Procrastination

Publié par Rimbaud le 23.10.2017
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Je suis anéanti par ma paresse. Elle me dégoûte, a des relents de vide, insulte l’Esprit, cloue au sol. Sa torpeur est un nectar empoisonné qui prend possession de la plus petite étincelle de mouvement et qui la dynamite. Elle tient en laisse la liberté et, impérieuse, elle toise, perchée sur des talons qui sont des fortifications, ricanant, les yeux brouillés d’un contentement amusé. Elle détient les secrets d’un anesthésique puissant à la combinaison ancestrale mais secrète. Elle me maintient éloigné de toute projection, le dos collé au siège, la pensée redondante, et s’esquisse pour peu que je cherche à la tenir. Elle relègue dans les caves privées de l’air des pluies d’octobre les envies assassinées et les contes enfantins qui pourrissent, privés de la lumière des cœurs bondissants. Tout semble relégué au second plan : la possibilité d’un avenir, l’urgence des corvées prosaïques, la facture à payer, l’automobile à réparer, l’examen à subir, la famille à contacter, la beauté à traquer. Le moindre acte se trouve emporté dans le processus de miniaturisation de qui a perdu la vue. Puisque je vais mourir, allons, mon âme, ne t’attache à rien car la déception, amère et cruelle, te guette ! Tu le sais bien, tu le sais depuis toujours, qu’une action, quelle qu’elle soit, est un étendard gagné de haute lutte, arraché des mains de l’ennui, corsaire naviguant à vue dans les entrailles d’une métaphysique ronronnante. La maladie est un boulet mortifère trainé sur des kilomètres qui sont des décennies. Je pousse en avant mon thorax dépecé pour engager le combat, la confrontation inégale à l’issue certaine. J’ôte un à un les voiles transparents qui font des chimères des naïades désirables, ces putes ensorceleuses défigurées par les vers terreux du jardin de la chimie. Je me dissimule pour, le temps d’une apparition, incarner l’être nouveau et solitaire, douloureusement solitaire. J’oppose à ses hurlements de vieille folle enragée la douceur de ma voix d’enfant timide et peureux. J’oppose à la léthargie du venin le cinéma full HD son Dolby Surround qui décuple les artifices des tremblements des êtres merveilleusement affaiblis. Quand le monde est occupé à creuser sur des sentiers artificiels le tatouage éphémère d’une puissance de façade, je n’ai pas peur du bégaiement, ce langage sautillant des émotions incontrôlées, je ne glorifie pas les amitiés intéressées et égoïstes, je ne magnifie pas les collaborations car le monde n’en finit pas de se servir du monde. Je puise dans les tréfonds de la syntaxe des flux de litanie voués à l’oubli, à l’incompréhension, au déni, au mépris et au silence. Le divorce est originel mais il reste en moi un pouvoir révolté, et chaque geste devient une révélation, et chaque acte est une tentative, et chaque escapade est un étonnement. S’il n’y a plus de sens, plus de logique, plus de combinaisons, il restera ceci qui n’appartient à personne et contre quoi tu ne pourras rien, ceci qui n’est pas toi, Paresse, ceci contre lequel tu es inopérante, ceci qui t’échappe et fuis, ceci qui se nourrit à hauteur de ton inertie, ceci qui est un refus dirigé, une réflexion qui t’encercle, qui te circonscrit et, partant, édulcore tes appétits. Puisque le sens n’est plus, qu’il renaisse sous une forme ou une autre, dans l’absurdité de nos conditions de mortels, dans la folie des perceptions inattendues et des espaces qui isolent nos maisons écroulées. Je resterai là parmi les ruines, les déchets et les gravats. Je resterai avec ma paresse, guettant la jeune pousse improbable, prêt à accueillir le retour d’une réalité qui s’avèrera illusion ou promesse. Nous passons nos vies de séropos à débattre des molécules, à scruter l’attitude des labos, à traquer la sérophobie ambiante, à analyser les chiffres, à anticiper les possibilités, et ces attitudes nous détournent de l’essentiel qu’est la vie, consument le temps pour lequel nous nous battons inutilement, l’essentiel dissimulé derrière les paravents de la survivance. Nous avons trouvé notre petite occupation mensongère, avons donné une légitimité à la paresse, drapés dans une victimisation pratique et simplificatrice. Le virus est un prétexte quand nous devrions l’utiliser pour bondir hors de nos carapaces atrophiées, mais le plus petit geste insignifiant est désormais le pas de travers qui dérange un instant l’ordre établi et nous fait tout juste lever la tête. Mes ambitions ont une démesure qui ne cadre pas, qui se heurte, qui échoue. De ces échecs répétés naissent les chants incompris qui ont, certes, l’émotion d’un bras désespéré qui se débat hors de l’eau mais aussi le ridicule de l’inutilité de ce même geste car d’eau, en définitive, il n’y pas.