Impliqués, investis avec et aux côtés des autres

Publié par olivier-seronet le 16.04.2010
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Peut-être les personnes séropositives n'étaient-elles pas assez visibles lors de la Conférence francophone sur le sida de Casablanca... Certains participant s'en sont plaints. Elles étaient, en tous cas, au cœur des débats lors de la session organisée par la Coalition Plus sur l'implication des personnes séropositives et leurs proches dans la lutte contre l'épidémie. Une occasion de parler des principes dits de Denver et du GIPA, deux initiatives, anciennes et majeures, en faveur de la reconnaissance des personnes séropositives dans la lutte contre le VIH.
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"Quand je regarde après 25 ans, personne ne peut nier que tout le monde parle de l'implication de la communauté, du rôle important que les personnes touchées ont joué dans l'épidémie, le visage humain qu'elles ont donné. Mais dans la réalité, l'engagement n'est pas toujours traduit en action". Meskerem Grunitzky, directrice régionale de l’ONUSIDA pour l’Afrique occidentale et centrale, lance ce pavé dans la marre ! Quinze ans après leur adoption, les principes GIPA (voir encart) sont à nouveau en discussion. L'implication des séropositifs dans la lutte contre le sida n'est pas une idée nouvelle, comme l'a rappelé Vincent Pelletier, directeur de AIDES et lui-même séropositif, à la tribune. Dès le début de l'épidémie, la place des personnes touchées dans la lutte contre l'épidémie a été questionnée, avec l'élaboration en 1983 des principes de Denver. Les recommandations proposaient alors aux séropositifs de ne pas abdiquer en confiant leur destin à d'autres qu'eux-mêmes. Pour se faire, il fallait former des comités, se choisir des représentants, décider démocratiquement de nos propres stratégies et de nos priorités en matière de lutte. Surtout, il fallait être partie prenante à tous les niveaux de décision et faire reconnaître nos expériences. Les séropositifs demandent alors l'accès "à de soins médicaux et à des services sociaux de qualité, sans discrimination relative à leur orientation sexuelle, leur sexe, leur état de santé, leur statut économique ou leur race". Les séropositifs exigent aussi de recevoir "des explications complètes sur toutes les procédures médicales et sur les risques qu'elles comportent", de pouvoir "choisir ou refuser les modalités des traitements qui leur sont proposés" et de "prendre des décisions pour leur vie en toute connaissance de cause". Pourtant la discrimination à l'égard des séropositifs s'installe progressivement. Elle persiste même bien au-delà des années 80 poursuit Vincent Pelletier, "y compris dans le secteur associatif où beaucoup de structures sont gérées par des professionnels souvent du champ médical ou social". C'est dans ce cadre qu'est né GIPA (voir encadré) en 1994,  au sommet sur le VIH/sida de Paris où quarante-deux pays déclarent que les principes contenus dans GIPA sont importants sur le plan éthique et primordiaux pour permettre des réponses nationales adaptées et efficaces face à l'épidémie. Comme l'explique ONUSIDA sur son site : "Gipa n'est ni un projet, ni un programme. C'est un principe qui vise à garantir aux personnes vivant avec le VIH l'exercice de leurs droits et leurs responsabilités y compris leurs droits à l'autodétermination et à la participation aux processus de prise de décisions qui affectent leur propre vie".



Une session de Plus


La session organisée lors de la conférence de Casablanca par la Coalition Plus avait justement pour objet de faire un bilan plus de quinze ans après la conférence de Paris. Un grand nombre de militants y participent. Certains, comme Jeanne Gapiya de l'ANSS (Burundi), reconnus pour leur implication sur ce sujet, hélas peu débattu. Hélène Badini, Hélène Badiniconseillère régionale  (Afrique de l'ouest) de l’ONUSIDA pour les questions de mobilisation sociale et militante de la première heure au Burkina Faso, son pays, est revenue sur les combats passés pour une réelle contribution des personnes vivant avec le VIH/sida. Si de grandes victoires ont pu être obtenues, beaucoup reste néanmoins à faire pour que la participation des personnes ne soit pas un simple alibi. "[GIPA] montre le respect à la vie. Au début de la réponse à l'épidémie, ce n'était pas évident. On se battait pour la survie. Avait-on besoin de GIPA ? Oui sans hésiter, car il était important de favoriser un environnement juridique favorable. Il y avait la discrimination, le rejet, etc. Il fallait aussi qu'on puisse capitaliser l'expérience des personnes. Il fallait sortir du statut de bénéficiaires de services de soins ou de soutien, pour être présent dans le processus décisionnaire, pour changer la perception qu'avaient les gens vis-à-vis de l'épidémie, pour militer pour l'accès universel [le traitement anti-VIH pour tous ceux qui en ont besoin], pour briser les préjugés en démontrant la contribution visible et significative des personnes vivant avec le VIH", explique t-elle.



