Sénégal : Où en sont les militants condamnés ?

Publié par jfl-seronet le 03.03.2009
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Arrêtés en décembre dernier et condamnés le 7 janvier 2009 à huit ans de prison pour "conduite indécente, actes contre nature et association de malfaiteurs", neuf jeunes hommes sénégalais, militants de la lutte contre le sida, sont toujours en prison. Il y a quelques semaines, des représentants de AIDES se sont rendus sur place. Ils ont rencontré un des militants condamnés. Volontaire national à AIDES, Michel Bourrelly y était. Interview.

Où en est l'affaire aujourd'hui après la très sévère condamnation prononcée en janvier dernier ?
Pour le moment, c'est le statu quo. Les militants condamnés ont fait appel de leur condamnation. Nous attendons que la justice sénégalaise choisisse la date de l'appel, ce qui n'a pas été fait pour le moment. Nous n'en savons pas plus.

Comment cela se passe t-il pour eux en prison ?
Il y a une grande fatigue physique et une grande fatigue morale. Physiquement, c'est difficile parce que les conditions de détention restent dures. Le militant que nous avons rencontré partage sa cellule avec 80 autres détenus. Il ne dort qu'une heure par nuit par crainte des problèmes. Il nous a dit être victime d'insultes notamment de la part de ceux qui savent pour quelles raisons il est là. Mais nous n'avons eu que peu de temps pour parler. Il faut imaginer que le parloir : ce sont deux lignes parallèles de douze chaises qui se font face, l'une pour les prisonniers, l'autre pour les visiteurs. Les chaises sont séparées entre elles de cinquante centimètres avec tout le monde qui parle en même temps et sept minutes, montre en main sous la surveillance de gardiens, pour échanger. C'est comme un sinistre speed dating. Les militants ne semblent pas avoir été physiquement maltraités et ils ont un accès libre et permanent à l'infirmerie. Cela permet de s'échapper durant quelques minutes de la grande promiscuité, et des punaises et des puces qui prolifèrent.  Moralement, c'est difficile aussi parce ce que les militants sont jeunes et que rien ne les a préparés à vivre ça et surtout pas une condamnation aussi lourde.

Cette condamnation a suscité, notamment en France, de très vives protestations. Quelle est aujourd'hui la mobilisation internationale ?
Même si on peut difficilement le mesurer, les pressions internationales ont toujours un effet dans ce genre d'affaires. Suite à la condamnation, il y a eu des échanges entre le ministère des Affaires étrangères français et les autorités sénégalaises, mais pas seulement. De nombreuses structures soutiennent les militants condamnés. C'est le cas de l'association ENDA-Santé, de l'Alliance Nationale Contre le Sida, d'Africaso (African council of Aids organizations), de l'ONUSIDA, du Programme des Nations Unies pour la développement, du ministère de la santé en France, de notre ambassade et de celle de Suède à Dakar et bien sûr de AIDES. De ce qu'on peut en dire, c'est que ce soutien se manifeste aujourd'hui, notamment par des visites aux militants en prison. La veille du jour où nous sommes allés à la prison, c'est un représentant du Fonds mondial contre le sida qui avait rendu visite aux militants. L'association ENDA-Santé va les voir régulièrement. Ces visites quasi quotidiennes sont importantes, d'autant qu'ils n'en reçoivent pas tous de leurs proches ou de leurs familles. Elles montrent aux militants que nous ne les oublions pas. Elles sont aussi, pour les autorités, le signe de notre intérêt et de notre inquiétude pour eux.

Ces dernières années,  le Sénégal s'est illustré à plusieurs reprises dans des affaires contre les homosexuels. Quelles sont les explications à cette homophobie ?
C'est assez obscur. Il y a l'hypothèse d'une pression forte des confréries islamistes qui conduiraient les autorités à vouloir faire des exemples, donner des gages. Il y a surtout, je crois, le fait que le pays se sent, d'une certaine façon, "sali" de compter des homosexuels dans sa population. Certains homosexuels sénégalais partagent, eux-mêmes, cet avis. Reconnaître qu'il y a des homosexuels dans le pays et les tolérer, c'est faire du tort au pays en quelque sorte. Ce sentiment entretient l'homophobie. Sur ce sujet, c'est une évidence que le Sénégal ne réagit pas en pays normal. Il serait bien que le Sénégal marche sur les traces d'autres pays comme le Burundi. Certes, certains pays ont parfois, on l'a vu avec le Burundi, des poussées homophobes, mais le jeu politique démocratique, les contre-pouvoirs y jouent leur rôle. Au Burundi, on propose un article pénalisant l'homosexualité, ce qui aurait eu des conséquences sur la politique de prévention. Cet article fait débat. Il est contesté et se trouve repoussé par un vote du Sénat. Il y a là un jeu démocratique normal pour un bon résultat. Au Sénégal, c'est tout autre chose car le pays fait encore partie de ceux qui sanctionnent pénalement l'homosexualité.

Sénégal : le procès en appel le 6 avril
La demande de liberté provisoire des neuf gays militants de la lutte contre le sida arrêtés par la police et condamnés en première instance à huit ans de prison fermes a été rejetée le 31 mars. L'avocat général avait demandé le maintien en détention des militants qui avaient fait appel de leur condamnation le 17 mars dernier. Selon le journal Le Quotidien, le procès en appel des neufs militants  aura lieu le 6 avril prochain.
Plus d'infos sur http://www.lequotidien.sn

Crédit illustration : ba1969