Mon pharmacien (3)

Publié par Rimbaud le 27.10.2017
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Cela faisait bien longtemps que je n’avais mis les pieds chez mon ami le pharmacien. Me revoilà donc dans la file qui fait face aux nombreux comptoirs du supermarché de la vie. Je scrute, je balaie l’immense échoppe de mon scanner surpuissant mais rien à l’horizon, mon petit bonhomme ventripotent semble parti en vacances sans même m’avoir prévenu. A sa place, deux préparatrices occupées et… oh non, pas elle, surtout pas elle… tout sauf elle !  Coup de chance : une femme me précède et va être servie par la décérébrée à qui j’avais été déjà confronté. Je me réjouis de ne pas avoir à lui réexpliquer pourquoi les tampons de l’hôpital figurent sur mon ordonnance, que oui, lorsqu’il est écrit « à renouveler deux fois » cela signifie qu’on peut obtenir trois mois de traitement, et non deux. Je la vois, son grand sourire illuminant sa jolie blouse blanche quand… la cliente devant moi tombe nez à nez avec une connaissance et engage la conversation. Je la vois, ma blonde, qui me lance de grandes œillades du genre « allez, viens, viens, laisse-les causer, je te sers de suite moi ! ». Que nenni ! Je fais le mec gentil qui ne grille pas la politesse. J’attends que la discussion se termine mais ma blonde s’impatiente et me fait de grands signes qui me mettent mal à l’aise. J’abdique, ô désespoir suprême, ô lâche que je suis !

-          Bonjour !

-          Alors voilà, faites attention, le traitement a changé.

Elle scrute l’ordonnance.

-          Oui mais… on vous les donnait en génériques ?

WHAT THE FUCK ? Quoi ? Mais de quoi tu parles là ? Quels génériques ? Je viens de te dire que j’ai changé de pilule, qu’on s’en branle de ce que tu me donnais, que le passé, c’est le passé et qu’il faut le laisser dans les égouts du présent (René de Obaldia, génie du théâtre) !

-          Euh… ça n’existe pas les génériques pour le Triumeq.

-          Mais…

Elle scrute le nombre de tampons… on y est… je la sens en pleine activité cérébrale, elle a mis tous ses neurones en action, je la vois au summum de la cogitation et là, miracle :

-          Ah oui, c’est vrai, vous allez à l’hôpital récupérer vos médicaments.

-          Voilà.

Je vois bien qu’elle ne comprend toujours pas pourquoi je me ferais chier à faire 40 kilomètres alors que leur pharmacie est à dix minutes de chez moi mais non, je ne me donnerai pas la peine de l’informer qu’il existe un suivi médical et que sur place, le traitement est dispo de suite. Malgré les mois passés, elle se souvient manifestement parfaitement de notre dernière rencontre et je ne vois dans sa remarque qu’un processus de culpabilisation, fruit d’un amour non réciproque, mort-né, avorté, tragique, racinien. Je pense l’affaire terminée.

-          Et vous le supportez mieux ce traitement ? Pourquoi en avez-vous changé ?

Dieu de tous les malades, je vous en supplie ! Faites-la taire ! Jetez-lui un sortilège démoniaque ! Envoyez-la bosser au Casino d’à côté pour qu’elle ait tout le loisir de discuter avec les petits vieux à la caisse à huit heures pétantes.

-          Euh… non, l’avantage, c’est qu’il se peut que ce traitement endommage moins mes reins et mon foie, à long terme.

-          Ah, oui…

J’insiste sur ce « ah oui » car il y a dans ce « ah oui » une forme de : « je le savais, bien entendu, mais je fais style, je m’intéresse à toi, mon petit malade, je suis compatissante alors qu’en fait je n’y connais rien à ton truc de séropo mais t’inquiète, dès demain, tu pourras venir chercher ta boîte à 929.45 euros, chéri, mon amour incompris, mon petit ingrat qui préfère aller à l’hosto. »

Commentaires

Portrait de bubulle

C'est vrai que quand on y va on a toujours une petite voix intérieure qui dit " Qu'en pensent-ils donc ? " et " Qui est derrière moi?" Laughing 

Un peu comme quand on allait acheter des capotes à 17 ans quoi ;) 

Ah, le sexe! Le grand problème que voilà! Embarassed

Portrait de Rimbaud

Bah qu'ils la ferment aussi, le secret médical ça existe, tu trouves pas ?

Portrait de Pierre75020

 Les pharmaciens sont soumis à l'obligation de confidentialité. Je trouve inacceptable qu'une pharmacienne soit aussi peu respectueuse de ce qu'elle devrait  considérer comme un bon client régulier et fidèle.

 Les miennes puisqu'il s'agit de dames me donnent le flacon dans une poche en papier.La discussion porte sur la date où je peux venir le chercher, en fonction de mes voyages ou des consultations avec l'infectiologue qui m'a changé trois fois de traitement.Je dois reconnaître qu'elles ont toujours été bienveillantes. La première fois, elles se sont arrangées pour avoir trois des médicaments sur quatre le jour même et à ce moment là je n'avais pas encore reçu l'accord pour l'ALD qui n'est arrivé qu'un mois après. Elles m'avancent les flacons si je dois partir en vacances. Elles ont été aussi souvent de mon conseil.