Des avantages, des difficultés et… des effets pervers


L'implication des personnes touchées "nourrit le plaidoyer en le basant sur des faits et pas sur de l'idéologie. C'est le principe du témoignage qui, en personnalisant le propos, le rend plus fort et plus vrai, poursuit Vincent Pelletier de AIDES. Cela permet de se battre contre la stigmatisation des personnes vivant avec le virus ou vivant avec le risque puisqu'on leur donne un rôle social". Sinon "comment demander à une personnes séropositive de ne pas transmettre le virus à ses partenaires si on ne lui reconnaît pas d'existence dans notre société ?" demande t-il.  Mais, même au cœur d'organismes engagés depuis des années dans la lutte contre le sida, la mise en place de principes comme ceux de GIPA ne se fait pas toujours sans souci. De façon étonnante et même inquiétante, la discrimination peut persister. "J'ai vu des membres du personnel des Nations Unies se cacher dans les toilettes pour prendre leur médicaments" déclare Hélène Badini et ajoute qu'il y aussi le "silence pesant des cadres séropositifs dans telle ou telle organisation" qui ne se dévoilent pas. Et quand on est désigné dans une structure pour représenter les séropositifs, c'est parfois une position qui enferme par trop : "C'est à travers cette casquette souvent que l'on vous voit. Quand on dit VIH, c'est vous ! On ne vous reconnaît pas pour vos qualités professionnelles". Entre les principes et la mise en pratique, le gouffre existe parfois. Tout le monde n'a donc pas la possibilité de bénéficier des principes de GIPA et les effets pervers sont par ailleurs évidents Derrière la lutte, il y a la question des financements. Selon Vincent Pelletier de AIDES, certains décideurs, certains bailleurs ont été tentés, face aux principes GIPA, de créer ou de favoriser l'émergence d'associations de séropositifs. "J'entends, d'associations exclusivement constituées de séropositifs. Souvent parce "qu'on ne voulait pas de ça chez nous", ou tout au moins parce que les séropositifs qui le revendiquent "'n'ont pas notre compétence", disaient les professionnels". Et quand l'émetteur d'un message, d'une revendication, n'est alors vu que sous le prisme du "séropositif alibi" alors ce qu'il dit, surtout s'il dérange, "ne sera pas considéré avec valeur, mais avec mépris" parce qu'on ne reconnaît pas "une compétence propre" à cette personne. De plus, les principes de GIPA ont, selon Vincent Pelletier, généré la multiplication de petites associations "du fait, entre autres, de la peur de se voir constituer de grosses structures associatives militantes qu'ils [les séropos] ne sauraient pas gérer". En conséquence, la capacité de mobilisation collective dans un pays, s'en trouve "diluée" et "ne permet pas de constituer une force de pression" suffisante.



Quand les intellectuels séropositifs ne s'engagent pas


De la salle, au moment des débats, une militante se plaint. "Dans nos associations, les intellectuels, les riches, ne viennent pas." Une autre  "Comment faire pour les impliquer ?" C'est l'autre critique adressée à GIPA. C'est celle de l'effet d'exclusion. En effet, même si l'implication selon GIPA ne veut pas dire, comme l'indique Hélène Badini d'ONUSIDA, la "révélation systématique et obligatoire de son statut sérologique", force est de constater, d'après Vincent Pelletier, qu'en "visibilisant fortement ceux qui s'engagent dans une association de séropositifs, on exclue ceux qui voudraient s'engager, mais ne peuvent pas (ou ont peur de) le faire de manière ostentatoire". Car même si ces personnes sont elles-mêmes séropositives et potentiellement "motrices dans la construction du principe GIPA", elles ne peuvent s'investir par crainte d'exclusion. "Du coup, majoritairement, ne s'investissent dans la lutte que ceux qui n'ont plus rien à perdre, sans pour autant qu'ils aient le bagage suffisant pour construire une lutte organisée".



