Conseil national du sida : un avis qui change la vie !

Publié par jfl-seronet le 05.05.2009
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En popularisant cette idée simple, scientifiquement validée, que le traitement anti-VIH peut réduire très fortement le risque de transmission du VIH, les Suisses ont ouvert un débat planétaire. Quinze mois après cette annonce, le Conseil national du sida a rendu un avis sur le sujet qui devrait faire date. Voici donc un dossier complet sur le sujet. Au programme une présentation des points majeurs de l'avis, ses recommandations, son impact au delà de la prévention et les réactions associatives.
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C'est l'évidence, tout a changé depuis la publication, début 2008, de recommandations suisses destinées aux médecins. Pour la première fois, un avis officiel (en l'occurrence celui de la Commission fédérale suisse pour les problèmes liés au sida) affirmait que les personnes séropositives au VIH sous traitement antirétroviral, dans certaines conditions garantes de l’efficacité du traitement, ne sont pas susceptibles de transmettre le virus par voie sexuelle. Cette annonce a d'emblée fait les gros titres et suscité débats et polémiques. Elle a surtout eu l'intérêt de mettre enfin sur la place publique une information réservée jusqu'alors à quelques initiés fréquentant les colloques scientifiques ou quelques personnes suivies informées par leurs médecins. Elle a enfin obligé les acteurs de la lutte contre le sida à tenir compte de cette annonce, à y réfléchir et à prendre publiquement position. C'est, après d'autres, ce que vient de faire le Conseil national du sida (CNS) en France en publiant le 30 avril un avis sur "l'intérêt du traitement comme outil novateur de la lutte contre l'épidémie d'infections à VIH". Un avis suivi de recommandations.


Tout a changé. Vraiment changé, si on en juge par l'évolution qu'il y a entre la première prise de position du CNS en janvier 2008 à la suite de la publication des recommandations de la Commission fédérale suisse et aujourd'hui. En janvier 2008, le CNS écrit que les données citées par les Suisses "pourraient, en effet, permettre d’envisager que les traitements actuels puissent devenir un jour un outil parmi d’autres des politiques de prévention au niveau collectif et de contrôle de l’extension de l’épidémie." Le CNS, très prudent, affirme alors que "les données permettant d’extrapoler la réduction du risque d’un niveau collectif à des situations individuelles restent trop préliminaires pour permettre des recommandations individuelles (…) Même si aucun cas de contamination n’a été constaté sur ces observations, les échantillons sont trop faibles pour exclure un risque de manière suffisamment fiable." Sa conclusion est alors qu'il faut continuer "à promouvoir les méthodes de prévention éprouvées, notamment l’usage du préservatif." On s'abrite derrière les basiques et le traitement n'a pas encore le statut officiel d'outil de prévention. Mais comme le CNS ne veut pas pour autant injurier l'avenir, il laisse la porte ouverte en affirmant : "l’hypothèse qu’un traitement efficace puisse abolir la transmission ne peut être écartée." Il a bien fait.

Il a bien fait de choisir l'ouverture en 2009 et surtout de privilégier l'information des personnes concernées plutôt que le diktat, l'objectivité et l'exhaustivité des arguments plutôt que de considérer que tout le monde va comprendre de travers ce que dit la Commission fédérale suisse. D'ailleurs, le CNS "estime qu’il est juste de partager cette information, considérant que les personnes sont capables d’en apprécier la portée et les limites, et que l’un des fondements d’une société démocratique est l’égale répartition de la connaissance (…) Par ailleurs, les intérêts des personnes vivant avec le VIH ayant toujours été l’objet de la préoccupation du CNS, il apparaît aujourd’hui légitime de faire part d’une information qui représente un intérêt pour elles."  Reste alors à comprendre ce qu'est cette information ("La capacité des traitements antirétroviraux à réduire très fortement le risque de transmission du VIH par voie sexuelle") et ses conséquences, l'intérêt que le CNS lui trouve.

"Le traitement peut constituer un outil puissant de contrôle de l'épidémie"
Pour le CNS, il est clair que "le traitement diminue le risque de transmission du VIH". La preuve ?  "Le traitement est utilisé depuis 1994 dans la prévention de la transmission de la mère à l'enfant." Autre preuve : les traitements sont aussi utilisés pour éviter la transmission après un risque d'exposition. Ce sont les traitements post-exposition (les TPE). D'abord réservé dès les années 80 aux professionnels de santé, le TPE est désormais proposé vers la fin des années 90  aux personnes exposées à un risque de transmission sexuelle du VIH. Enfin, le CNS n'oublie pas que c'est toujours cette idée d'utiliser des médicaments anti-VIH pour réduire le risque de transmission par voie sexuelle qui est à l'origine des recherches actuelles sur le traitement pré-exposition. C'est-à-dire la prise d'un traitement anti-VIH avant un rapport sans préservatif.

