Rapport Yeni 2008 - Ce qui change

Publié par olivier-seronet le 19.09.2008
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Le nouveau rapport sur les recommandations de prise en charge des personnes infectées par le VIH est sorti. Il résume sur les évolutions des dernières années jusqu'à aujourd'hui et trace les lignes directrices pour les deux années à venir. Seronet fait le point sur ce qui reste et ce qui change.
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Comme les jeux olympiques d'été tous les quatre ans, la rentrée tous les ans, la publication du Rapport d'experts pour la prise en charge des personnes vivant avec le VIH fait date, tous les deux ans. Le Pr Patrick Yeni a été nommé par la ministre de la Santé, pour réunir des experts et mener cette mission. Ceux-ci viennent de tous horizons : médecins des hôpitaux, médecins de ville, chercheurs, institutionnels représentant l'Etat et ses agences de santé, et bien sûr représentants des associations de lutte contre le VIH/sida, notamment par la participation active du TRT-5 (1) et des associations, comme AIDES, qui constituent ce collectif. Leur objectif principal est de rassembler l'état des connaissances, des évolutions et des nouveautés afin de proposer des lignes directrices pour le meilleur suivi possible des personnes vivant avec le VIH. Ce travail a été réalisé pendant la première moitié de 2008 et vient de paraître (2). En près de 400 pages et vingt chapitres recouvrant autant de thématiques, il s'adresse d'abord aux médecins, en France, qui suivent les personnes séropositives. Il émet aussi des recommandations pour l'avenir, en direction des pouvoirs publics, des chercheurs, de l'industrie pharmaceutique,... Assurer une prise en charge optimale aujourd'hui ne fait pas l'impasse sur la prise en charge de demain : l'infection par le VIH est devenu le plus souvent (et heureusement) une question au long cours

Le nombre de personnes prises en charge pour l'infection par le VIH augmente toujours : près de 6 300 personnes découvrent leur séropositivité sur un an. On estime que près de 36 000 personnes ignorent qu'elles sont porteuses du VIH aujourd'hui en France. Environ 33 % des personnes sont prises en charge trop tardivement (avec des T4 (ou CD4) bas, inférieurs à 200/mm3 ou alors qu'elles souffrent d'une maladie opportuniste). Cela veut dire qu'elles ont des risques supérieurs de décès ou de complications par rapport aux personnes qui connaissent plus tôt leur statut vis-à-vis du VIH, et qui ont un suivi, des examens et un traitement anti-VIH si besoin.


Face à cet enjeu, un nouveau chapitre apparaît dans le rapport : "Dépistage et nouvelles méthodes de prévention de l'infection par le VIH". Un consensus se dégage : il faut expérimenter et mettre en place de nouvelles stratégies de dépistage, se rapprocher des personnes les plus vulnérables ou exposées (homosexuels, personnes immigrantes, personnes détenues) en profitant de la mise au point récente de tests rapides, plus simples à utiliser.

Quels sont, en 2008, les objectifs d'un traitement anti-VIH ?


Il s'agit principalement de réduire rapidement la charge virale (jusqu'à la rendre indétectable, c'est-à-dire au dessous de 50 copies/mL), et de faire remonter les T4 puis de les maintenir si possible au dessus de 500/mm3. D'autres objectifs importants sont affichés, et doivent être recherchés par les soignants, comme la meilleure tolérance possible du traitement, à court, moyen et long terme ainsi que la préservation de la qualité de vie. Les interruptions de traitement, une fois celui-ci commencé, ne sont pas recommandées.
Notons un intérêt particulier cette année pour le rôle du traitement anti-VIH et d'une charge virale indétectable dans la réduction du risque de transmettre le virus (voir les recommandations suisses d'il y a quelques mois et les articles récemment publiés sur Seronet). En soi, ce rôle possible du traitement "pourrait constituer une justification supplémentaire en faveur de l'introduction du traitement antirétroviral".

Quand commencer un traitement anti-VIH ?


Actuellement, on dénombre presque trente médicaments anti-VIH (dits aussi antirétroviraux). On connaît mieux les plus anciens, on a plus de choix pour "sélectionner" les mieux adaptés au mode de vie ou aux forces et fragilités de chacun. Les médicaments les plus récents semblent globalement mieux supportés. Ils sont aussi souvent plus simples à prendre ("2 en 1", "3 en 1", médicaments ne nécessitant pas de réfrigération, etc.). Par ailleurs, les études apportent des arguments montrant des bénéfices à commencer plus tôt avec moins de risque de maladies ou de décès.


Comme en 2006, chez les personnes avec des T4 bas (moins de 200/mm3) ou une maladie opportuniste, il faut commencer un traitement sans attendre. La nouveauté est principalement pour les personnes sans symptôme grave. Il est alors recommandé de débuter un traitement dès que les T4 atteignent 350/mm3, sauf si la personne a exprimé qu'elle n'était pas encore prête. On peut même envisager de débuter le traitement bien au dessus de 350 T4/mm3, notamment en cas de charge virale très élevée, de baisse rapide des T4, de co-infection par une hépatite B, lors d'un projet de grossesse, ou encore chez les personnes de plus de 50 ans (chez qui la "reconstitution" des T4 est plus lente et plus difficile). Dans tous les cas, le médecin doit en parler avec la personne, s'assurer qu'elle est prête et favoriser sa préparation (notamment par la proposition d'actions d'accompagnement ou d'éducation thérapeutique). Au Québec, les médecins spécialistes suivent les recommandations internationales (voisines de celles du Rapport d'experts). Une réactualisation du Guide québécois de la thérapie antirétrovirale est en cours. Le groupe d'experts écrit qu'il est "acceptable d'entendre et d'examiner la demande d'un patient qui souhaiterait débuter un traitement alors que son nombre de lymphocytes CD4 est supérieur à 500/mm3, notamment dans une optique de diminution du risque de transmission sexuelle du VIH".

