rencontre fonctionnent bien, si les applications pour rencontrer des partenaires se multiplient, si les réseaux sociaux sont aussi des lieux de drague, le gros du sexe sur Internet, c’est ce qu’on appelle les « tubes », c’est-à-dire les plateformes de vidéos, où l’on peut accéder gratuitement à un contenu pornographique presque infini. Ces « tubes » connaissent un trafic énorme, auquel il faudra ajouter les sites de vidéos pornographiques à la demande (donc payantes, ça existe encore), et d’autres espaces plus artisanaux (des blogs pornographiques par exemple, dont certains sont très fréquentés).

Or ce trafic manifeste une volonté commune, gigantesque, internationale, qui transcende les genres, les âges et les cultures : se masturber. C’est-à-dire qu’Internet fait soudain apparaître de manière flagrante que la masturbation n’est pas une pratique déviante réservée à quelques mâles frustrés, mais qu’elle est, pour citer encore une fois Descartes, la chose la mieux partagée du monde. Donc le premier effet d’Internet, c’est de faire apparaître la masturbation dans sa banalité, ce qui a une conséquence manifeste, pas forcément de la rendre plus joyeuse, mais peut-être déculpabilisée.

Un jeu à deux


Et puis aussi toutes pratiques qu’on appelle le sexting (qui consiste à échanger des SMS érotiques, sous forme de texte ou de photos), ce sont aussi, le plus souvent des pratiques masturbatoires, mais à deux, à distance, qui nécessitent un art du langage (celui des mots et des images) et qui ajoutent des degrés de subtilité au vieil amour par téléphone. Et que dire de tous les services de visiophonie (de Skype et du presque défunt Chatroulette, qui permet de choisir son interlocuteur de manière aléatoire), ils recèlent aussi leurs lots de pratiques masturbatoires. Tous ces services reformulent l’onanisme qui devient un jeu à deux, élaboré dans sa forme (il faut réfléchir au cadre, au scénario), qui n’est plus seulement quête du plaisir solitaire, mais don de soi à l’autre.
Un autre effet, c’est de conférer à ce vieil art des subtilités nouvelles. Parce que ces sites qui recèlent un contenu presque infini nécessitent pour en tirer le meilleur profit de savoir s’y diriger. Et savoir s’y diriger, c’est savoir ce que l’on cherche. Savoir ce que l’on cherche, c’est savoir ce qui nous excite, c’est donc apprendre à connaître ses fantasmes, ce qui n’est pas inutile dans la vie. La fréquentation des sites dans une visée masturbatoire peut conférer à une quête intérieure et utopique, celle du « tag parfait », comme le théorise le site du même nom, c’est-à-dire du mot-clé parfait qui fera l’image parfaite du fantasme.

Ah, la belle époque

Et je pourrais continuer la liste des nouveaux tours et subtilités qu’Internet apporte à la masturbation. J’imagine que certains en m’écoutant se disent que l’époque nous fait tomber bien.

Dans son très beau livre « La Déchéance de madame Robinson » (éd. Christian Bourgois, 2013), l’auteure britannique Kate Summerscale raconte en détail le cas d’un jeune bourgeois de l’Angleterre victorienne qui souffre d’aimer se masturber. Il a l’impression d’être fou, malade, il n’ose s’en ouvrir à personne, il sombre dans le malheur et feint le suicide pour disparaître et ne plus faire honte aux siens, il finit par réapparaître et trouver une forme triste de remède : la fréquentation des prostituées. Eh bien, je suis désolé, mais je crois que je préfère notre époque.

Commentaires

Portrait de Felix77

les mecs dans les yeux pareil. Bande de pervers égoiste. à partir de ce jour, je vais les mettre les mains au paquet