Brûlots et contre-feux !

Publié par Jean-François Laforgerie le 22.09.2015
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Tous les deux ans ou presque, seul ou avec un collègue, le professeur Philippe Even publie un ouvrage catégorie brûlot pour dénoncer les "essais cliniques falsifiés", les médecins — si possible des pontes — supposés grassement payés par les labos, et plus globalement pour faire rendre gorge à l’industrie pharmaceutique.

Le dernier en date s’intitule "Corruptions et crédulité en médecine", dont le sous-titre est : "Stop aux statines et autres dangers" (1). Le précédent avait été co-écrit avec le professeur Bernard Debré, un autre médecin et homme politique qui ne ménage pas ses effets de blouse. L’ouvrage faisait, lui aussi, un sort aux statines. Publié en 2012 : "Le Guide des 4000 médicaments utiles, inutiles et dangereux" (2) s’est vendu à plus de 95 000 exemplaires. Un très beau score pour ce type d’ouvrage qui a d’ailleurs eu les honneurs de la couverture de "L'Obs". Un beau succès éditorial accompagné de très vives polémiques de la part d’autres médecins et même de sanctions disciplinaires. Comme le rappelle "Le Monde" (14 septembre 2015), Philippe Even comme Bernard Debré (tous deux à la retraite aujourd’hui… comme médecins) avaient alors écopé d’une interdiction d’exercer la médecine pendant un an. Une sanction que le Leem (Les entreprises du médicament) a, avec une évidente gourmandise, rappelée dans le communiqué de presse qui a accompagné (10 septembre) la sortie du nouvel ouvrage de Philippe Even.

Evidemment, le Leem a pris pour lui les nouvelles attaques du professeur retraité… mais médiatique. Le syndicat de l’industrie pharmaceutique considère l’ouvrage "à charge contre l’industrie du médicament, les experts scientifiques et les autorités sanitaires" et déplore la "vision de plus en plus manichéenne du système de santé" que le professeur développerait d’ouvrage en brûlot. Pour le Leem, l’exercice critique est délicat : ne pas donner tort au médecin lorsqu’il interroge "la capacité du système à mettre à disposition des malades des traitements sûrs et efficaces, dans un cadre transparent", mais lui tailler des croupières sur la façon de le faire… et même aller plus loin. Ainsi le Leem appelle la "communauté scientifique à vérifier les allégations de Philippe Even" en se saisissant des informations contenues dans l’ouvrage" et "d’en relever, sur des bases objectives et partagées, les mensonges et les approximations". Brrrrr !

Pas certain, que la menace fasse sourciller Philippe Even dont il est souvent rappelé, à dessein, qu’il a 83 ans. Reste que son dernier ouvrage semble aller plus loin que son registre habituel. Pour qui n’a pas lu Even, on peut dire que son travail consiste, pour l’essentiel, à dénoncer les manœuvres de l’industrie pharmaceutique pour mettre sur le marché et vendre des médicaments inutiles voire dangereux (voir l’ouvrage de 2012), mais qui rapporteraient gros !

Selon lui, c’est le cas des statines. Pour étayer sa démonstration, il n’hésite pas à avancer que le cholestérol ne serait pas si problématique que cela ! Ces assertions lui avaient valu, déjà, une attaque en règle de la part de médecins, dont celle du professeur Gilles Pialoux (3). Cette fois, avec son dernier livre, il donnerait des noms et, comme l’indique "Le Monde", distribuerait nominativement bons et surtout très mauvais points à ses confrères cardiologues". Il faudra donc s’attendre à d’éventuels procès contre lui… et son éditeur. D’autant que le bouillant Even se livrerait, de surcroît, à des attaques sur le physique de certaines de ses têtes-de-turc ("Le Monde").

On pourrait vouloir en rester là, à ce qui s’apparenterait à une guerre picrocholine entre mandarins, anciens et modernes, pas très élégante… si le sujet n’avait pas une telle importance. Dans le fond, il n’est pas anodin pour un médecin, même de 83 ans, à l’impact médiatique certain, de lancer encore une fois une telle campagne contre des traitements largement prescrits sans mesurer l’impact d’une telle attaque sur les personnes qui les prennent en confiance parce qu’on les leur a prescrits. "Il serait désastreux pour les patients français que ceux-ci interrompent leur traitement sur la base des affabulations d’une personne retirée de l’activité médicale depuis 20 ans et énoncées sans arguments recevables, ni compétences scientifiques spécifiques dans le domaine [Even était pneumologue, ndlr]" explique ainsi un communiqué intitulé : "Alerte pour les patients cardiaques" de la Société française de cardiologie (10 septembre 2015). Comme en 2012, il y a fort à parier que le Conseil de l’Ordre statuera sur de potentielles suites déontologiques.

Et puis quoi ? Le débat n’aura malheureusement pas avancé d’un iota. Il n’aura fait que ressasser les mêmes arguments avec un peu plus d’outrance, sans éclairer utilement les patients. Reste à observer un phénomène : plus virulentes sont les charges d’Even, plus durs sont les contre-feux. De ce point de vue, ce n’est pas un hasard si concomitamment à la sortie du dernier brûlot de Philippe Even a été publié, encore une fois, un article sur un épisode peu reluisant de son parcours professionnel lorsqu’il travaillait sur le VIH : la fameuse affaire Cyclosporine en 1985. Ce nouvel article reprend, en moins bien, les arguments qu’avait développés avec minutie Gilles Pialoux dans son texte pour vih.org en 2013. Philippe Even, comme homme et comme médecin, n’en sortait pas grandi, donnant une image de la médecine pas plus glorieuse que celle qu’il entend dénoncer aujourd’hui. Manifestement, vouloir être un chevalier blanc… même habillé d’une blouse, n’est pas une sinécure !

(1) : "Corruptions et crédulité en médecine. Stop aux statines et autres dangers", Philippe Even, éditions du Cherche midi, 18 euros.
(2) : "Le Guide des 4 000 médicaments utiles, inutiles et dangereux", Philippe Even et Bernard Debré, éditions du Cherche midi, 24 euros.