Mapplethorpe au Grand Palais

Publié par lericou06 le 26.03.2014
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Mapplethorpe au Grand Palais : «Le Jean Genet de la photo»Robert Mapplethorpe, Self-portrait (Autoportrait), 1988Robert Mapplethorpe, Thomas, 1987Robert Mapplethorpe, Lisa Lyon, 1982Robert Mapplethorpe, Embrace (Etreinte), 1982Robert Mapplethorpe, Patti Smith, 1978Robert Mapplethorpe, Calla Lily, 1986

EN IMAGES - Le photographe des bas-fonds new-yorkais est nourri de références classiques et de sublime, nous explique le commissaire de cet événement photographique.

Docteur ès lettres, conseiller du président de la Réunion des musées nationaux-Grand Palais, Jérôme Neutres est le commissaire de cette première rétrospective française de Robert Mapplethorpe au Grand Palais. Après «Helmut Newton» dans les mêmes lieux et «Du côté de chez Jacques-Émile Blanche» à la Fondation Pierre Bergé, cet ancien attaché culturel à l'Ambassade de France à New York conjugue son amour pour l'art américain et pour les expositions qui touchent le grand public.

LE FIGARO. - Pourquoi une rétrospective Mapplethorpe au Grand Palais?

Jérôme NEUTRES. - Nous voulons institutionnaliser la photographie dans les galeries nationales du Grand Palais, l'offrir différemment au grand public et pas seulement à «l'Église du contemporain». D'où le choix de quatre monographies qui définissent les genres et écrivent des pages de l'histoire de l'art. Après un photographe de mode, Helmut Newton, après un photographe reporter, Raymond Depardon, et avant un portraitiste, Seydou Keïta, je voulais montrer un plasticien, Mapplethorpe. C'est un artiste qui a commencé par des collages, des dessins, des sculptures, et qui a choisi la photographie pour s'exprimer comme médium le plus approprié dans les années 1970.

N'y en a-t-il pas eu une kyrielle depuis sa mort, en 1989?

Il y en a eu entre quinze et dix-sept rétrospectives qui ont circulé en Europe depuis sa mort, surtout dans les années 2000 d'ailleurs, mais pas en France. Sous le poids d'une certaine tradition et d'une marginalité tenace de l‘art photographique, ces rétrospectives montraient de simples tirages d'exposition, rarement dans les galeries nobles des musées. Au Grand Palais, ce sera donc la première rétrospective de 263 images avec des pièces uniques, des vintages (tirages d'époque), 60 polaroïds qui marquent ses débuts, ses magnifiques tirages au platine comme celui, si fantomatique, de l'Autoportrait à la canne(1988) qui fait l'affiche de l'événement. Voir la réalité de ces premiers tirages, c'est comme découvrir Le Jardin des délices de Jérôme Bosch pour de vrai. On est ébloui.

Pourquoi commencer par la fin de son œuvre, et donc la mort de l'artiste?

Je crois aux expositions qui mettent en place une certaine esthétique, une émotion, une rencontre, un spectacle et, en ce cas précis, je dirais même une tragédie. Non au cours de fac, à l'avalanche de commentaires et d'explications, à l'inventaire scolaire qui dispense froidement sa matière. Il faut créer un récit, une histoire, remettre la dimension du plaisir dans l'art, même si c'est un champ de la connaissance. La dramatisation fait partie de Mapplethorpe. Lorsqu'il a su qu'il était malade du sida, il a brûlé sa vie. Cela commence par la fin parce que cela finit mal, cette histoire. Cet autoportrait qui tient la mort dans sa main avec cette canne satanique joue le rôle d'Orphée qui nous emmène dans le royaume des ombres.

L'idée est-elle de créer un théâtre de l'art?

Oui, j'ai essaimé des citations de Mapplethorpe dans chaque chapitre de l'exposition pour qu'on entende sa voix et qu'il nous conduise vers ses premiers polaroïds, où tout est déjà inscrit. Cela forme un cycle, de la mort à la vie.

Patti Smith, qui fut sa muse et sa compagne, est-elle associée à cette rétrospective?

Elle a fondu en larmes lorsque je lui ai annoncé notre projet. Lorsqu'elle était à Paris avec Mapplethorpe, en passant devant le Grand Palais, il lui a dit en pointant du doigt le monument: «Un jour, on sera là!» Cela souligne l'ambition de Mapplethorpe, photographe mort à 42 ans, mais qui a eu du succès, critique et financier, des rétrospectives muséales de son vivant. Après son poème autobiographique Just KidsPatti Smith a écrit spécialement pour notre catalogue un texte de 12 pages sur les sources artistiques de Mapplethorpe. Elle y témoigne de ses toutes premières années d'artiste, de ses visions.

Comment voyez-vous Mapplethorpe?

Je le rapproche de Jean Genet, sur lequel j'ai fait ma thèse. Lui aussi fut un temps démodé parce que jugé trop théâtral. Mapplethorpe adorait Genet, l'a beaucoup lu, s'en est inspiré. Genet est un écrivain qui a la spécificité d'avoir traité des thèmes les plus «honteux» - les amours d'un travesti et d'un maquereau, les orgies des marins, les bas-fonds des voyous - avec les mots de Ronsard et de Proust, soit la plus belle langue française. Mapplethorpe traite des backrooms SM avec l'esthétique d'un August Sanders, donc dans la photographie la plus raffinée, néoclassique, en pensant à Michel-Ange.

Genet disait: «J'écris pour le lecteur bourgeois, honnête, hétérosexuel.» C'est chez ce type de collectionneurs, dans ce même décalage entre sujet et art, que j'ai trouvé les vintages de Mapplethorpe. Ce n'est pas un photographe «gay», comme Proust n'est pas un écrivain «gay», comme Visconti n'est pas un cinéaste «gay». Il va au-delà du sexe (nous avons réuni le plus offensif dans un espace interdit aux mineurs), il parle de sculpture, d'histoire de l'art, du Titien, mais aussi de cinéma, de Macadam Cowboy et sa fameuse veste à franges portée par Jon Voight par exemple.