Crédit photo : Bizior (www.sxc.hu)

Pour un suivi de qualité


Le chapitre concernant le suivi des personnes séropositives est un grand classique du rapport. Il recense les éléments de qualité de la prise en charge au long cours comme les examens à effectuer (leur nature et leur fréquence), le contenu des consultations, la coordination des acteurs médicaux et leur complémentarité avec les non médicaux (associations), notamment sur les questions d'éducation thérapeutique et d'accompagnement au soin. Cet accompagnement doit permettre d'exprimer ses besoins et difficultés, de comprendre son corps, l'infection à VIH, les principes du traitement, de soupeser les risques et faire des choix pour sa santé, d'améliorer le recours au système de soins, pour un mieux-être et une qualité de vie avec le VIH.


Concernant les conditions du suivi, une attention spécifique aux femmes, aux personnes immigrantes/étrangères, aux personnes détenues, ou aux personnes transgenres a permis d'affiner les recommandations pour ces groupes particuliers. Plus généralement, cette attention se retrouve dans différents chapitres du Rapport, en raison de certaines particularités de prise en charge ou de vulnérabilité. Concernant les enfants, un chapitre spécifique leur est réservé.

Complications du VIH et des traitements


Si les dernières années ont vu moins de cas de sida et de décès, elles ont aussi vu de nombreux problèmes (reins, foie, cœur, os...) augmenter.  Souvent, le rôle propre du VIH et les effets indésirables des traitements se conjuguent pour fragiliser, tour à tour, les différents organes. Tout comme les cancers, en augmentation, et qui font l'objet d'un chapitre spécifique, ces complications s'accentuent avec le vieillissement et parfois même semblent l'accélérer. La surveillance de ces complications, ainsi que leur gestion, et les solutions qu'on peut parfois mettre en face sont détaillées (lipodystrophies, troubles cognitifs, problèmes cardiovasculaires, problèmes osseux...). La co-infection avec une hépatite B ou C, qui concerne une personne séropositive sur trois, fait l'objet d'un chapitre et de points forts spécifiques.


Le chapitre correspondant du rapport met un coup de projecteur sur la prévention du tabagisme. Il insiste aussi sur des dépistages réguliers dans de nombreux domaines, notamment lors de consultations annuelles de synthèse à l'hôpital (voir Remaides, mars 2008). Il met l'accent, cette année, sur les troubles cognitifs : atteintes des facultés intellectuelles (orientation, calcul, mémoire...). Une évaluation régulière est recommandée après 50 ans ou en cas de co-infection par l'hépatite C, notamment en cas de demande des personnes. Si la fréquence des troubles graves a diminué ces dernières années, les troubles légers et le vieillissement doivent inciter à une attention plus précoce pour optimiser la prise en charge.

Conditions de vie pour un succès thérapeutique


"Last but not least", comme diraient les Anglais : le (presque) dernier chapitre du Rapport, mais pas le moindre. Pourquoi un tel chapitre, nouveau, axé sur les questions sociales ? Parce le VIH peut entraîner une dégradation des conditions de vie, liée aux ressources, à l'insécurité alimentaire, au "coût de la santé" et à l'accès aux soins, à la stigmatisation, etc. Parce que la réussite thérapeutique est dépendante de ces conditions de vie et de la situation sociale. Parce qu'enfin, une prise en charge qui se fixe comme objectifs égaux la "quantité de vie" et la "qualité de vie" des personnes a besoin d'outils et d'ouverture vers les questions sociales et les autres acteurs. Le chapitre est construit à la fois comme une boîte à outils pour les soignants (pour répondre, orienter ou anticiper les dégradations sociales), mais aussi comme une feuille de route de recommandations vers les institutions de l'Etat, ou les COREVIH. Les COREVIH sont de nouvelles coordinations régionales de lutte contre le VIH, réunissant des représentants des acteurs de la lutte contre le VIH (dont les médecins et les associations) dans le but d'améliorer la qualité de la prise en charge sur un territoire régional. Grandement investi par les associations, un tel chapitre apporte aussi aux recommandations françaises cette french touch qui envisage la santé et ses déterminants comme une question globale, centrée sur les difficultés et aspects variés, la vie réelle des personnes touchées par une pathologie comme le VIH.

A lire aussi : Rapport d'experts 2008 : points forts et engagements ministériels


(1) Le TRT5 est un collectif sur les traitements et la recherche thérapeutique qui rassemble huit associations de lutte contre le sida : Act Up-Paris, Actions Traitements, AIDES, Arcat, Dessine-moi un mouton, Nova Dona, Sida Info Service et Sol en si.
(2) Prise en charge médicale des personnes infectées par le VIH, Rapport 2008 sous la direction du Professeur Patrick Yeni. Collection Médecine-Sciences, Flammarion, 30 euros.

Crédit photo de la femme en train de lire : Moriza