Enfin, et cela est d'autant plus éclairant dans les débats actuels autour du traitement comme outil de prévention, l'approche GIPA a pour effet, selon Vincent Pelletier, de "négliger le rôle que les séropositifs jouent ou peuvent jouer en matière de prévention". "Les associations de séropositifs se sont concentrées et c'est logique, sur les droits des personnes séropositives et peu (voire très peu) sur les droits et sur la prévention en direction des populations vulnérables fortement exposées au VIH". Lyrique, Vincent Pelletier propose un nouvel engagement, une mise à jour de celui contenu dans les principes de Denver au regard de ce que l'on sait aujourd'hui de l'impact du traitement sur la transmission. "Nous, séropositifs, avons un rôle majeur à jouer pour nous traiter, pour avoir une charge virale indétectable, pour ne pas risquer de transmettre le virus même si nous utilisons des préservatifs... C'est une responsabilité qui nous incombe pour stopper la chaîne des contaminations... Mais cela nécessite aussi de la part des séronégatifs un soutien des séropositifs dans leur combat contre les discriminations. Il faut mettre en place une solidarité trans-sérologique", avance Vincent Pelletier qui plaide en faveur de "structures mixtes, composées de personnes séro-concernées dans leur chair, leur entourage ou dans leur conscience". Alors ceux qui veulent agir sans être visibles pourraient s'investir au côté des autres.




GIPA, acronyme anglais signifiant "Greater Involvement of People Living with HIV/AIDS" ou en français, "plus grande implication des personnes vivant avec le VIH/sida", est un ensemble de principes élaborés lors de la Conférence sur le sida de Paris de 1994. GIPA, on en parle peu en Europe, mais les francophones du Québec ou d'Afrique, impliqués dans les associations, eux savent de quoi il s'agit.


Les principes GIPA en français sur le site de l'ONUSIDA

Le site de la Coalition Plus

Photo : OJ (AIDES)

Commentaires

Portrait de guppy

J'avais pas de sous pour y aller......
Portrait de cgbspender

J'ai beaucoup de mal à saisir la pertinence du paragraphe concernant la "non-implication des personnes riches et intellectuelles".

"ne s'engagent que ceux qui n'ont rien à perdre " > sous-entendu, quand on a une fonction administrative, sociale importante, on s'abstient de s'engager de peur de se saborder ? Cependant, je rejoins Vincent Pelletier et ses idées concernant l'implication des personnes séro-concernées.

Il faudrait plus de personnes de tous statuts sérologiques dans les assos, des pères des mères, des frères, des soeurs, des amis pour des raisons de "visibilité" . Lors d'une pub, d'un slogan publicitaire, d'un acte de militantisme, on voit trop souvent les séropos parler. Quand je dis "trop", je n'y vois pas de mauvaise connotation, j'entends juste qu'il serait sans doute préférable de bien montrer à Monsieur ou Madame lambda devant sa tv que çà pourrait être elle ou lui dont le fils, la fille, le frère etc a été contaminé par le VIH.

Je me rappelle d'une campagne d'information il y a quelques années avec des affiches en noir et blanc (je crois) sur lesquelles figuraient des "beaux gosses" et un slogan souvent indiqué en très petit (sur les lèvres etc) qui indiquaient que le modèle était séropo. C'était très bien. Mais il manque quelque chose.

Faisons témoigner un frère, une mère, un parent d'une personne séropo. Faisons lui dire :   " Mon fils (mon frère, mon meilleur ami, ma mère) est séropo. Je lui donne tout mon soutien et l'aide à combattre sa maladie " C'est avec des campagnes "choc" qu'on arrivera à quelque chose, que les séropos n'auront plus peur de se "montrer", de s'investir dans une lutte anti-discrimination, idem pour les proches, les amis... (impact encore plus fort)

La lutte contre la discrimination (et ce, pour toutes les discriminations) passe obligatoirement par l'implication des proches, tout comme çà a été le cas pour l'acceptation des homosexuels dans les années 70/80.

S'il faut témoigner, c'est oui sans hésiter.

A titre d'exemple, cette campagne de AIDES que je trouve répugnante. Nous, on comprend très bien ce que çà signifie. Mais que va comprendre quelqu'un d'indécis ou avec des "penchants" sérophobes ?

"Coucher avec un séropo ? erkkkk, dèg' "

En dessous écrit en tout petit " sans préservatif, c'est avec le sida que vous faites l'amour, protégez-vous " Oui, mais encore fallait-il arriver à lire, n'est ce pas ?

Portrait de hugox

en effet cette campagne de Aides est horrible: soit ils sont tarés chez Aides, soit c'est fait exprès pour alimenter l'argent du sida ,soit c'est triste d'être autant à côté de la plaque...