 

"L'enjeu crucial du dépistage" pour les individus et la collectivité
Si on veut avoir un impact sur la dynamique de l'épidémie, il faut tenir compte de plusieurs paramètres : le pourcentage de personnes sous traitement, la précocité du dépistage chez celles en primo-infection, un prise en charge plus rapide (33% de nouveaux cas de séropositivité annuels sont le fait de personnes ayant un niveau de CD4 inférieur à 200 ou en stade sida), et une bonne observance. C’est ainsi que le résume le CNS : "parvenir à dépister mieux et plus tôt, tout comme d'assurer ensuite la prise en charge plus précoce des personnes dépistées positives. Le CNS parle même de "l'enjeu crucial du dépistage". "Le dépistage reste insuffisant et son accès soumis à des obstacles", constate le Conseil. Il affirme d'ailleurs que : "Le retard au dépistage est à la fois une perte de chance individuelle et une perte de chance collective." Autrement dit : "le fait de se faire dépister et traiter n'est plus seulement un enjeu individuel, cela devient également un enjeu collectif important."

"Le traitement ne garantit pas une totale absence de risque de transmission"
Le CNS affirme deux choses. Il existe d'une part "un certain consensus" autour de l'idée que "le traitement peut permettre de réduire le risque de transmission à l'échelle d'une population." D'autre part, il affirme que les "données disponibles montrent que le risque de transmission dans une relation hétérosexuelle où le partenaire infecté est sous traitement est faible, mais ne peuvent pour autant démontrer qu'il est nul". Autrement dit, si on raisonne en terme de population, le traitement va réduire le risque de transmission à l'échelle d'un groupe, mais il ne peut garantir une absence de risque de transmission pour chaque personne appartenant à ce groupe. Il demeure un "risque résiduel", que la Commission fédérale suisse qualifie de "négligeable",  que le CNS explique par le fait que "l’existence d’un risque résiduel de transmission peut être soupçonnée en raison des incertitudes qui affectent la corrélation entre le niveau de risque de transmission par voie sexuelle et le niveau de la charge virale mesuré dans le sang".

"Informer sans opposer traitement et outils conventionnels de prévention"
Pour le CNS, l'annonce suisse est bel et bien un tournant dans le sens où le traitement est envisagé ici pour moyen de rendre la personne séropositive "non-transmetteuse" indépendamment de ce qu'elle choisit de faire "dans les situations à risque de transmission". Jusqu'à présent, il s'agissait seulement de dire aux personnes d'opter pour des mesures (le port du préservatif…) dans des situations de risque potentiel. Pour le CNS, il n'y a aucune raison d'opposer le traitement au préservatif. Les deux doivent être pensés en complémentarité. En fait, l'avis du CNS avalise l'idée que les outils de prévention individuels ne sont plus forcément identiques qu'on soit ou non séropositifs. Le CNS tient aussi à réaffirmer que "l'outil que constitue le traitement ne remplace pas l'usage du préservatif". Mais le CNS n'est ni aveugle, ni sourd. Il constate aussi qu'"En dépit des actions de prévention mises en œuvre jusqu’ici, les outils disponibles ne suffisent pas à enrayer la dynamique de l’épidémie dans les groupes les plus exposés au risque de transmission du VIH (…) l’usage du préservatif n’est pas aussi systématique qu’il le devrait." Selon les études citées par le CNS  "le préservatif systématiquement et correctement utilisé réduit le disque de transmission du VIH [...] de 90 à 95%". On ne peut donc par parler pour le préservatif de « risque zéro » affirme le CNS. Son messge est alors très clair. S'il n'est "pas possible d’affirmer au niveau individuel un risque de transmission égal à zéro. Pour autant, le traitement permet de réduire très fortement le risque de transmission et peut permettre d’éviter de nombreuses contaminations dans les situations où une personne infectée n’est pas en mesure de mettre en œuvre une protection par le préservatif." Cela signifie pour le CNS deux choses. D'une part, c'est la combinaison du traitement et du préservatif qui "apparaît garante d'une sécurité maximisée". D'autre part, à défaut, "l'usage d'un seul de ces moyens apparaît toujours préférable à une absence totale de protection." C'est clair, pour le Conseil : "Le traitement doit avoir une place dans la prévention individuelle."

Campagne prévention de Santé Canada, 2003C’est donc une "conception renouvelée de la prévention" que propose le CNS. L’intérêt du traitement comme outil de prévention offre une nouvelle motivation à se faire dépister. Mais dès lors, "une responsabilité nouvelle émerge  [...] qui doit être placée au cœur du discours de prévention", celle pour chacun, sexuellement actif, de connaître son statut sérologique. En conséquence, le discours de prévention doit cesser les campagnes visant à faire peur sur les conséquences de la séropositivité (traitement lourd, effets indésirables...). Il doit « désormais valoriser les avantages du traitement, tant en termes de bénéfice thérapeutique direct que de bénéfice préventif » ceci aussi bien vers les groupes les plus touchées que vers l’opinion publique générale.

Pour consulter l'avis du CNS : http://www.cns.sante.fr/spip.php?article294

 Illustration : James P. Wells , shari_y77

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