  Je me suis posé la question du jugement éventuel.Comme parisien, j'aurais pu aller dans une des pharmacies du Marais qui ont les ARV d'avance et dont la clientèle est composée de nombreux "séropos" mais j'aurais du prendre le métro tous les mois, j'ai préféré vaincre mon appréhension dès le début car je me connais assez pour savoir que j'aurais vite renoncé à courir rue Vieille du Temple ou rue des Archives pour des médicaments.  Embarassed

Portrait de Rimbaud

Ici, nous n'avons pas franchement le choix : c'est soit la pharmacie à 10 kms, soit l'hôpital à 40 kms :) Mais les joies de la campagne compensent allègrement ce manque de concurrence. 

Une pharmacie qui donne en avance des arv qund on part en voyage, mais c'est fabuleux ça ! J'en parlerai à ma blonde un jour si je dois partir longtemps :) Elle va aimer... 

J'ai droit aussi à la poche en papier mais comme elle a donné le nom du médoc la veille à la pharmacie, il ne sert plus à rien :) Bon oki, elle ne l'a dit qu'une fois mais j'étais bien résolu à lui rentrer dedans aujourd'hui si elle recommençait. Mais le nom n'est pas sorti. Peut-être quand j'irai chercher la boîte :)

Rendons-lui justice : elle m'amuse beaucoup ! :)

Portrait de ouhlala

Mais au bout de 30 ans on finit par en rire.

Et à rentrer dans le lard.

Portrait de jl06

A mon dernier rdv à l,hopital le mec de l,accueil...( et pourquoi vous avez un 100/100 ) je lui et balancé en pleine tronche la réponse ... confu il sent et excusé ! non mais (rire) ,  je crois  aussi qu,il faut  un peut montrer les dents ...

question médoc je prend à l,hopital aucun souci ( facilité) aussi 

Rimbaud à quand une piece de théatre... sur le hiv bien sur ....

Portrait de Rimbaud

J'y ai pensé figure-toi mais ça demande du recul et j'suis qu'un bébéséropo moi. Plus tard peut-être...  (une comédie !)

Portrait de ballif

moi habitant la campagne j'ai demandé au pharmacien de les commander  il peut de demander de payer tout de suite  de toute façon s'il il ne sont pas vendus il peut les renvoyer au crental

et en plus pour être payé il devait faxer à Ispra en Italie où est la caisse maladie des anciens fonctionnaires européens

mais cela leur demande du travail  et comme ça fatigue il n'aime pas cela

depuis le temps les choses sont plus dans le commun et donc il accepte

alors essais et passe plus de temps au café que dans les transports

Portrait de cbcb

Et oui, il y ces pharmacies dans lesquelles tu rentres à reculons …
Tu retardes au maximum … mais voilà, pas le choix !
Tu sais que la pharmacienne va jeter sur ta petite personne son regard inquisiteur, accusateur, 
qu’elle va te planter là derrière le comptoir, sans rien te dire, qu’elle va en parler à un collègue, 
qu’elle va revenir pour te dire "nous ne pourrons l’avoir avant 24 h ou 48 h",
en te tendant l’ordonnance… 

La dernière fois que j’ai vu l’infectiologue de l’hôpital de Lisieux (le plus proche de chez moi)
je lui ai demandé s’il avait suivi beaucoup de cas comme moi…
il m’a répondu "oh oui, une soixantaine !"
Je préfère ne pas savoir combien la pharmacienne a rencontré de personnes séros
(surtout que les pharmacies pullulent dans la région !)
 

Maintenant, je vais toujours dans la même pharmacie, ils me connaissent, ils sont sympas (je sais que nous sommes quatre "habitués" dans cette pharmacie… record à battre !) 

Portrait de Rimbaud

mais c'est devenu super amusant, à chaque fois y a un comportement marrant à observer. J'y retourne demain chercher la boîte, j'espère qu'elle sera là mdr le mieux, ce serait de ne jamais réagir, j'écris tout comme un feuilleton et un jour bing je lui balance le bouquin mdr

Portrait de Dakota33

Et bien moi, ce mois-ci, en allant récupérer ma boite mensuelle de Genvoya, j'en ai profité par la même occasion pour acheter une boite de préservatif car ma mutuelle a la bonne idée de les rembourser, une boite grand taille car il faut être prévoyant, on ne sait jamais sur qui on peut tomber. Et du coup, au passage en caisse, ça calme !

Portrait de Arzh59

J'ai eu de la chance avec ma pharmacie. 

Les deux premiers mois, j'ai pris les médicaments à la pharmacie de l'hôpital en même temps que mon suivi mensuel. 

Mais je n'avais pas envie de faire 45km aller retour chaque mois pour une boite de médocs. J'ai donc choisi la pharmacie d'à côté, où j'ai été très bien reçu. Discretion assurée, quelques questions sur le traitement, quelques réflexions à voix basse rigolotes (ha oui, ha d'accord je vois...), je m'amuse un peu à les voir regarder l'ordonnance et prendre conscience de ce qu'implique la petite ligne du traitement.

Je ne pense pas être le seul à fréquenter cette pharmacie pour un traitement VIH. J'ai eu affaire à une préparatrice des plus sympa. Et un pharmacien des plus prévenant, qui emballe la boite dans un sachet pour éviter la vue des autres patiens, allant même jusqu'à proposer de fermer plus tard ou déposer mon traitement un samedi soir où je n'étais pas allé le chercher puisque j'avais un peu d'avance dans la commande.

Depuis ma dernière commande j'ai déménagé. Pas loin mais suffisament pour ne pas avoir à retourner chez eux. Je leur ai dit au-revoir et les ai remercié pour leur gentillesse et leur discrétion. 

Maintenant j'appréhende de trouver un autre pharmacie. Il me reste peu de temps, je croise les doigts !